« Tu peux serrer dans ta main une abeille jusqu'à l'étouffer mais avant de mourir elle t'aura piqué. C'est bien peu de chose dis-tu, mais si les abeilles ne piquaient pas, elles n'existeraient plus. »
La Kartoffe, en allemand, c'est la pomme de terre. Ce journal clandestin que nous mettons en ligne en intégralité fut réalisé par quelques prisonniers appartenant au comité de résistance du Stalag III A. Parmi eux, Félix Franc, instituteur et plus tard maire de Lorette, conseiller général et syndicaliste de premier plan dans la Loire. Au cours d'un entretien, Franc nous a indiqué l'esprit qui animait ses rédacteurs : "Il y avait dans le camp de nombreux soldats bretons, catholiques et patriotes pour lesquels l'ennemi était l'Allemand plus que le nazi. Pour moi en particulier, le peuple allemand était aussi victime. L'ennemie c'était l'idéologie du parti nazi. Nuance ! Pour beaucoup de prisonniers, le maréchal Pétain bénéficiait encore d'un grand prestige. Il s'agissait pour nous de lutter contre cette mentalité. A dire vrai, je crois aujourd'hui que certains articles devaient leur passer complètement au dessus de la tête..."
Dans son ouvrage autobiographique, Félix Franc raconte l'aventure de ce petit journal fait avec les moyens du bord : "Le journal comprenait 24 pages, format 15 x 21. Les articles étaient écrits à la main, recopiés, multipliés à l'aide de papier carbone, reliés . Ce fut un énorme travail, accompli les soirs. "
Parmi les principaux rédacteurs, outre Franc, citons Camille Lecrique, décédé en 1992. Originaire des Ardennes, pays de Verlaine et Rimbaud, enseignant à Charleville, il fut un aussi grand poète et un peintre estimé. Evadé trois fois, repris. Le poème « Sorbier de guerre » qui figure ici fut publié après-guerre. Pagès, quant à lui, était originaire du Lyonnais, il était patron d'une petite fonderie-robinetterie. Evadé deux fois et repris.
Dans son ouvrage autobiographique, Félix Franc raconte l'aventure de ce petit journal fait avec les moyens du bord : "Le journal comprenait 24 pages, format 15 x 21. Les articles étaient écrits à la main, recopiés, multipliés à l'aide de papier carbone, reliés . Ce fut un énorme travail, accompli les soirs. "
Parmi les principaux rédacteurs, outre Franc, citons Camille Lecrique, décédé en 1992. Originaire des Ardennes, pays de Verlaine et Rimbaud, enseignant à Charleville, il fut un aussi grand poète et un peintre estimé. Evadé trois fois, repris. Le poème « Sorbier de guerre » qui figure ici fut publié après-guerre. Pagès, quant à lui, était originaire du Lyonnais, il était patron d'une petite fonderie-robinetterie. Evadé deux fois et repris.
Il va de soi que les articles n'étaient pas signés.
LA KARTOFFE
Journal clandestin publié dans le secteur de Dahme
Décembre 1944
Journal clandestin publié dans le secteur de Dahme
Décembre 1944
« Je jure de ne jamais me faire, même par mon silence, le complice des égoïstes et des puissants. »
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FRANC
RECAPITULATION
Cet été, la guerre sur tous les fronts fut l'image même de la guerre moderne. Guerre éclair s'il en fut. Pendant des mois s'accumulent les réserves puis une période d'intenses combats en un point bien précis du front et, enfin, la trouée faite, le débordement du flot blindé coulant dans toutes les directions, sans qu'il soit possible parfois de le situer exactement dans les communiqués. Chose nouvelle, il faut noter la participation efficace des forces de l'intérieur qui, dans chaque pays, au cours de luttes organisées, clandestines et sourdes mais résolues pendant quatre ans, menées brusquement au grand jour avec un don total de soi-même, amena la destruction des arrières de l'adversaire, l'immobilisation de ses réserves et, finalement, le soulèvement de tout un peuple. Ce fut d'abord la bataille pour Rome, la prise de la capitale italienne, la remontée de la péninsule jusqu'à la ligne gothique, en dépit des montagnes et de la résistance allemande. Le front depuis s'est immobilisé à l'entrée de la plaine du Pô et de furieux combats n'aboutissent qu'à des avances locales sur les rives de la Mone et du Mantone.
Le 6 juin, les alliés débarquent en Normandie. Ce fut une des opérations les plus hardies et les mieux préparées de l'histoire. Le mur de l'Atlantique, s'il n'était pas infranchissable, était pourtant un obstacle redoutable et la mer un handicap sérieux pour l'attaquant, des milliers de bateaux draguèrent pendant des semaines des troupes et du matériel. Pendant des semaines, le combat eut lieu sur les quelques kilomètres carrés de la tête de pont normande puis, brusquement, la percée se fit au sud du Cotentin et le flot américain se répandit en Bretagne. Les F.F.I. firent, en grande partie, le reste. L'armée américaine remonta la Loire, fonça sur Paris déjà libéré où se distingua la 2ème division blindée française du Général Leclerc qui reçut du commandant allemand la capitulation de la capitale française. Le 15 août, un nouveau débarquement allié eut lieu dans le midi de la France, répétition en plus petit de celui de Normandie.
Le 6 juin, les alliés débarquent en Normandie. Ce fut une des opérations les plus hardies et les mieux préparées de l'histoire. Le mur de l'Atlantique, s'il n'était pas infranchissable, était pourtant un obstacle redoutable et la mer un handicap sérieux pour l'attaquant, des milliers de bateaux draguèrent pendant des semaines des troupes et du matériel. Pendant des semaines, le combat eut lieu sur les quelques kilomètres carrés de la tête de pont normande puis, brusquement, la percée se fit au sud du Cotentin et le flot américain se répandit en Bretagne. Les F.F.I. firent, en grande partie, le reste. L'armée américaine remonta la Loire, fonça sur Paris déjà libéré où se distingua la 2ème division blindée française du Général Leclerc qui reçut du commandant allemand la capitulation de la capitale française. Le 15 août, un nouveau débarquement allié eut lieu dans le midi de la France, répétition en plus petit de celui de Normandie.
