A LA POURSUITE DU SOLEIL LEVANT
DE QUATREGRAINS AU COL DE PAVEZIN
Nous partons de la ferme auberge de Grange-Rouet, pour monter par un chemin facile, en laissant le Crêt de Montivert à notre droite, jusqu'au Crêt de Quatregrains (875 m). Ce nom signifie « quatre granges », et de ces quatre granges il reste précisément la Grange-Rouet. Un peu avant le sommet se présente à droite du chemin un groupe de rochers. Ils dominent le paysage et offrent une vue superbe sur les crêts du Pilat, les Trois Dents et l'Oeillon, mais aussi sur le piémont et la région de Pélussin. L'un des rochers semble « aménagé » d'une sorte de siège, lorsqu'on s'y assoit on regarde le point de l'horizon où se lève le soleil au solstice d'hiver. Une caractéristique commune aux nombreux « fauteuils » creusés dans les rochers en différents lieux du Pilat. Hasards et fantaisies de la nature, ou volonté délibérée des hommes ?
La vue depuis le Crêt de Quatregrains : Pic des Trois Dents, Crêt du Graland, Crêt de l'Oeillon, Crêt de Botte ; au premier plan, Chirat Rochat
La base de l'un des rochers présente un abri sous roche, fermé par une petite murette en pierres sèches. L'aménagement humain est ici plus évident. De même on retrouve en divers lieux de cette montagne des cabanes, murettes, abris sommaires, de toute évidence créés par l'homme, mais à quelle époque ?
Abri sous roche au Crêt de Quatregrains
Le chemin se poursuit agréablement en direction du « château de Bélize », qui se trouve sur une petite éminence, à 872 m d'altitude, sur les premières pentes de la colline voisine, le Crêt de la Baronnette. Nul château, a priori en ce lieu, mais une grande enceinte en pierres superposées, de forme elliptique, longue de 70 m environ. Nous sommes aujourd'hui au milieu des bois, mais jadis cette enceinte, qui semble remonter à l'époque celtique, devait constituer un refuge dominant la région. On a souvent assimilé Bélize à Bélisama, la déesse gauloise de la Lune, en réalité ce nom est la déformation du nom ancien Bérisse, qui semble lui-même être une forme du mot « baron. » Or précisément nous sommes sur le Crêt de la Baronnette, il y a sans doute un lien de cause à effet !
Vestiges de l'enceinte de Bélize
Il n'est plus possible aujourd'hui, sauf en saison hivernale et en coupant à travers bois, de poursuivre sur la ligne de crête. Il faut soit revenir à Grange-Rouet et aller au col de Pavezin en voiture, soit descendre côté sud par le sentier qui rejoint la piste réservée aux pompiers, que l'on suit jusqu'à dominer le col de Pavezin, que l'on peut rejoindre par une « garipelle », petit sentier escarpé mais direct. Le col de Pavezin (652 m) était jadis franchi, à grands renforts de jets de vapeur bruyants, par la « Galoche » ou petit train départemental assurant la liaison entre la vallée du Gier et Pélussin. C'était aussi le point de rassemblement annuel des cyclotouristes adeptes de Paul de Vivie, comme le rappelle encore une plaque apposée contre le mur de la maison voisine du restaurant.
Au temps du chemin de fer départemental (carte postale début XXe siècle)
DU COL DE PAVEZIN AU MONT MONNET
Depuis le col de Pavezin, il est possible de grimper jusqu'au Mont Ministre (765 m). Mais avant d'en arriver là il ne faut pas manquer de descendre à droite, au prix d'un très léger crochet, pour accéder à la Grotte des Fées, aujourd'hui bien balisée. C'est une excavation naturelle, mais aménagée par l'homme, qui s'est créée dans une petite falaise de micaschistes. Autrefois on apercevait la grotte depuis le village de Chuyer, et les anciens perpétuaient, de génération en génération, le souvenir de « dames » vivant dans ce trou de rocher et étendant leur linge tous les samedis. Des fées, assurément, qui communiquaient par ce moyen avec leurs consoeurs du Dauphiné, de l'autre côté du Rhône.
La Grotte des Fées, sur le flanc du Mont Ministre
Le Mont Ministre est une appellation récente, on dit qu'un ministre du culte protestant y aurait trouvé refuge, au temps des guerres de religion. Mais il faut sans doute y voir plutôt la déformation en un nom familier d'un nom primitif devenu incompréhensible pour les populations locales. Le sommet auquel on accède par un chemin facile et agréable est marqué par une installation de type « land'art », assemblage de cailloux en équilibre aussi artistique qu'éphémère, auquel chaque passant se doit de contribuer en y ajoutant sa pierre !
