
Né à Montbrison vers 1535, Loys Papon était un des enfants de ce Jean Papon, lieutenant-général au bailliage de Forez et juriste qui fut pour Honoré d'Urfé le modèle du druide Adamas dans son Astrée. Catholique fervent, chanoine à Notre-Dame d'Espérance, dans sa ville natale, prieur de Marcilly (qui dépendait de l'abbaye de Savigny) Loys Papon anima, tantôt dans le château de Goutelas hérité de son père (1), tantôt à la Batie d'Urfé, un petit cercle littéraire. D'après Claude Longeon (2), il était excellent luthiste et peintre. Il traça lui-même et peignit les miniatures qui illustrent ses manuscrits. C'est de lui qu'Anne et Honoré d'Urfé apprirent les règles poétiques.
Anne d'Urfé le proclama un des plus grands poètes de son siècle. Il l'évoque dans ses Hymnes (3):
"Papon, Louys son fils, ornement de Forest,
Lequel s'il eust vivant mis ses vers en lumière,
Lequel s'il eust vivant mis ses vers en lumière,
Auroit une louange en France singulière;
Cettuy-cy le premier me fit voir le troupeau
Menant son Bal sacré sur le double Coupeau,
M'enseignant ardemment comme il se fallait rendre
Bien aymé des Neuf Soeurs si i'eusse sceu l'apprendre."
Un autre auteur forézien, Jean du Crozet, le cite dans La Philocalie:
"Papon le favory des Muses et du Ciel
Papon qui n'as çà bas qui te soit pareil."
Loys Papon est décédé en 1599.

L'oeuvre évoquée ici avait pour titre complet Pastorelle sur la victoire obtenue contre les Allemands, reytres, lasquenets Souyses et François rebelles à Dieu et au Roy très chretien, lan 1587. Elle fêtait la victoire remportée par Henri de Guise, au nom du roi Henri III, sur les protestants le 24 novembre 1587.
Le Royaume était alors la proie des factions catholiques et protestantes. Une armée composée de soldats suisses, de reîtres allemands et d'un corps de protestants français fut d'abord défaite fin octobre par le duc de Guise (4) à Vimory près de Montargis. Un mois après, à Auneau (Eure-et-Loir), les troupes catholiques remportaient une nouvelle victoire. Elle fut célébrée dans tout le petit monde ultra-catholique auquel appartenaient la famille d'Urfé et Loys Papon. Ce dernier avait d'ailleurs un compte à régler avec les protestants. En 1576, au Crozet, dans le nord de notre département, la maison familiale avait été saccagée par un corps de troupe suisse.
Claude Longeon: " A la lumière de ce que risquera plus tard notre chanoine, nous pouvons (...) nous demander si l'opération n'était pas politique: il s'agissait de faire connaître au pays la valeur des princes lorrains, de préparer l'opinion publique au possible coup de force de la Ligue. Il est vrai que, tout en ménageant le Roi, Papon offre à Henri de Guise tout le mérite et l'honneur de la victoire; qu'il chante, sans retenue, la grandeur de la Sainte Union..."
Le texte original de La Pastorelle a été découvert en 1833 dans la bibliothèque Harléienne, à Londres, par Francisque Michel. Loys Papon écrivit sa pièce dans le style de ces « Bergeries » que L'Astrée devait mettre à la mode. L'oeuvre, comme le commente l'abbé Dorna, « est écrite dans ce style ampoulé de l'époque. Le poète " pindarise " et farcit son texte du fatras mythologique cher à la Pléiade ».

.
Clou du spectacle : un feu de joie entre les quatre colonnes d'une pyramide qui « rendit fort belle flamme, plaisante clarté et odeur agréable », et autour de laquelle petits bergers et bergères foréziens dansèrent « avec une telle dextérité qu'il était impossible de faire mieux. » La pyramide avait dix-huit pieds de hauteur.
.

.
C'est une pièce en 5 actes et 10 scènes composée de 1974 alexandrins. Les acteurs sont au nombre de onze. Les personnages sont trois dieux, Mercure, Renommée, Cérès, et huit bergers et bergères: Sylves, Sylvie, Alexis, Cloris, Coridon, Themis, Paris et Amarillis.