Les Polonais et Canadiens foncent en Belgique et en Hollande, tandis que le reste des armées alliées, y compris la 1ère armée française, arrivent en un front continu au contact de la ligne Siegfried. Depuis quelques mois, la guerre est une guerre de position que trouble seule l'offensive française sur Belfort et Strasbourg. De Julich à Bitche les armées américaines enfoncent lentement le dispositif militaire allemand. Bastion pas bastion, poussant jusqu'à Düren, s'appuyant solidement sur les rives ouest de la Ruhr et de la Sarre, les alliés créent les têtes de pont nécessaires à la prochaine offensive, tandis que l'Allemagne toute entière est sous les coups de l'aviation alliée ! A l'Est, l'offensive partit vers la Finlande pour gagner de sud en sud. De Vitbesk, Orcha, Moghilev, on vit l'armée rouge foncer vers les pays baltes et la Pologne, puis à travers l'Ukraine vers les Balkans. Capitulation de la Finlande et de la Roumanie, de la Bulgarie. Et tandis que le front se stabilisait vers Varsovie et la Suisse orientale, et que les Anglais, avec l'aide de la résistance grecque, libéraient la Grèce, on vit l'armée rouge entrer en Hongrie, encercler Budapest, et pousser deux pointes à moins de 60 km de l'Autriche, procédant à un encerclement gigantesque du territoire allemand. L'Allemagne n'est plus qu'une forteresse assiégée qui doit se suffire à elle-même. Toutes les menaces d'armes nouvelles sont demeurées lettres mortes. Certes, il ne faut pas négliger la force restante de l'adversaire. La police, au front et à l'intérieur, continue son travail de crime. Nous assistons à la mobilisation criminelle des femmes et des enfants, à l'organisation de tout un territoire pour un siège coûteux et long. « Il faut que chaque ville, chaque village soit un Stalingrad pour les alliés » a dit Goebbels. Le dernier assaut sera terrible qui se prépare. N'oublie pas, camarade, que tu es dans la forteresse assiégée. Le présent, s'il ne se traduit pas par des avances spectaculaires est très important et doit t'intéresser. C'est l'heure de la diplomatie, l'heure de l'organisation du monde d'après-guerre, l'heure où s'engage le sort des générations de demain, l'heure où l'on peut tout perdre ou tout gagner.
FRANC
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UN JOURNAL VIENT DE NAITRE ! TON JOURNAL !
Oui, ton journal, car il est né de ta désespérance comme de tes pauvres forces d'exilé. Oui, ton journal, car il porte, comme toi, la marque hideuse du barbelé. Oui, ton journal, car, comme toi, il veut lutter pour un lendemain meilleur. Oui, ton journal et sois-en certain, celui qui, d'une main fiévreuse, trace ses premières lignes, se nourrit de tes peines comme de ton espérance, car ces peines, car cette espérance sont également siennes.
Demain, lorsque levant la tête tu verras dans le grand ciel d'automne, le triangle mouvant des oies sauvages annonciatrices des grands froids et que ton coeur, ton pauvre coeur de « gefang » se pincera en pensant à toutes les misères que tes frères prisonniers vont à nouveau endurer, songe que le coeur de celui qui écrit cet article se serre avec le tien.
Ce bulletin sera le tien parce que le camarade qui transcrit nos textes, parce que le camarade qui nous fournit en nouvelles, parce que le camarade qui nous procure du papier, parce que le camarade qui transporte ce tout souffrent du même froid, mangent la même tartine grise et portent, comme toi, l'uniforme kaki.
Le combat que nous proposons sera rude, nous le savons, mais cela, vois-tu, ne peut qu'exalter notre foi et notre envie de vaincre. Chaque jour, sur toi, déferlent et tombent des tonnes et des tonnes de mensonges sous formes de tracts, d'Union, d'Echos de Nancy, etc. A nous de t'ouvrir une fenêtre sur la Vérité, à nous de t'aider à te débarrasser de ce fatras de palabres, formules et slogans plus ou moins maréchalistes qui n'ont pour but que de t'aveugler et fausser ton jugement. A nous de t'apporter la saine nourriture qui permet de tenir et d'oeuvrer utilement.
Petit organe clandestin, petit papier de rien qui, de poche en poche, de main en main, de tourments en tourments, portera l'écho de nos luttes quotidiennes.
Tu trouveras ici, parfois, hélas, de l'amertume, car nous nous sommes jurés d'être vrais, toujours vrais et qu'au fond de tout prisonnier, il y a une bonne part d'amertume. Mais tu y trouveras aussi cette volonté de continuer envers et malgré tout. Cette volonté faite de notre foi, de notre idéal, de ce qu'il y a de pur en nous. Et cette volonté n'est pas une illusion, mais une réalité vivante.
Parfois, lorsque le cafard, ce même cafard qui t'est si familier, nous étouffera, nous te parlerons tout doucement de la France. Nous te dirons que, là -bas, le ciel y est plus bleu, que la terre y est plus noire, que les épis de blé y poussent plus lourds et que l'avoine y est plus folle. Nous te dirons tout cela et d'autres choses encore que tu sais depuis toujours mais qu'il fait bon se redire lorsqu'on a le mal du pays.
Demain, lorsque levant la tête tu verras dans le grand ciel d'automne, le triangle mouvant des oies sauvages annonciatrices des grands froids et que ton coeur, ton pauvre coeur de « gefang » se pincera en pensant à toutes les misères que tes frères prisonniers vont à nouveau endurer, songe que le coeur de celui qui écrit cet article se serre avec le tien.
Ce bulletin sera le tien parce que le camarade qui transcrit nos textes, parce que le camarade qui nous fournit en nouvelles, parce que le camarade qui nous procure du papier, parce que le camarade qui transporte ce tout souffrent du même froid, mangent la même tartine grise et portent, comme toi, l'uniforme kaki.
