Pendant que les rues de Saint-Etienne sont rebaptisées, l' armée des ombres s'organise. Premières actions et premières réactions.
De l'entrevue de Montoire au retour des uniformes feldgrau
Montoire et première mesures contre les sceptiques
La tragédie de Mers-el-Kébir qui vit la flotte anglaise ouvrir le feu sur la marine française (pour qu'elle ne tombe pas aux main des Allemands) ancrée et incapable de se défendre jeta la stupeur puis la haine de l'anglais dans les esprits. Les journaux foréziens comme toute la presse nationale vocifèrent contre la perfide Albion et du même coup applaudissent à l'échec des Anglo-Gaullistes devant Dakar. De Gaulle d'ailleurs, apparaît pour beaucoup comme un obscur aventurier. Dans les mentalités foréziennes en tout cas, il ne fait pas le poids devant le prestige du Maréchal et la majorité de la société du pays vit à l'unisson de la politique nationale menée par son gouvernement.
La liberté syndicale est répudiée, la C.G.T. interdite entre dans la clandestinité. Belin, ministre du travail de Vichy, vient mettre en place à Saint-Etienne les délégations spéciales désignées par le gouvernement en remplacement des municipalités dissoutes. Le maire, Ferdinand Faure est remplacé par Amédée Guyot le 22 novembre 1940. Une des premières mesures de la municipalité vichyste à Saint-Etienne fut de débaptiser les rues pourtant des noms évoquant l'idéal de gauche ou la République au profit de l'idéologie militaire et nationale: la place Jean Jaurès devient la place Marengo, la place Anatole France devient la place Badouillère, la place Jules Guesde devient la place de la Croix, la rue des mutilés du travail devient la rue de la charité, la rue de l'Internationale devient la rue de Dunkerque, le boulevard Karl Marx devient le boulevard Poincaré, la rue de la République devient la rue nationale, la rue Edouard Vaillant devient la rue de la caserne. Aujourd'hui encore, les deux noms cohabitent et sont utilisés par les Stéphanois.
Plusieurs centaines de jeunes compagnons de France travaillent dans les chantiers des " commanderies " et " baillages " du pays de Forez, la légion des volontaires foréziens oeuvre à leurs côtés à l'établissement de la nouvelle France. Et puis c'est l'entrevue de Montoire entre Hitler et Pétain, le 13 décembre 1940. Le gouvernement de Vichy entre de plein pied dans la collaboration. Bien avant déjà , le 28 octobre le Mémorial de la Loire avait annoncé la couleur: " La France est prête à s'intégrer dans l'ordre nouveau européen. Une collaboration franco-allemande ouvre la perspective d'une paix féconde."
Les autorités commencent dès 1940 à faire surveiller en permanence la correspondance de quelques personnes sur le compte desquelles elles éprouvent des craintes. Trois personnes dans la plaine, deux dans les monts du Forez et trois à Moingt font l'objet d'une attention toute particulière notamment le comte de Neufbourg. Début 1942, ce sont 301 personnes qui sont surveillées avec diligence, 125 d'entre elles sont considérées dangereuses par les services de police. Les listes de police indiquent également la catégorie socioprofessionnelle auxquelles elles appartiennent. Les ouvriers sont les plus nombreux, suivent les artisans-commerçants et les fonctionnaires. 23 personnes appartenant au monde agricole sont fichées. Parmi elles, un journalier de Saint-Agathe condamné le 22 janvier 1942 par le tribunal de Montbrison à un mois de prison pour offenses envers Pétain. Parmi les fonctionnaires, plus de la moitié sont des instituteurs en exercice ou à la retraite.
Vers la revanche
Les conditions d'armistice de 1940 signées par la France stipulaient que les dépôts d'armes non utilisées par l'armée française d'armistice devaient être livrés aux forces allemandes ou italiennes. La Loire avec la Manufacture d'armes de Saint-Etienne et son parc d'artillerie à Roanne est un véritable arsenal. En 1940, près de 25 000 armes sortaient des usines chaque mois, pistolets mitrailleurs MAS 38, fusils MAS 36, mitrailleuses, etc. Les Allemands avaient créé une commission de contrôle répartie en trois secteurs en zone occupée (à Clermont, Lyon et Toulouse) afin de :
1_Inventorier le matériel
2_Neutraliser le surnombre
3_Empêcher l'armée française de se réarmer et la population de s'armer.