Claude Longeon résume l'intrigue: " Tandis qu'en Forez les bergers se plaignent à la déesse Cérès des inclémences climatiques qui menacent les récoltes et de la lourdeur de la fiscalité qui ronge leurs pauvres économies, en un autre lieux des pasteurs étrangers à la province racontent à Mercure les misères que les Reîtres leur ont fait subir. Renommée leur annonce la victoire et ils décident de gagner le Forez afin d'y refaire leur vie. Bergers foréziens et immigrés entendent de la bouche de Renommée le récit des exploits guisiens à Vimory et à Auneau. Ils chantent leur allégresse et rendent grâce à Dieu de cette victoire. Tandis que Renommée prend son essor pour aller conter ailleurs ces exploits, tout s'achève par des embrassades, des mariages, un appel à l'union des Français contre les Turcs et l'expression de la reconnaissance envers les personnalités foréziennes qui ont su maintenir leur pays à l'écart des grands déchirements."

Le texte de la pièce est suivi d'une gravure et d'un "discours" dans lequel Papon explique en détail comment s'est déroulée la représentation. Celle-ci dura entre quatre et cinq heures. La salle du cloître de l'église collégiale où elle fut jouée, c'est à dire la salle de La Diana, fut entièrement tapissée et ses fenêtres bouchées "pour ne recevoir autre lumière que celle de quatre-vingt dix flambeaux de cire blanche". Les acteurs étaient "huit beaux jeunes enfants, musiciens" vêtus en bergers et bergères, et trois adolescents pour jouer les dieux.

Compte tenu de la longueur de la représentation, qui "pouvait faire craindre que les assistants ne s'ennuyassent à toujours ouïr la même chose" et "afin de les délecter d'une variété", l'on introduisit, par cinq fois (sans doute entre chaque acte de la Pastorelle) huit acteurs d'une comédie italienne.
Papon, qui exagère sans doute, parle de 1300 à 1400 spectateurs, "tant gentishommes que Dames, demoyzelles, gens de justice, d'Eglise, magistrats, bourgeoys, capitaines, marchandz et toutes personnes de qualité..." !
___

Le premier essai d'opéra en France
Montbrison 1588
Si la tragédie fut « informe et grossière en naissant », on peut bien en dire autant de l'Opéra. Cette forme de l'art dramatique, dont la musique et la danse constituent les principaux éléments, ne s'apparente pas du tout avec le drame antique où cependant ceux-ci avaient une large place. De même que, lorsqu'on recréa le Théâtre classique, on dut passer par des stades successifs avant d'en trouver la forme définitive, ainsi pour l'opéra. Ce n'est qu'après des essais et des tâtonnements nombreux qu'on put, en 1672, déterminer la structure de ce genre dramatique. Dans cette évolution, la manifestation dramatique du 27 février 1588, à Montbrison, marque une étape décisive.
Le Jeu de la feuillée d'Adam de la Halle (ou Adam le Bossu). Illustration de la bibliothèque d'Arras
L'idée d'introduire dans le drame des parties chantées remonte assez haut dans l'histoire du Théâtre. Le premier essai que nous connaissons en France est Le jeu de la Feuillée, d'Adam de la Halle, joué à Arras en 1272. C'est un mélange de comédie, de Pastorale, de revue satirique, d'opéra comique. Le chant se mêle ou se substitue à la déclamation. Du même auteur, Robin et Marion (1282), intérieur au point de vue dramatique, fait toutefois une place plus grande à la musique.