Le combat que nous proposons sera rude, nous le savons, mais cela, vois-tu, ne peut qu'exalter notre foi et notre envie de vaincre. Chaque jour, sur toi, déferlent et tombent des tonnes et des tonnes de mensonges sous formes de tracts, d'Union, d'Echos de Nancy, etc. A nous de t'ouvrir une fenêtre sur la Vérité, à nous de t'aider à te débarrasser de ce fatras de palabres, formules et slogans plus ou moins maréchalistes qui n'ont pour but que de t'aveugler et fausser ton jugement. A nous de t'apporter la saine nourriture qui permet de tenir et d'oeuvrer utilement.
Petit organe clandestin, petit papier de rien qui, de poche en poche, de main en main, de tourments en tourments, portera l'écho de nos luttes quotidiennes.
Tu trouveras ici, parfois, hélas, de l'amertume, car nous nous sommes jurés d'être vrais, toujours vrais et qu'au fond de tout prisonnier, il y a une bonne part d'amertume. Mais tu y trouveras aussi cette volonté de continuer envers et malgré tout. Cette volonté faite de notre foi, de notre idéal, de ce qu'il y a de pur en nous. Et cette volonté n'est pas une illusion, mais une réalité vivante.
Parfois, lorsque le cafard, ce même cafard qui t'est si familier, nous étouffera, nous te parlerons tout doucement de la France. Nous te dirons que, là -bas, le ciel y est plus bleu, que la terre y est plus noire, que les épis de blé y poussent plus lourds et que l'avoine y est plus folle. Nous te dirons tout cela et d'autres choses encore que tu sais depuis toujours mais qu'il fait bon se redire lorsqu'on a le mal du pays.
Cependant, nous savons que de rire et de bonne humeur se fait le pain blanc des pauvres gens et aussi ferons-nous nôtres ces paroles du plus complet peut-être des écrivains français:
« Mieux vault de rires que de larmes escrire
Pour ce que rire c'est le propre de l'homme. »
Pour ce que rire c'est le propre de l'homme. »
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CAMARADES DE TOUS LES ARBEITS KOMMANDOS DU SECTEUR,
VOTRE JOURNAL EST NE !
AIDEZ VOTRE JOURNAL A SE DIFFUSER !
VOTRE JOURNAL EST NE !
AIDEZ VOTRE JOURNAL A SE DIFFUSER !
PAGES
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Inexorables, indifférentes à la bêtise des hommes, à leurs luttes, à leurs souffrances ou à leurs joies, les années passent, ramenant une fois de plus Noël. Noël de guerre, d'une guerre monstrueuse et sans fin. La terre a le goût du sang tant elle a bu celui des hommes. La terre n'est qu'une plaie béante par où fuit la force d'un monde. L'horizon, partout, n'est que lueurs d'artillerie et le vent qui vient de la plaine ne porte qu'un immense râle. Ce râle a pris la possession de tout le temps, est allé rejoindre les autres râles éteints des générations mortes par la guerre ! Noël de captivité et de solitude. Là -bas, à la maison que tu as laissée, ta mère essaie, dans les souvenirs, de retrouver les Noëls d'autrefois, les matins pleins de lumière et de bonheur qui chantaient la joie, qui chantaient l'amour. Là -bas, ta femme a mis au lit ton enfant, plus tôt encore que d'habitude parce qu'on est mieux, solitaire, pour recréer une présence dans le silence et parce qu'elle en a assez de retenir ses larmes. Tu es là , vieux camarade, en cette nuit, dans ton kommando sale aux relents de fumées, de sueur et de misère. Tu es descendu au fond même de l'humanité, au fond même de ton âme d'homme, et ta gorge roule tous les sanglots accumulés, et ton coeur et ta chair broient toute la haine, la rancoeur et le remords. Pourquoi es-tu là ? Souviens-toi des Noëls de Paix, symbole de l'enfance, de la famille, de l'espoir et de l'amour ! Très tôt, trop tôt, tu as voulu jouer à l'homme. Tu as voulu devenir le raisonneur, ce qu'on appelle un intelligent et tu as suivi les grands courants, tu as fait taire ta sensibilité et ton coeur par peur du ridicule. Par fanfaronnade, tu as cessé d'être le petit enfant, et tu n'as point vu, aveugle, et tu n'as point senti, blasé, que le coeur était le vrai royaume et que l'enfant est dans le vrai chemin parce qu'il ne cède qu'à l'appel de la Vie. Tu as cru te grandir en te faisant loup parmi les loups. Tu as cédé à l'égoïsme. Tu as vécu dans le petit monde de tes besoins immédiats et tu as fermé les ouvertures sur les grands horizons du rêve. Tu as pris l'habitude de ne regarder qu'à terre, de ne songer qu'à toi, à Toi, le « centre du monde » et ne « pouvant concevoir ce centre que dur et compact, tu t'es fait dur et compact comme l'acier ». La dernière guerre avait mis, en ton sang, je ne sais quel besoin de jouissance, quelle inconscience aussi, et à l'heure où le monde se cherchait, tu jouais au yoyo. Tu paies aujourd'hui. Noël de guerre, Noël d'angoisse et de désespérance. Dehors, c'est la nuit, c'est le vent de chez nous et les sentiers de chez nous. Regarde, sur tous les chemins de la terre et dans toutes les maisons de la terre, c'est malgré tout Noël. Nuit prenante où, pour un instant, tombent toutes les stupidités. Là -bas, dans le trou du mitrailleur, dans le trou du guetteur, dans la coupole blindée du char, c'est aussi Noël. Le soldat le plus farouche, revivant les heures de son enfance, prend conscience de sa bêtise et de son crime. Sur tout le front, passe en ce soir comme un fléchissement. Qu'est-ce-qu'il fiche, ce couillon, avec ce fusil boueux à viser un autre couillon muni d'un fusil semblable. Qu'est-ce-que tu fiches maintenant, vieux frère, à retenir tes larmes, à chercher un sommeil qui ne veut pas venir, à remâcher à pleine bouche le présent âcre et amer. Alors ? Elle est définitive cette désespérance ? Pourquoi me regardes-tu avec ces yeux mauvais ? Pourquoi ce mouvement de recul comme si j'allais te faire du mal. Pourquoi hurlez-vous déjà , tous ? Je sais, vous vous méfiez