Dans le Forez, deux dépôts d'armes, à Montrond et à Saint-Etienne doivent donc être déménagés et camouflés pour qu'ils ne tombent pas aux mains des Allemands. C'est le but que se donne le CDM soit " Camouflage du matériel " dont le capitaine de Loisy (de Saint Galmier)est le responsable pour la Loire.
Le comte de Neufbourg en particulier est sollicité par l'intermédiaire du général Boucherie de Cuzieu et du capitaine de Loisy. Aidé des " ses gens " il camoufle près de 800 000 cartouches de mitrailleuse et 25 fusils-mitrailleurs dans sa ferme de Biterne. M. Paul Guichard aidé de son père Georges Guichard prend chez lui près de Poncins, 25 mitrailleuses soigneusement démontées. Le capitaine de Loisy donne l'exemple et cache 15 fusil-mitrailleurs dans le château de la Doue à Saint-Galmier. Madame de Lavernette cache à Veauche une camionnette et six side-cars. Le temple protestant de Saint-Etienne en cache aussi, de même le curé de Pralong et les bonnes soeurs de l'Hospice à Saint-Chamond. Les troupes allemandes n'eurent pas le temps de rechercher activement ces dépôts clandestins et se contentèrent de saisir les gendarmeries.
L'existence de ces armes est signalée à Londres. Après le retour des Allemands en 42, l'existence de ces armes est indiquée à la Kommandantur. Les Allemands ordonnent que toutes les armes leur soient livrées y compris les armes de chasse et les sabres sous peine de mort. Un colonel allemand vient chez de Neufbourg et s'étonne de ne rien trouver. La nuit précédente les cartouches furent immergées dans les étangs des environs et les armes cachées dans des meules de foin. "Qu'auriez vous fait à ma place ?" demande le comte à l'officier. "Mais la même chose que vous !" Le comte de Neufbourg recevra plus tard une autre visite, beaucoup moins distinguée cette fois.
Toutes ces armes seront distribuées en Avril 44 à divers maquis de l'Allier, de la Saône et Loire et du Forez. Grâce à ces armes, les maquis de la Loire furent parmi les mieux équipés de Rhône-Alpes. Quand au CDM, il jeta les bases d'une organisation territoriale qui sera reprise par l'Armée Secrète.
Attitudes de refus face à Vichy
Les premières agitations ont lieu à l'automne 1940. Elles sont le fait de l'extrême gauche. L'armature du parti communiste est refaite par des militants étrangers au département car les chefs du parti sont emprisonnés en Algérie après l'interdiction du PC. La propagande, devenue dangereuse ne se fait plus publiquement et agit en particulier sur l'esprit des femmes dont les maris ont été l'objet de sanctions administratives. Une manifestation a lieu à Saint Etienne le 20 août 1940, suivie de 19 inculpations. Les zones les plus touchées par l'agitation communiste sont les vallées du Gier et de l'Ondaine surtout Firminy et Rive-de-Gier. A Bouthéon, la cellule communiste dissoute essaye de se reconstituer. A Montbrison, une lettre anonyme informe la Préfecture que des réunions clandestines ont lieu à la Maison du Peuple. A Saint-Romain-le-Puy et Sury, des tracts sont distribués qui mettent la police de Vichy en émoi. Il reste que le parti connaît des temps difficiles, de 4000 membres avérés en 1939, il n'a plus que 900 adhérents illégaux.