Installation artistique au sommet du Mont Ministre
Une autre garipelle nous fait dégringoler au col de Grenouze (624 m). On peut aussi y arriver, depuis le col de Pavezin, par la très agréable piste des pompiers, qui contourne le flanc de la montagne en ménageant des vues très agréables. De Grenouze, un chemin assez escarpé conduit au sommet du Mont Monnet. Ce mont constitue le dernier sommet important de la longue ligne de crête du Pilat. Avec ses 781 m d'altitude, il domine tout le piémont rhodanien et offre un point de vue incomparable qui récompense le marcheur au terme de son ascension. Le chemin prend ici le nom un peu pompeux de « route des aigles ». Tout au long de la dure montée, on remarque à gauche un long alignement de pierres sèches, trop régulier pour être naturel. Il se perd ensuite dans la broussaille, gardant le secret de ses origines. La large piste tracée à flanc de coteau, pour les véhicules de lutte anti-incendie, permet de découvrir d'autres murailles semblables.
La montée vers le Mont Monnet (photo Daniel Bergero)
Le temps, l'habitude, le manque de curiosité des hommes, ont recouvert tous ces vestiges d'une chape d'oubli. La présence d'un point d'eau, que l'on découvrait il n'y a pas si longtemps un peu avant le sommet, attirait pourtant l'attention. Le liquide ne jaillissait pas, il s'étalait, tranquille, dans une grande vasque où d'antiques canalisations en pierre recouvertes de joncs l'amenaient depuis une source oubliée. Ce point d'eau semble bien difficile à retrouver aujourd'hui. En 1872 une modeste chapelle dédiée à la Vierge est venue couronner les grandes roches déchiquetées qui marquent le sommet. Elle est due à la générosité de l'abbé Font, curé de la Chapelle-Villars, à qui l'on doit également l'église de ce village. A sa mort, deux ans plus tard, une Madone vint voisiner la chapelle.
La chapelle et la Madone du Mont Monnet (photo Daniel Bergero)
LES DERNIERS CRETS
Du Mont Monnet, le chemin continue plein nord en traversant une hêtraie particulièrement magnifique en automne. Puis il descend par la droite pour se glisser dans une combe étroite et raide permettant de contourner le Crêt de Chassenoud (756 m) et atteindre le col du même nom. Les forêts laissent la place aux prairies. Par le Crêt de la Magdeleine (547 m), où s'élèvent les ruines impressionnantes d'une grande ferme, on atteint le Pilon (408 m), un col à peine marqué, à un carrefour de routes vieilles comme le monde.
Mais avant la dernière descente il faut prendre le temps de faire un petit écart jusqu'aux ruines du château des Chances. Une tour perdue dans la verdure, quelques pans de murs, des boursouflures de terrain recouvertes de broussailles, voilà tout ce qu'il reste d'un château médiéval qui contrôlait l'antique carrefour. Un lièvre surpris sort de son gîte pour gagner en quelques bonds une retraite plus sûre. Le promeneur curieux écarte le rideau de ronces et découvre l'entrée à demi obstruée d'une grande salle souterraine. Ses murs semblent chuchoter les bribes d'une légende lointaine : un trésor fabuleux, un temple romain dédié au dieu de la chance... Mais non, ce n'était que le bruit du vent dans les grands arbres... C'est aujourd'hui le seul maître des lieux.
Du Pilon nous atteignons facilement, par la D 502, la Croix Régis (503 m), le col le plus septentrional du Pilat. C'est ici que le serpent minéral constituant la longue ligne de crête, doit redresser la tête et ouvrir la gueule en tirant la langue pour saluer le jour naissant. Un géobiologue ardéchois affirme y avoir détecté d'extraordinaires effluves cosmo-telluriques. C'est ce que le promeneur médusé peut apprendre en découvrant les étranges monuments dressés à proximité de la croix.
Par un dernier raidillon, la « route des aigles » se hisse au sommet du Pet du Loup (560 m), ultime croupe du Pilat, et donc du Massif Central. Comme beaucoup d'autres, ce « loup » n'est que l'altération du latin « lucus » (bois sacré) en « lupus » (loup), et « pet » une orthographe fantaisiste de « pey », variante du latin « podium » (colline). C'est ainsi qu'un cartographe ignorant transforma une « colline du bois sacré » en un incongru « pet du loup » ! Le massif montagneux s'abaisse rapidement, les collines font place à un plateau entrecoupé de ruisseaux, qui par un dernier talus abrupt tombe au niveau du Rhône.