de moi. Je suis le rêveur qui détruit le petit équilibre de votre monde, l'utopiste. Mais croyez-moi, le monde est au rêveur. Votre monde, à vous, est trop veule, trop égoïste et trop raisonnable pour se refaire. Je suis celui qui dit « assez » quand vous voulez aller plus loin et qui dit « plus loin » quand vous pensez que c'est assez. Vous êtes las et je vous demande plus de fatigue encore. Vous ne voyez que l'arrivée et je vous propose de partir. Vous rêvez d'intérieur douillet, de coin du feu, de petit bien-être, et j'évoque l'odeur des gares, le mouvement des grands trains qui passent et ce goût âcre et sauvage qui est le goût des grands départs… Viens, camarade ! Il faut en finir. Se peut-il que notre humanité soit maudite et que ton fils, et le fils de ton fils soient, un soir de Noël, sur la même paillasse, ou dans la même boue ? Viens, mon frère ! Il n'est jamais trop tard pour recommencer. Parfois, dans le ciel bas d'une journée d'automne, un rayon de soleil éclate brusquement. Et c'est l'été revenu pour une seconde, et toute la richesse et la puissance d'août. Laisse, camarade, dans ton automne, éclater aussi le rayon de l'espérance et de la croyance en un monde nouveau, car il faut croire. Croire aux hommes quand ils donnent, chaque jour, des preuves de leur déchéance, croire à la Paix à l'heure même où les hommes s'entretuent. La tâche est immense. Il faut soulever le poids des habitudes, des égoïsmes, des haines. Mais il faut essayer. Il arrive souvent qu'un grand oiseau d'hiver vole seul dans la grisaille de l'espace. Et quand il a passé, quand tout est redevenu immobile et muet, le paysage garde malgré tout quelque chose de ce vol solitaire qui a déchiré le ciel. Il faut que nous aussi, nous déchirions le ciel de notre humanité malheureuse. Viens ! La nuit est noire. Mais au bout de la nuit, quand on a bien marché, l'aurore se lève et inonde la plaine. Viens, ton pas résonne sur la route et ce pas incertain guide mon pas qui doute. Tu as vu, au bord d'un champ blond, un paysan debout sous le grand soleil. Manches retroussées, il entre à pleine faux, pas après pas et le champ blond se couche, gerbe après gerbe... Entrons nous aussi, à pleine faux. Les générations du passé et celles de l'avenir déjà , sont là qui attendent et qui espèrent. Bâtissons, camarades ! Du fond de notre désespérance doit monter la raison d'espérer. Que les larmes et le sang du présent fassent le bonheur et la joie de demain. Noël de demain ! Noël de Paix ! Les hommes stupéfaits, hébétés devant leur crime, ont déposé les armes. Ils ont pensé, enfin, à construire la Paix, à lui donner les vertus et la virilité de la guerre. C'est Noël. Regarde ! La nuit est criblée d'étoiles. Le ciel est pur et transparent comme du cristal. Et tous les chemins de la terre chantent la chanson des hommes. Regarde ! La joie coule de l'enfance retrouvée. Ecoute ! Ecoute le vent ! Il apporte, comme une promesse mais déjà aussi comme une récompense, avec le carillon des cloches déchaînées, ce déchirement humain, ce cri profond d'espoir venu du fond des âges.
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FRANC
« Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté »
FRANC
NUIT DE SANG
Seul ! Dans l'immense nuit sans astre, sans flambeau
Près de mes compagnons endormis, seul je veille
Qu'un beau rêve a enflammé en l'âme qui sommeille,
Mais vers mon front lucide affluent de froids corbeaux.
Je tremble au coeur du monde, vibre sur un tombeau
Rouges, les astres morts s'égouttent dans la pluie,
Sinistre clapotis rythmant une agonie,
Comme si du ciel noir pleuvait un sang nouveau.
Le sang ! le sang m'inonde en averse nocturne !
Le sang des peuples sur ma lèvre taciturne !
J'ai vu :
Ce soir, le ciel gluant comme un pressoir,
(on vendangeait le sang des âmes, des coeurs noirs) :
Les sorbiers du chemin seront leurs grappes mûres,
Corps de soldats ouverts, scintillant de blessures.
Je vois :
Vivants et morts, comme des crucifix
Dans la nuit, sous des croix brûlantes, sont pliés
Un tourbillon de Christ vont constellés de plaies !
Mais au seuil de l'enfer souris ma Bien-Aimée.
Seul ! Dans l'immense nuit sans astre, sans flambeau
Près de mes compagnons endormis, seul je veille
Qu'un beau rêve a enflammé en l'âme qui sommeille,
Mais vers mon front lucide affluent de froids corbeaux.
Je tremble au coeur du monde, vibre sur un tombeau
Rouges, les astres morts s'égouttent dans la pluie,
Sinistre clapotis rythmant une agonie,
Comme si du ciel noir pleuvait un sang nouveau.
Le sang ! le sang m'inonde en averse nocturne !
Le sang des peuples sur ma lèvre taciturne !
J'ai vu :
Ce soir, le ciel gluant comme un pressoir,
(on vendangeait le sang des âmes, des coeurs noirs) :
Les sorbiers du chemin seront leurs grappes mûres,
Corps de soldats ouverts, scintillant de blessures.
Je vois :
Vivants et morts, comme des crucifix
Dans la nuit, sous des croix brûlantes, sont pliés
Un tourbillon de Christ vont constellés de plaies !
Mais au seuil de l'enfer souris ma Bien-Aimée.
LECRIQUE, octobre 44
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Prisonniers du Stalag III A, photo communiquée par Alain Hubert dont le père, Jean Hubert, était lui-même captif dans ce camp.
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En réalité, vous êtes tous des camarades, vous êtes tous des frères, car vous êtes tous les enfants de la même mère, la Vérité. C'est cela qui vous a engendrés. C'est par elle que vous vivez. C'est elle qui est votre raison d'être et votre force.
Et quand je le prononce en moi ce mot « camarades », je les entend marcher. Ils viennent de partout en foule. J'entends un bruit retentissant et joyeux, comme si toutes les cloches de toutes les églises de la terre sonnaient.