.
A droite: Le jeu de Robin et Marion, détail d'une peinture de Mstislav Dobuzhinsky, 1907
Nous allons maintenant assister à ce curieux phénomène : ce n'est pas le théâtre qui va s'annexer la musique, mais la musique qui assimilera le théâtre : l'Opéra procéda du ballet. L'action de la Pléiade ne se borna pas à la poésie. En 1571, Baïf qui s'était adjoint les musiciens Claude Lejeune et Thibaut de Courville créa l'Académie de Musique et de Poésie. Une des principales consignes qu'on y donnait était qu'il fallait, comme l'avait déjà dit Marot, « marier le vers aux accords du luth ». Avec Costeley, Rolland de Lassus et surtout Adrien Leroy, va naître l' « Air de Cour » et le récit dramatique : première ébauche du récitatif français auquel Lulli donnera sa forme parfaite près d'un siècle plus tard.
Deux des éléments de l'Opéra : le récitatif et l'air étaient trouvés. Le troisième : le ballet ne tarda pas à paraître. Baïf, farci des souvenirs de la Grèce, voulut cadrer la musique sur les combinaisons de la métrique antique et fit du rythme l'ossature de la mélodie. Ainsi naquit l'Air à danser. La formule se généralisa et il en sortit le Ballet. Celui-ci eut un rapide et prodigieux succès et, dans les réjouissances de la Cour, il prit bien vite une place considérable.
En 1581, paraît Circé, Ballet comique de la Reine (5). Sortant des chemins battus, l'auteur Beaujoyeult, au lieu de s'en tenir aux évolutions chorégraphiques, dramatise le ballet. Il prend un thème, une intrigue qu'il développe et trouve qu'il convient de mêler la musique et la comédie « ensemblement et diversifier la musique de la poésie et entrelacer la poésie de musique et le plus souvent les confondre toutes deux ensemble ».
Circé toutefois n'était encore qu'un ballet qui se donnait de plein-pied dans la salle et où les musiciens costumés se mêlaient aux acteurs. La Pastorelle de Loys Papon, représentée le 27 février 1588 à Montbrison, synthétisa les travaux antérieurs et donna la forme rudimentaire sans doute, mais déterminée, de ce que devait être l'Opéra : acteurs déclamant et chantant en scène, ballets, orchestre séparé des acteurs, rideau se fermant pour marquer les épisodes du drame.
Il y a « un théâtre de seize pieds de hauteur avec dégagement à l'arrière pour les entrées et sorties des acteurs. La scène est fermée par deux rideaux qui, se tirant par les deux bouts, bouchaient cette magnificence pour n'être ouverts que lorsque, au son des hautbois et autre musique, les acteurs entraient sur le théâtre, et dès qu'ils rentraient, la scène finie, le rideau était resserré par hommes exprès à cet office. L'orchestre composé de hautbois et autre musique était logé à l'un des côtés sur un échafaud, à main droite, pour ne donner ou recevoir empêchement...»
Tels sont les renseignements que nous donne le Discours explicatif de la représentation et que l'on peut trouver sur la gravure. Qu'était l'oeuvre elle-même ? Il est difficile de savoir qui fut l'auteur de la musique. Papon prit, très probablement, celle des maîtres à la mode, Le Jeune et Mauduit, et y adapta sa poésie ; le procédé était courant. Quant à l'orchestre, le texte que nous avons ne nous en donne qu'une description sommaire. On parle de « Hautbois et autre musique ». Orchestre très primitif où les instruments se partageaient les parties du contrepoint et parfois même se mettaient tout simplement à l'unisson de la mélodie. Ce n'est en effet, qu'en 1609, sous l'influence de Montaverde, qu'apparaît un véritable orchestre symphonique.
Papon nous explique que de nombreux tableaux étaient disposés: portraits du roi, de la reine, des princes de Guise, princes, princesses, papes et grands du Forez.
Dans la gravure, on voit une trompette avec des hautbois de différentes tailles ; il y avait certainement des instruments à cordes. L'originalité de la manifestation artistique de 1588 consiste surtout dans la séparation de l'orchestre d'avec les acteurs et chanteurs, en même temps que sa place, non pas dans une fosse comme actuellement, mais « sur un échafaud ». Il joue, dès lors, son rôle d'accompagnateur et dans les mouvements scéniques, il exécute une sorte de musique de scène. Cet ensemble constitue bien une ébauche d'Opéra. Nous ne croyons pas qu'il y ait eu, antérieurement à La Pastorelle, d'essai se rapprochant davantage de la forme de ce genre que fixera Lulli, près d'un siècle plus tard. Et puisque cette tentative eut lieu en notre pays de Forez, il convenait d'en faire mention.
L. Dorna.
1) En Juillet 2001, le Centre Culturel de Goutelas a donné une seconde représentation de La Pastorelle.
2) Communication de Claude Longeon, Université de Saint-Etienne, non datée, disponible à la Bibliothèque de Tarentaize
3) Cité par Guy de La Grye dans la préface des Oeuvres du chanoine Loys Papon, Yéméniz, disponible à Tarentaize toujours.
4) Cette victoire apporta une telle notoriété au Duc de Guise qu' Henri III le fit assassiner un an plus tard.
5) Premier grand ballet de cour donné en France, en octobre 1581, dans la grande salle du Petit-Bourbon à Paris.
Nous allons maintenant assister à ce curieux phénomène : ce n'est pas le théâtre qui va s'annexer la musique, mais la musique qui assimilera le théâtre : l'Opéra procéda du ballet. L'action de la Pléiade ne se borna pas à la poésie. En 1571, Baïf qui s'était adjoint les musiciens Claude Lejeune et Thibaut de Courville créa l'Académie de Musique et de Poésie. Une des principales consignes qu'on y donnait était qu'il fallait, comme l'avait déjà dit Marot, « marier le vers aux accords du luth ». Avec Costeley, Rolland de Lassus et surtout Adrien Leroy, va naître l' « Air de Cour » et le récit dramatique : première ébauche du récitatif français auquel Lulli donnera sa forme parfaite près d'un siècle plus tard.
Deux des éléments de l'Opéra : le récitatif et l'air étaient trouvés. Le troisième : le ballet ne tarda pas à paraître. Baïf, farci des souvenirs de la Grèce, voulut cadrer la musique sur les combinaisons de la métrique antique et fit du rythme l'ossature de la mélodie. Ainsi naquit l'Air à danser. La formule se généralisa et il en sortit le Ballet. Celui-ci eut un rapide et prodigieux succès et, dans les réjouissances de la Cour, il prit bien vite une place considérable.
En 1581, paraît Circé, Ballet comique de la Reine (5). Sortant des chemins battus, l'auteur Beaujoyeult, au lieu de s'en tenir aux évolutions chorégraphiques, dramatise le ballet. Il prend un thème, une intrigue qu'il développe et trouve qu'il convient de mêler la musique et la comédie « ensemblement et diversifier la musique de la poésie et entrelacer la poésie de musique et le plus souvent les confondre toutes deux ensemble ».
Circé toutefois n'était encore qu'un ballet qui se donnait de plein-pied dans la salle et où les musiciens costumés se mêlaient aux acteurs. La Pastorelle de Loys Papon, représentée le 27 février 1588 à Montbrison, synthétisa les travaux antérieurs et donna la forme rudimentaire sans doute, mais déterminée, de ce que devait être l'Opéra : acteurs déclamant et chantant en scène, ballets, orchestre séparé des acteurs, rideau se fermant pour marquer les épisodes du drame.
Il y a « un théâtre de seize pieds de hauteur avec dégagement à l'arrière pour les entrées et sorties des acteurs. La scène est fermée par deux rideaux qui, se tirant par les deux bouts, bouchaient cette magnificence pour n'être ouverts que lorsque, au son des hautbois et autre musique, les acteurs entraient sur le théâtre, et dès qu'ils rentraient, la scène finie, le rideau était resserré par hommes exprès à cet office. L'orchestre composé de hautbois et autre musique était logé à l'un des côtés sur un échafaud, à main droite, pour ne donner ou recevoir empêchement...»
Tels sont les renseignements que nous donne le Discours explicatif de la représentation et que l'on peut trouver sur la gravure. Qu'était l'oeuvre elle-même ? Il est difficile de savoir qui fut l'auteur de la musique. Papon prit, très probablement, celle des maîtres à la mode, Le Jeune et Mauduit, et y adapta sa poésie ; le procédé était courant. Quant à l'orchestre, le texte que nous avons ne nous en donne qu'une description sommaire. On parle de « Hautbois et autre musique ». Orchestre très primitif où les instruments se partageaient les parties du contrepoint et parfois même se mettaient tout simplement à l'unisson de la mélodie. Ce n'est en effet, qu'en 1609, sous l'influence de Montaverde, qu'apparaît un véritable orchestre symphonique.

