Wednesday, December 06, 2023

Depuis des décennies, une interrogation demeure à  propos du bombardement aérien qui frappa le Forez le 18 juin 1940. Qui est responsable, l'aviation italienne ou l'aviation allemande ? M. Manevy nous apporte quelques éléments de réponse. Pour ce passionné d'aviation, il ne fait aucun doute que c'est bien la Luftwaffe qui a commis l'attaque.

Article publié en 2007, refait et augmenté en 2017 (lire en bas de page)

On connait surtout le terrible bombardement américain de 1944 qui ravagea Saint-Etienne. Mais il y eut un autre bombardement qui frappa le Forez le mardi 18 juin 1940, le jour même où un obscur général lançait depuis Londres son appel à  la résistance. Ce bombardement toucha surtout Bonson et Firminy. Jérôme Truchon dans La Gazette en juin 2004, à l'occasion de l'anniversaire de ce bombardement à Firminy, explique: "Ces sept avions, qui s'avèrent être des bombardiers en piqué, commencent alors leur descente sur la plaine où sont installés les usines Verdié. " On a entendu les explosions dans les usines Verdié mais aussi autour. On a vraiment eu peur ", explique une appelouse qui avait une dizaine d'années à  l'époque des faits. Les bombardiers feront deux passages avec bombes et mitraillage sur tout le quartier. Pendant de nombreuses années, ces sept avions ont été décrits comme appartenant à  l'armée italienne. Une version qui semble aujourd'hui être contestée. En effet une autre thèse considère que c'est l'armée allemande qui s'est rendue coupable de ce bombardement."

Nous avons reçu ces derniers temps plusieurs messages de M. Manevy pour lequel il ne fait aucun doute que c'est la Luftwaffe qui est responsable du bombardement de 1940. De ces échanges, nous faisons ici une modeste synthèse en le remerciant pour ces précisions passionnantes.

La célèbre croix noire allemande et les faisceaux de licteurs italiens

" Permettez-moi tout d'abord de me présenter brièvement. Je suis professeur d'histoire au collège de Panissières et je m'intéresse depuis longtemps à  l'aviation. J'ai écrit un mémoire sur l'armée de l'air en Indochine sous la direction de Mme Luirard* et j'ai écrit quelques articles dans la presse spécialisée, en particulier sur ce sujet et à  propos des porte-avions. Je suis aussi maquettiste (les avions bien sûr) et j'organise le salon de la maquette de Saint-Etienne.

C'est en 1997 que je me suis intéressé au bombardement de 1940. Installé sur la commune de Bonson, j'appris lors d'une conversation que les Italiens avaient bombardé le village, causant de nombreux morts. Une affirmation qui m'a plus que surpris. En mai 2004, cette théorie d'une agression italienne me revint aux oreilles lors d'un stage aux Archives départementales quand lors d'une conférence deux intervenants confirmèrent le rôle de nos voisins transalpins. J'en parlais alors avec deux collègues, MM. Michel Depeyre et J.-M. Steiner que je rencontre de temps à  autre par le biais du Mémorial de la déportation et de la Résistance de Saint-Etienne. Eux aussi m'ont confirmé la responsabilité italienne. Je me proposais alors d'essayer de tirer cette histoire au clair.

Aujourd'hui je considère pour ma part que c'est la bien la Luftwaffe de Goering qui est seule responsable. L'attribution de l'attaque aux Italiens est du registre de la rumeur. Elle n'est d'ailleurs pas isolée, on la retrouve à  Givors mais aussi à  Tours ou Orléans. D'abord certains témoignages évoquent des avions portant des cocardes tricolores. Ce n'est pas crédible, pendant la Seconde guerre mondiale, les avions italiens ne portaient pas la cocarde verte-blanche-rouge actuelle mais les faisceaux noirs du régime mussolinien dans un cercle blanc. Je sais aussi par expérience qu'il est très difficile d'identifier clairement les insignes des avions en vol, alors vous imaginez bien sous un déluge de bombes ! Par ailleurs, mes recherches à  ce sujet m'ont permis de mettre en évidence une impossibilité technique : le rayon d'action limité des chasseurs italiens escortant les bombardiers. Il ne faut pas voir ici les possibilités de vol de tel ou tel chasseur en ligne droite, c'est à  dire simplement un aller-retour tranquille, mais tenir compte du survol des Alpes, des détours et des possibilités de réaction de la chasse française. Laquelle d'ailleurs contrairement à  un préjugé a causé de nombreuses pertes à  l'aviation ennemie, italienne en particulier. D'autre part, un accord tactique entre l'Allemagne et l'Italie prévoyait pour cette dernière de ne pas intervenir au delà  du 45ème parallèle. Ses interventions restaient donc limitées aux côtes méditerranéennes et aux Alpes. Enfin, les archives italiennes ne font état que d'une seule mission le jour du 18 juin, une mission de reconnaissance (sur Grenoble, ndFI) d'ailleurs avortée en raison de mauvaises conditions météo.