Et quand je le prononce en moi ce mot « camarades », je les entend marcher. Ils viennent de partout en foule. J'entends un bruit retentissant et joyeux, comme si toutes les cloches de toutes les églises de la terre sonnaient.
La Mère
M. GORKI
- EN 2 MOTS -
Langage nazi
Quand les alliés doivent céder du terrain, si peu que ce soit, c'est un « désastre ». Mais quand les armées allemandes doivent fuir d'Anvers, c'est un « succès défensif ».
Staline est un dictateur, Hitler est un chef. Nuance !
Georges Claude, savant français, inventeur de la V1 : un génie. Madame Curie, directrice de l'Institut du cancer « une garce de l'autre côté de l'eau ». Nuance !
Quand les Russes prennent les pays baltes, ils suivent une politique « d'annexion ». Mais quand les nazis s'emparent de la Pologne, de la Tchécoslovaquie et occupent l'Europe, ils suivent une politique de « collaboration ».
Assassiner Philippe Henriot, c'est commettre un crime. D'accord ! Mais assassiner Max Dormoy, socialiste et possesseur des dossiers sur les cagoulards, c'est faire actes de « salubrité publique ». Assassiner Trachmann dans son camp de concentration, c'est « un raid de l'aviation anglaise ». En 1914, « mettre au mur, le citoyen Jaurès et lui coller dans la tête le plomb qui lui manquait, c'était faire son plus élémentaire devoir. »
Quand De Gaulle arrête et condamne, il est « un agent de Moscou ». Mais quand Pétain, en 1940, organisait les camps de concentration de France et d'Afrique, il était « le grand chef aux yeux bleus sauveur de la France ».
Donner 100 gr de pain, par jour, c'est « donner à tous la nourriture ». Mais quand les Parisiens, sous l'occupation alliée ont 300 gr de pain, par jour, c'est « la famine ».
De Gaulle, en Afrique (colonie française) était un « immigré », un « déserteur ». Pétain en Allemagne est un « prisonnier ». Déat, Brunon, Darnand, qui ont fui un territoire adverse sont « commission gouvernementale ».
Quand De Gaulle arrête et condamne, il est « un agent de Moscou ». Mais quand Pétain, en 1940, organisait les camps de concentration de France et d'Afrique, il était « le grand chef aux yeux bleus sauveur de la France ».
Donner 100 gr de pain, par jour, c'est « donner à tous la nourriture ». Mais quand les Parisiens, sous l'occupation alliée ont 300 gr de pain, par jour, c'est « la famine ».
De Gaulle, en Afrique (colonie française) était un « immigré », un « déserteur ». Pétain en Allemagne est un « prisonnier ». Déat, Brunon, Darnand, qui ont fui un territoire adverse sont « commission gouvernementale ».
Nuances ! Nuances !
FRANC
- « L' Angleterre trouvera le châtiment de sa guerre inhumaine » Echo de Nancy, 25 mai 44
Guerre inhumaine ? Nous ne sommes pas curieux, mais tout de même, on voudrait bien voir une guerre humaine ! Est-ce l'anéantissement de Varsovie, la Conventrisation de Londres, les déportations massives ou la fosse commune du Stalag où, sous la couche de chairs, des Russes jetés remuent encore ?
- ENFIN, ON RESPIRE ! « Les Américains ont désarmé la Garde du Pape » Echo de Nancy
Enfin ! On se rend compte, en effet, du terrible danger que fait courir au monde l'armée pontificale, pouvant aligner en cas de conflit contre la puissance américaine, au moins 200 hallebardiers !
- ENFIN, ON RESPIRE ! « Les Américains ont désarmé la Garde du Pape » Echo de Nancy
Enfin ! On se rend compte, en effet, du terrible danger que fait courir au monde l'armée pontificale, pouvant aligner en cas de conflit contre la puissance américaine, au moins 200 hallebardiers !
- LES ALLEMANDS occupant encore la Hongrie, on annonce que la récolte y est EXCELLENTE. Par contre, l'Armée rouge a emmené avec elle, une période de grêle dans les territoires qu'elle occupe.
Il faut voir là l'influence des Juifs et de Moscou.
- TOUT JUSTE ! « Je ne suis pas ému parce que le coeur du combat à l'ouest est à 200 km de Paris. Je ne le serais pas davantage si cette distance diminuait, car je sais que la riposte allemande sera foudroyante. Je donne rendez-vous au début de septembre à tous les persifleurs, à tous les pessimistes. Je pense qu'à cette époque, je pourrai leur dire « N'avais-je pas raison ? »
Jacques de Lesdain, L'Illustration
Oui, en effet, n'avait-il pas raison ? Septembre - quelle année !
- GEOGRAPHIE NOUVELLE - « Depuis l'été, l'assaut est lancé contre l'Europe » Roger Chazerault, “ Le trait d'Union"
Parce que l'Angleterre et la Russie, ce n'est pas l'Europe ! de même pour la France aujourd'hui. La France, c'est seulement la poignée de miliciens réfugiés en Allemagne. C'est tout…
- GRANDEUR NAZIE - Sur les murs, depuis quelques jours, on voit une affiche neuve. Il s'agit de 3 enfants, 3 jeunes, main dans la main, marchant vers l'avenir dans le ciel levant et derrière, un char d'assaut qui fonce : bel aperçu de l'Europe nouvelle, hein, mon camarade !
.Jacques de Lesdain, L'Illustration
Oui, en effet, n'avait-il pas raison ? Septembre - quelle année !
- GEOGRAPHIE NOUVELLE - « Depuis l'été, l'assaut est lancé contre l'Europe » Roger Chazerault, “ Le trait d'Union"
Parce que l'Angleterre et la Russie, ce n'est pas l'Europe ! de même pour la France aujourd'hui. La France, c'est seulement la poignée de miliciens réfugiés en Allemagne. C'est tout…
- GRANDEUR NAZIE - Sur les murs, depuis quelques jours, on voit une affiche neuve. Il s'agit de 3 enfants, 3 jeunes, main dans la main, marchant vers l'avenir dans le ciel levant et derrière, un char d'assaut qui fonce : bel aperçu de l'Europe nouvelle, hein, mon camarade !
DEVANT L'HIVER
Au Kommando, un soir
Comme tous les soirs...