Papon nous explique que de nombreux tableaux étaient disposés: portraits du roi, de la reine, des princes de Guise, princes, princesses, papes et grands du Forez.
Dans la gravure, on voit une trompette avec des hautbois de différentes tailles ; il y avait certainement des instruments à cordes. L'originalité de la manifestation artistique de 1588 consiste surtout dans la séparation de l'orchestre d'avec les acteurs et chanteurs, en même temps que sa place, non pas dans une fosse comme actuellement, mais « sur un échafaud ». Il joue, dès lors, son rôle d'accompagnateur et dans les mouvements scéniques, il exécute une sorte de musique de scène. Cet ensemble constitue bien une ébauche d'Opéra. Nous ne croyons pas qu'il y ait eu, antérieurement à La Pastorelle, d'essai se rapprochant davantage de la forme de ce genre que fixera Lulli, près d'un siècle plus tard. Et puisque cette tentative eut lieu en notre pays de Forez, il convenait d'en faire mention.
L. Dorna.
1) En Juillet 2001, le Centre Culturel de Goutelas a donné une seconde représentation de La Pastorelle.
2) Communication de Claude Longeon, Université de Saint-Etienne, non datée, disponible à la Bibliothèque de Tarentaize
3) Cité par Guy de La Grye dans la préface des Oeuvres du chanoine Loys Papon, Yéméniz, disponible à Tarentaize toujours.
4) Cette victoire apporta une telle notoriété au Duc de Guise qu' Henri III le fit assassiner un an plus tard.
5) Premier grand ballet de cour donné en France, en octobre 1581, dans la grande salle du Petit-Bourbon à Paris.