L'hypothèse italienne écartée, il me restait à  essayer d'en savoir plus sur l'escadrille allemande responsable de l'attaque. Après quelques échanges avec Mme Evelyne Py, professeur d'histoire de Givors et M. Lucien Morareau, historien de l'aviation, j'ai cerné l'unité allemande. Tout d'abord la synthèse quotidienne de la Luftflotte III indique des opération d'interdiction sur l'axe Montbrison-Saint-Etienne ainsi que l'attaque de la gare de Firminy. Par le biais d'internet, je contactais des chercheurs allemands qui me confirmaient plus précisément qu'en juin 1940, le groupe de bombardement KG 55 Greif avait opéré sur le Massif Central. Enfin la consultation d'un ouvrage que me prêta mon ami Michel Cristescu, spécialiste de l'aviation allemande confirma que le 18 juin 1940, ce groupe avait effectué des missions dans la région de Saint-Etienne. Il me reste encore à  contacter les archives allemandes pour obtenir si possible les rapports précis sur ces opérations.

Concernant le groupe KG 55, il était commandé en 1940 par l'OB Stoekel et prépara le terrain à  la division SS Adolf Hitler qui précéda elle même le gros des troupes dans le Forez en 1940. Par la suite il devait participer au blitz sur l'Angleterre et aux opérations en terre russe. Il fut au combat durant tout le conflit jusqu'à  la chute du IIIème Reich. Les avions responsables de l'attaque sur le Forez étaient des Heinkel 111, il s'agit de bombardiers bimoteurs de 14 tonnes avec une demie douzaine de mitrailleuses et pouvant emporter 2, 5 tonnes de bombes. Ces bombes larguées, dont certaines n'ont pas explosé, avaient chacune un poids de 50 kg.

Reste une question, pourquoi cette allusion tenace à  propos d'une agression italienne ? Je pense pour ma part que la propagande de Vichy y est pour beaucoup. Cette hypothèse servait, dans l'esprit d'une France défaite à  accréditer la théorie du " coup de poignard dans le dos "**. Encore une fois, je connais bien les avions d'aujourd'hui et même avec l'habitude il reste extrêmement difficile d'identifier leur nationalité. Lors de l'attaque de 1940, seule la DCA de Firminy est intervenue, sans succès, et ses servants n'avaient guère de formation pour reconnaître les avions".

Ajoutons en complément que dans un numéro de la revue Village de Forez, en avril 2017, Antoine Cuisinier, natif de Saint-Marcellin-en-Forez, est revenu longuement sur cette controverse en évoquant divers "souvenirs" et en citant plusieurs témoignages d'habitants de Boën et alentours. Il explique que les Italiens étaient nombreux à travailler dans les tuileries des Plantées, à l'entrée de Saint-Marcellin, tout près donc de Bonson, et que selon certains, ceux-ci auraient fêté l'événement. "On parle même de champagne", écrit-il. Boën fut aussi bombardé et mitraillé sans pertes humaines. "Un raid d'intimidation" avant les principaux objectifs qu' étaient Bonson et Firminy où les attaques firent respectivement 70 morts (majoritairement des militaires mais aussi le maire de Bonson) et 18 morts.

* Mme Luirard a écrit entre autres Le Forez et la Révolution nationale et La région stéphanoise dans la guerre de 1939-45.

** Rappelons que l'Italie a déclaré la guerre à  la France quand cette dernière était déjà à genoux. Ce qui ne l'a pas empêché de subir de sérieux revers, notamment sur le front des Alpes.