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Pierre: Oui, ça sent le froid ! La « chierie qui va recommencer. Ah ! les mains, les pieds et des godasses qui pompent la flotte.
Jean: Et pourtant, il y a seulement deux mois, on aurait presque rigolé si on nous avait dit qu'on allait se taper un nouvel hiver. Un hiver dans la merde, la neige, le brouillard glacé des matins sans espoir, sans joie, l'arrachement quotidien à nos grabats, nos paillasses poisseuses qui sont pourtant nos paradis de Gefang.
Pierre: Oui, ça gazait bien. On voyait presque la classe à la toucher et ça vous gonflait le coeur à vous en faire chavirer la tête, comme si on était saoul, ivre d'un bonheur auquel, depuis longtemps, on n'ose plus croire.
Jean: Et pourtant, ça viendra bien, la classe, un jour ?
L'emmerdeur: Qu'en sais-tu ? Vois-tu, on n'est pas digne de la voir arriver, la classe, parce que depuis trop longtemps, on a cessé d'être des types biens. Ce que nous sommes ? Des larves ! La classe ? On attend qu'elle vienne. On attend, nous ne sommes plus bons qu'à ça, attendre. Passifs ! On a tout ruiné. Nous nous sommes installés dans la peau de types vaincus. Et on ne peut plus concevoir que ce rôle maintenant. La trouille. Une trouille maison. On n'ose même plus penser courageusement. Les fois. On a les fois pour tout. Il ne faut rien attendre de nous. Rien. Nous sommes vidés. La captivité n'a même pas fait de nous des autres hommes. Même pas. Le même égoïsme. Les mêmes renoncements, les mêmes erreurs qui nous ont conduits à la catastrophe de 39 nous ont suivis dans notre vie de Gefang. Ca ne nous pas rendu vertueux d'être prisonniers. On ne fait que ramper. On n'a pas essayé de s'élever, de prendre de la hauteur. On n'a pensé qu'à nos tripes.
Et dans la captivité, on a voulu retrouver nos trucs de bourgeois. Tiens, quand on désire la classe, c'est de toutes les fibres de notre veulerie pour retrouver les gueuletons d'avant-guerre, le beuveries, les combines, l'arrivisme, la politique du petit copain, tu parles d'un idéal de putain ou de maquereau. Cinq années de sacrifices n'auront servi à rien, cinq années de souffrances pour en arriver à l'idéal signé « Pernod Fils ».
Je te le dis « le ventre et le bas-ventre », voilà pourquoi on vit. L'idéal du Gefang, et je te fais grâce du développement, c'est déjà du rabâché. Le gars qui croyait vivre sur des montagnes de conserves (et quand il y a eu l'offensive Chleue, la razzia, les fouilles du camp, tu n'en as pas dormi de trois jours, et tu as failli en prendre la jaunisse). Et ton tabac, le baume de la souffrance dit la chanson. Pour tirer sur ta souffrance ou sucer ton mégot, tu es prêt à toutes les concessions, toutes les bassesses, toutes ! et ta place, tes caisses, ton paquetage, toutes tes petites habitudes maintenant vieilles de plusieurs années, tout ça te lie plus que tous les barbelés du grand Reich. Tu dis fréquemment maintenant « mes chevaux, mon seigle, mes Kartofs ! Pauvre vieux ! !
Plus de 4 ans qu'on vit avec pour toutes préoccupations d'avoir le ventre plein et quelques fois les couilles vides. Participer, vivre d'une autre vie ? On n'a même pas songé un seul instant que peut-être on était encore bon à quelque chose. Bon à quelque chose. Réhabilitation. Bon à quelque chose, cette simple idée qu'on pourrait faire quelque chose, courir des risques, voilà la trouille qui nous reprend, qui nous rend verts, tremblants, piteux.
Pierre: Mais où veux-tu en venir ? Après 4 années de captivité, tu ne crois pas qu'on a le droit de ramener notre peau en France ?
L'emmerdeur: Oui, je sais, tu vas me la faire au sentiment. Mais au sentiment de « PRIX UNIQUE » qui cache seulement notre égoïsme. Le sacrifice, on accepte qu'il vienne des autres, pas de nous. On a même pas une minute songé que les gars de la Résistance avaient, eux aussi, des maîtresses à aimer, des femmes et des gosses. Eux, c'est normal qu'ils se fassent casser la gueule. Et de penser à tout cela, on n'a même pas honte ?
Jean : Mais qu'est-ce-que tu veux qu'on fasse ici ? La révolution ?
L' emmerdeur: Je ne te parle pas de Révolution encore. Je ne suis pas fou. Je ne joue pas avec la peau des copains, mais j'aurai tellement aimé voir chez les Français, plus de dignité, de courage et de propreté dans notre vie quotidienne. Moi, je crois encore à quelque chose de propre, alors que la plupart d'entre nous ne croient plus à rien. A rien, pardon, la préoccupation essentielle, c'est Moi, moi la larve. Je t'en prie, vieux frère, essayons d'en sortir, mais d'en sortir une bonne fois pour toutes. Commençons par le commencement. La Révolution, c'est en nous qu'il faut la faire, en nous, sincèrement, et vite. Alors l'Autre, quelque nom que tu lui donnes, elle viendra toute seule ; oui toute seule parce que nous serons d'autres hommes, que notre climat quotidien sera différent et qu'il nous sera aussi facile de faire de grandes choses que de patauger à grands pas dans notre triste médiocrité.
Ainsi parlaient trois camarades, un soir de fin d'automne, dans un petit Kommando de « Bauers » alors que, tout autour de la baraque, tombait la pluie allemande, soufflait le vent allemand, alors que sur leurs paillasses mélancoliquement, les Gefangs pleuraient sur leurs illusions de l'été, et que l'hiver allait, une fois de plus, les prendre, les torturer, en faire de pauvres chairs souffrantes. Alors que, plus que jamais, la joie n'appartient qu'aux courageux.
Nous écouterons quelquefois parler les Gefangs. Puissions-nous alors, dépouillés du fatras de nos peines quotidiennes, trouver la vérité et rencontrer l'espoir. Cette petite fille de rien du tout, comme disait Péguy.
