Le bien-aimé responsable rédactionnel de Forez Info m'a suggéré d'infiltrer les bénéficiaires des Restos du Coeur. Comme une reporter qui n'a pas froid aux yeux, j'ai accepté cette mission. Plus sérieusement, avec 20,72 euros par jour d'aide au retour à l'emploi, sans aucune réserve d'argent, j'ai de bonnes raisons de profiter des colis de l'association.
J'en avais d'ailleurs déjà bénéficié il y a longtemps lorsque j'étais étudiante aux Beaux-Arts. Je me disais à l'époque que ça ferait bien de le souligner dans ma biographie, une fois que je serais devenue riche et célèbre, désirée mais capricieuse. J'avais alors une sorte de recommandation d'une assistance sociale. Si je me souviens bien, les Restos, en ce temps-là, avaient leur local dans la rue Léon Nautin. J'en garde peu de souvenir sinon que l'endroit m'avait paru un peu glauque. Croyez-vous que c'est parce que la vie ne m'avait pas encore déniaisée ? En tout cas, je présentais mon papier et je repartais avec de la nourriture.
Cette fois, je n'ai pas été pistonnée. J'ai fait les démarches d'inscription habituelles, comme tout un chacun. Pour information, je téléphone à l'association de Saint-Etienne, basée rue Croix Courette, près de la place Chavanelle. On me fixe un rendez-vous sur place pour me fixer un autre rendez-vous, d'inscription. J'apporte tous les papiers demandés: la carte d'identité, l'avis d'imposition 2012, les attestation de droits à l'assurance maladie et de tiers payant social, l'avis de prise en charge à l'allocation d'ARE, une quittance de loyer, factures... D'autres qui ont des enfants doivent fournir un extrait d'acte de naissance, un certificat de scolarité, le justificatif de versement ou perception de pension familiale. Pour les personnes étrangères, je ne sais pas. En tout cas, elles sont nombreuses à venir aux Restos. Les deux vieilles dames qui me reçoivent font le rapide calcul de mes ressources. J'ai droit à la précieuse carte orange. D'autres établissent mon planning.
La carte indique le nombre de parts adultes du ménage et les parts bébés. Une seule part dans mon cas puisque je vis seule, sans enfant. Elle porte le n° 700 et quelques. Elle comporte 16 cases qui correspondent à autant de jours où j'irai aux Restos, à raison d'un jour, toujours le même, par semaine et dans un créneau horaire de vingt minutes qu'il faut respecter. J'ai pu constater que des gens arrivés en retard étaient invités, gentiment mais fermement, à revenir le lendemain. Je note qu'au 9e jour, il me faudra justifier à nouveau du montant de mon chômage.
La première distribution m'a un peu effrayée. C'était long et le froid était mordant. Les deux qui ont suivi furent beaucoup plus rapides et le temps plus clément. Les bénévoles sont plus nombreux visiblement, la machine mieux huilée sans doute.
Des hommes vérifient les cartes à l'entrée. Dans la première pièce, sorte de vestibule, je constate chaque fois que les demandes d'inscription se poursuivent. La dame préposée à l'accueil tente patiemment de faire comprendre à une autre qu'il faut qu'elle vienne avec quelqu'un qui parle français. 2e vérification de carte, suivi d'un nouveau pointage dans l'antichambre du "supermarché". Vu comme ça, tout est bien rôdé. Les bénévoles sont sympathiques mais ça ne surprend pas. Le sourire un peu triste de Coluche éclaire les lieux. Ils me font penser à une petite ruche.
Une bénévole arrive. Elle va m'accompagner dans mes "courses". Elle a une fiche verte qui détaille le nombre d'aliments auxquels j'ai droit selon un système de points correspondant à ma situation. L'idée étant de proposer un colis complet en terme de protéines, etc. La salle de distribution est divisée en deux par des étagères sur lesquelles sont disposés les quelques produits à choisir.
On m'offre d'abord deux litres de lait. La première fois, je n'en avais eu qu'un. C'est variable, j'imagine, en fonction des stocks disponibles. On me propose comme légume un gros navet que je refuse. La dernière fois, c'était trois pommes de terre. Je choisis ensuite mes boîtes de conserve, les desserts... La semaine dernière, j'ai eu droit à un litre d'huile et la semaine précédente, un paquet de farine, que je n'ai pas pris n'étant pas cuisinière pour deux sous. Bref, on fait le tour des "rayons" pour arriver au congélateur. Une côte de porc et un pavé de poisson blanc sont glissés dans le sac isotherme fourni par les Restos lors de la première distribution. Il y a toujours eu jusqu'à présent un peu de "rab": quelques minces saucisses sèches et une petite bouteille de coca. Il m'est arrivé aussi de recevoir une brosse à dents et un litre de produit vaisselle.
Mon accompagnatrice me demande si j'ai besoin de vêtements. Je décline poliment. A chaque distribution, on est invité à boire une boisson chaude.
De retour chez moi, je fais l'inventaire de mon sac: un litre de velouté de légumes, une petite bouteille de coca, une petite boîte de cassoulet, une autre de choucroute garnie, deux briques de lait, une pomme, une banane, un kiwi, trois oeufs, deux petits gâteaux de semoule, deux compotes de pomme, une mini barre de chocolat au lait, quelques biscuits secs, une petite boîte de sardines à l'huile, une petite boîte de rillettes de thon, cinq saucisses sèches, un pavé de fromage, deux petits morceaux de tomme noire, deux portions de fromage à tartiner, une petite part de camembert, quatre yaourts nature, une crème dessert au chocolat, une côte de porc, un pavé de poisson.
De quoi tenir, dans mon cas, une petite semaine sans avoir à dépenser beaucoup plus en nourriture, sinon en pain et en vin chaud.