Dans les milieux catholiques, les groupements se font plus lentement. La grande majorité des fidèles foréziens souscrit au programme pétainiste. Pourtant beaucoup se défient aussi du culte rendu au maréchal et protestent à Saint-Etienne contre les paroles du cardinal Gerlier " Pétain c'est la France " et qui appelle les Stéphanois à " travailler, se taire et prier ". A Pralong, le curé de la paroisse se voit proposer le secrétariat de la Mairie. Après quelques hésitations il accepte et prend connaissance du programme politique de Vichy en ce qui concerne la jeunesse. Trouvant son embrigadement dangereusement proche des menées nazies, il contacte d'autres ecclésiastiques du Montbrisonnais. Un groupe se forme et se réunit régulièrement sous la direction de Mgr Duperray. Il collecte des informations, prend connaissance des Cahiers du Témoignage Chrétien imprimés dans une église de Saint-Etienne (celle de l'abbé Ploton au Crêt de Roch) et des lettres des hommes d'église allemands. Petit à petit, le groupe réalise les persécutions dont sont victimes les juifs et devine l'existence des camps de concentration.
Avec ces données, les prêtres préparent leurs sermons, organisent des conférences, distribuent des publications. A Chazelles, les deux vicaires de la paroisse (les abbés Beal et Labrosse) organisent également une conférence sur le nazisme qui attire 300 personnes. Citons encore l'abbé Pacalet de Panissières et l'abbé Poyet de Montchal. Plus tard ces deux là s'en iront une nuit risquer leurs vies pour donner une sépulture décente à des maquisards tués par les Allemands. A Saint-Etienne encore, citons le père Treyve de la paroisse de Valbenoite qui cache un poste émetteur dans son église. Après le retour des Allemands en 42, il recevra un jour la visite d'une drôle de paroissienne qui après la confession se met à larmoyer en demandant de l'aide. Son mari, clandestin a besoin d'une fausse carte d'identité. Le curé hésite puis déclare qu'il ne peut rien faire pour elle. C'était une gestapiste et ses collègues, dans la rue n'attendaient que son signal pour investir l'église.
A Saint-Germain-Laval, un conseiller municipal démissionne en 1941, dans sa lettre il écrit: "Depuis le 1er mai, je n'ai pas assisté aux réunions du conseil municipal dont je fais partie depuis 1919. Elu sur une liste radicale, fils et petits fils d'ardents républicains, j'ai vu avec regret disparaître nos dernières libertés. N'ayant plus l'échine assez souple pour tout accepter et me plier sous les ordres du nouveau régime, je me retire."
Antoine Pinay, maire de Saint-Chamond et futur ministre des finances remet sa démission le 6 octobre 1942. Pas de réponse. Il réitèrera sa demande en avril 43 après avoir déchiré le portrait de Laval devant le conseil municipal. Sa demande sera acceptée mais bizarrement, il restera en poste. L'instauration du nouveau régime entraîne des conflits entre autorités et conseils municipaux à Périgneux et à La Talaudière.
Une grande manifestation silencieuse à Saint-Etienne le 1er mai 1942 est suivie le 14 juillet d'une autre manifestation où la Marseillaise est chantée et le " Service d'Ordre Légionnaire " est sifflé.
M. Aubert, commissaire central à Saint-Etienne prononce les paroles rituelles tandis que ses collaborateurs attendent à leur tour de jurer fidélité. Cérémonie présidée par Georges Potut, Préfet de la Loire ' Le Mémorial de la Loire, 10 août 1942
Les mouvements et journaux de la Résistance
Une multitude de journaux est diffusée dans le Forez. De tendances politiques diverses, ils portent les noms des mouvements nationaux ou typiquement locaux qui les diffusent. Pendant les six premiers mois de 1942, le Forez fût le principal centre de publication de journaux résistants dans toute la région Sud-Est.
Les mouvements nationaux:
-" Combat " issu en 41 du " Mouvement de Libération Nationale " fondé en 1940 par Henri Frenay (journal: Les petites ailes) et de " Liberté ", fondé à Clermont par François de Menthon.
-" Libération " fondé en novembre 40 à Clermont-Ferrand par le journaliste Emmanuel d'Astier de la Vigerie et qui réunit autours de lui Lucie Aubrac et Jean Cavallès. Ce mouvement a pour but de rassembler les syndicalistes et les sympathisants de gauche.
-" Franc-Tireur " est créé en septembre à Lyon.