“ EN 2 MOTS “
Il y a quelques jours, la radio anglaise annonçait que trois enfants de 8, 10 et 14 ans avaient été fait prisonniers, les armes à la main, dans le secteur d'Aix-la-Chapelle. Nous avions cru d'abord à un bobard, à l'imagination trop vive d'un journaliste ou correspondant de guerre en quête d'un « papier à sensation ». Il n'en est rien. La presse allemande, à son tour, évoque l'héroïsme de ces trois enfants. Ainsi, c'est vrai. Un enfant de 8 ans qui fait le coup de feu avec l'armée allemande. 8 ans ! Des bras qui ne doivent s'ouvrir que pour étreindre maman, se sont ouverts pour la guerre immonde. Ainsi, voici le résultat d'une propagande nationaliste. Voici l'oeuvre des parades et défilés, du petit couteau à la ceinture, de l'uniforme endossé dès le berceau. Ce sera la tâche ineffaçable de tout un régime et de tout un monde que d'avoir toléré qu'on tachât de poudre et de sang la petite main d'un enfant de 8 ans. Et dire qu'en France, « l'Etat français », pendant 4 ans, a voulu établir cela. Dire que, pendant 4 ans, on a voulu associer dans l'esprit de nos gosses, l'idée de guerre à l'état de grandeur ! A défaut de pain, on a voulu les gaver d'idéal faux, de fausse patrie, de faux héroïsme. On les a embrigadé dans les « jeunesses du Maréchal », en groupe, section, et compagnie et on aurait voulu les faire servir...
Heureusement, ça n'a pas marché dans les écoles. On n'a pas réussi. Mais, dis donc, camarade, tu vois ton gamin de 8 ans faire le coup de feu sur un quelconque mur de l'Atlantique ? Saleté ! Et dire qu'on trouve encore quelques francisques aux revers des vestons.
Tellement triste !
« Ces nouvelles armes sont si terribles, si terribles qu'en les voyant, mon coeur a cessé de battre. »
GOEBBELS
Terrible, en effet, et les alliés n'ont plus qu'à demander la Paix. Seulement ! Seulement, on lit dans l'Echo de Nancy du 24 octobre, un article du Commandant Ehmer, commentateur militaire allemand qui doit bien connaître aussi ces armes nouvelles. Il écrit « En ce qui concerne les armes nouvelles, il ne faut pas se laisser aller à des exagérations qui relèvent beaucoup de l'imagination et croire à un miracle qui n'aurait plus aucun contact avec la réalité ».
Alors ? Alors, on a compris. La guerre continue en attendant d'autres alignements de front.
Jean: T'as vu passer les oies sauvages, cet après-midi ?
Pierre: Oui, ça sent le froid ! La « chierie qui va recommencer. Ah ! les mains, les pieds et des godasses qui pompent la flotte.
Jean: Et pourtant, il y a seulement deux mois, on aurait presque rigolé si on nous avait dit qu'on allait se taper un nouvel hiver. Un hiver dans la merde, la neige, le brouillard glacé des matins sans espoir, sans joie, l'arrachement quotidien à nos grabats, nos paillasses poisseuses qui sont pourtant nos paradis de Gefang.
Pierre: Oui, ça gazait bien. On voyait presque la classe à la toucher et ça vous gonflait le coeur à vous en faire chavirer la tête, comme si on était saoul, ivre d'un bonheur auquel, depuis longtemps, on n'ose plus croire.
Jean: Et pourtant, ça viendra bien, la classe, un jour ?
L'emmerdeur: Qu'en sais-tu ? Vois-tu, on n'est pas digne de la voir arriver, la classe, parce que depuis trop longtemps, on a cessé d'être des types biens. Ce que nous sommes ? Des larves ! La classe ? On attend qu'elle vienne. On attend, nous ne sommes plus bons qu'à ça, attendre. Passifs ! On a tout ruiné. Nous nous sommes installés dans la peau de types vaincus. Et on ne peut plus concevoir que ce rôle maintenant. La trouille. Une trouille maison. On n'ose même plus penser courageusement. Les fois. On a les fois pour tout. Il ne faut rien attendre de nous. Rien. Nous sommes vidés. La captivité n'a même pas fait de nous des autres hommes. Même pas. Le même égoïsme. Les mêmes renoncements, les mêmes erreurs qui nous ont conduits à la catastrophe de 39 nous ont suivis dans notre vie de Gefang. Ca ne nous pas rendu vertueux d'être prisonniers. On ne fait que ramper. On n'a pas essayé de s'élever, de prendre de la hauteur. On n'a pensé qu'à nos tripes.
Et dans la captivité, on a voulu retrouver nos trucs de bourgeois. Tiens, quand on désire la classe, c'est de toutes les fibres de notre veulerie pour retrouver les gueuletons d'avant-guerre, le beuveries, les combines, l'arrivisme, la politique du petit copain, tu parles d'un idéal de putain ou de maquereau. Cinq années de sacrifices n'auront servi à rien, cinq années de souffrances pour en arriver à l'idéal signé « Pernod Fils ».
Je te le dis « le ventre et le bas-ventre », voilà pourquoi on vit. L'idéal du Gefang, et je te fais grâce du développement, c'est déjà du rabâché. Le gars qui croyait vivre sur des montagnes de conserves (et quand il y a eu l'offensive Chleue, la razzia, les fouilles du camp, tu n'en as pas dormi de trois jours, et tu as failli en prendre la jaunisse). Et ton tabac, le baume de la souffrance dit la chanson. Pour tirer sur ta souffrance ou sucer ton mégot, tu es prêt à toutes les concessions, toutes les bassesses, toutes ! et ta place, tes caisses, ton paquetage, toutes tes petites habitudes maintenant vieilles de plusieurs années, tout ça te lie plus que tous les barbelés du grand Reich. Tu dis fréquemment maintenant « mes chevaux, mon seigle, mes Kartofs ! Pauvre vieux ! !
Plus de 4 ans qu'on vit avec pour toutes préoccupations d'avoir le ventre plein et quelques fois les couilles vides. Participer, vivre d'une autre vie ? On n'a même pas songé un seul instant que peut-être on était encore bon à quelque chose. Bon à quelque chose. Réhabilitation. Bon à quelque chose, cette simple idée qu'on pourrait faire quelque chose, courir des risques, voilà la trouille qui nous reprend, qui nous rend verts, tremblants, piteux.
Pierre: Mais où veux-tu en venir ? Après 4 années de captivité, tu ne crois pas qu'on a le droit de ramener notre peau en France ?
L'emmerdeur: Oui, je sais, tu vas me la faire au sentiment. Mais au sentiment de « PRIX UNIQUE » qui cache seulement notre égoïsme. Le sacrifice, on accepte qu'il vienne des autres, pas de nous. On a même pas une minute songé que les gars de la Résistance avaient, eux aussi, des maîtresses à aimer, des femmes et des gosses. Eux, c'est normal qu'ils se fassent casser la gueule. Et de penser à tout cela, on n'a même pas honte ?
Jean : Mais qu'est-ce-que tu veux qu'on fasse ici ? La révolution ?
L' emmerdeur: Je ne te parle pas de Révolution encore. Je ne suis pas fou. Je ne joue pas avec la peau des copains, mais j'aurai tellement aimé voir chez les Français, plus de dignité, de courage et de propreté dans notre vie quotidienne. Moi, je crois encore à quelque chose de propre, alors que la plupart d'entre nous ne croient plus à rien. A rien, pardon, la préoccupation essentielle, c'est Moi, moi la larve. Je t'en prie, vieux frère, essayons d'en sortir, mais d'en sortir une bonne fois pour toutes. Commençons par le commencement. La Révolution, c'est en nous qu'il faut la faire, en nous, sincèrement, et vite. Alors l'Autre, quelque nom que tu lui donnes, elle viendra toute seule ; oui toute seule parce que nous serons d'autres hommes, que notre climat quotidien sera différent et qu'il nous sera aussi facile de faire de grandes choses que de patauger à grands pas dans notre triste médiocrité.
Ainsi parlaient trois camarades, un soir de fin d'automne, dans un petit Kommando de « Bauers » alors que, tout autour de la baraque, tombait la pluie allemande, soufflait le vent allemand, alors que sur leurs paillasses mélancoliquement, les Gefangs pleuraient sur leurs illusions de l'été, et que l'hiver allait, une fois de plus, les prendre, les torturer, en faire de pauvres chairs souffrantes. Alors que, plus que jamais, la joie n'appartient qu'aux courageux.
Nous écouterons quelquefois parler les Gefangs. Puissions-nous alors, dépouillés du fatras de nos peines quotidiennes, trouver la vérité et rencontrer l'espoir. Cette petite fille de rien du tout, comme disait Péguy.
“ EN 2 MOTS “
Il y a quelques jours, la radio anglaise annonçait que trois enfants de 8, 10 et 14 ans avaient été fait prisonniers, les armes à la main, dans le secteur d'Aix-la-Chapelle. Nous avions cru d'abord à un bobard, à l'imagination trop vive d'un journaliste ou correspondant de guerre en quête d'un « papier à sensation ». Il n'en est rien. La presse allemande, à son tour, évoque l'héroïsme de ces trois enfants. Ainsi, c'est vrai. Un enfant de 8 ans qui fait le coup de feu avec l'armée allemande. 8 ans ! Des bras qui ne doivent s'ouvrir que pour étreindre maman, se sont ouverts pour la guerre immonde. Ainsi, voici le résultat d'une propagande nationaliste. Voici l'oeuvre des parades et défilés, du petit couteau à la ceinture, de l'uniforme endossé dès le berceau. Ce sera la tâche ineffaçable de tout un régime et de tout un monde que d'avoir toléré qu'on tachât de poudre et de sang la petite main d'un enfant de 8 ans. Et dire qu'en France, « l'Etat français », pendant 4 ans, a voulu établir cela. Dire que, pendant 4 ans, on a voulu associer dans l'esprit de nos gosses, l'idée de guerre à l'état de grandeur ! A défaut de pain, on a voulu les gaver d'idéal faux, de fausse patrie, de faux héroïsme. On les a embrigadé dans les « jeunesses du Maréchal », en groupe, section, et compagnie et on aurait voulu les faire servir...
Heureusement, ça n'a pas marché dans les écoles. On n'a pas réussi. Mais, dis donc, camarade, tu vois ton gamin de 8 ans faire le coup de feu sur un quelconque mur de l'Atlantique ? Saleté ! Et dire qu'on trouve encore quelques francisques aux revers des vestons.
Tellement triste !
« Ces nouvelles armes sont si terribles, si terribles qu'en les voyant, mon coeur a cessé de battre. »
GOEBBELS
Terrible, en effet, et les alliés n'ont plus qu'à demander la Paix. Seulement ! Seulement, on lit dans l'Echo de Nancy du 24 octobre, un article du Commandant Ehmer, commentateur militaire allemand qui doit bien connaître aussi ces armes nouvelles. Il écrit « En ce qui concerne les armes nouvelles, il ne faut pas se laisser aller à des exagérations qui relèvent beaucoup de l'imagination et croire à un miracle qui n'aurait plus aucun contact avec la réalité ».
Alors ? Alors, on a compris. La guerre continue en attendant d'autres alignements de front.
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FRANC
Tu veux rentrer, camarade. Tu veux la Paix. Montre-toi digne d'elle. Construis-la dans ta raison, et dans ton coeur. Car la Paix n'est pas le règne de la facilité et de la jouissance. Bien plus encore que la guerre, elle se gagne par le sacrifice et par l'effort.
« C'est quand ils diront la Vérité,
qu'alors seulement les hommes finiront par s'entendre. »
Tolstoï
Tu veux rentrer, camarade. Tu veux la Paix. Montre-toi digne d'elle. Construis-la dans ta raison, et dans ton coeur. Car la Paix n'est pas le règne de la facilité et de la jouissance. Bien plus encore que la guerre, elle se gagne par le sacrifice et par l'effort.
« C'est quand ils diront la Vérité,
qu'alors seulement les hommes finiront par s'entendre. »
Tolstoï