Ces trois grands mouvements forment chacun des Groupes Francs qui sont des petits groupes mobiles d'actions directes, sabotages, attentats... En 1943 les mouvements Franc-Tireur, Combat, et Libération formeront les " Mouvements Unis de la Résistance " et leurs groupes francs " l'Armée Secrète ", sa branche militaire.
Au niveau local:
Dès 1940, le Stéphanois Jean Nocher de son vrai nom Gaston Charon écrit des critiques à l'encontre de Vichy et de l'Allemagne nazie dans la Tribune Républicaine. Son journal est violemment pris à partie par la presse de collaboration (les journaux " Gringoire et Je suis partout). Il crée " l'Espoir " (devise du Forez) fin 1941. Le premier numéro du journal du même nom précède de 8 jours le premier numéro de Franc-Tireur et de deux semainescelui de Combat. Il est tiré à 15 000 exemplaires. Six autres numéros paraîtront.
" 93, les héritiers de la Révolution française " de Violette Maurice (qui participe aussi à Espoir) compte dans ses rangs des étudiants et de nombreuses jeunes femmes. Toute la famille Maurice participa à la Résistance. Ses soeurs Mireille et Marguerite dans le secteur de Carpentras. Le premier numéro de 93 fut imprimé à 25 000 exemplaires. En 1942, Espoir est absorbé par Franc-Tireur et en 1943 c'est 93, malgré l'opposition de Violette Maurice.
Lucien Neuwirth dans Du fournil au peloton d'exécution (1986) évoque la naissance d'Espoir: " Le groupe Espoir jaillit ainsi d' une rencontre entre une jeunesse généreuse et un journaliste décidé que réunit une voix lointaine portée par les ondes et qui dit: " Battez-vous, et la France redeviendra elle-même ! A Saint Etienne, c'est d'abord la jeunesse qui se dresse. René Seyroux, Claudius Volle, Denise Bonhomme, Roger Faure-Dauphin, Henri Perrin dit CV* et Violette Maurice, ces deux derniers seront déportés.
N'est-ce pas mon petit CV, toi qui étais un tendre, un vrai croyant, toi qui me dis un jour: " Il n'y a qu'un commandement qui compte dans la vie, c'est tu ne tueras point ! " mais qui devins plus tard chef régional, responsable du sabotage des voies ferrées, et qui te promenas durant six mois avec ta serviette pleine d'explosifs voisinant avec ta Bible marquée au Cantique des Cantiques ?"(Les clandestins, Jean Nocher, 1946)
* CV signifie " Cheval-vapeur ", Perrin était fils de cheminot et deviendra le responsable régional de la Résistance-Fer.
Dès le 6 septembre 1940, Nocher avait fait diffuser 2000 exemplaires de l'appel à la résistance du général Cochet, commandant des forces aériennes de la 5ème armée. Lucien Neuwirth (16 ans) qui a pris contact avec Nocher apprend que la soeur de De Gaulle est à Saint-Etienne (son époux Pierre Caillau vient d'être affecté aux Mines de la Loire). Il lui rend visite et récupère une photo de de Gaulle qui sera imprimée et diffusée. De la sorte certains Foréziens pourront mettre un visage sur ce nom qui à leurs yeux incarne la vraie France. Par la suite, Neuwirth en danger gagnera l'Angleterre. Il sera parachuté en Bretagne avec les paras FFL de Bourgoin quelques jours avant le 6 juin 44, en préparation du débarquement. Très peu de Foréziens gagnèrent Londres ou Alger, à notre connaissance seuls Lucien Neuwirth, Mlles Heurtier et Roederer (Alger) y parvinrent. Mr Oriol de Saint-Etienne tenta l'aventure sans succès, son fils trouva la mort durant la tentative.
A propos de Neuwirth, on ne peut pas ne pas relater une anecdote extraordinaire évoqué par Georges Ziegler dans son ouvrage Album de famille des Stéphanois: Neuwirth, parachuté en France fut pris par les Allemands et fusillé ! On le laisse pour mort et il est toujours vivant. Une pièce de monnaie avait détourné la balle qui allait le frapper à la poitrine.
Un certain nombre de Foréziens diffusent différents journaux à la fois. Par conséquent il n'est pas toujours facile d'appréhender la trame de ces journaux-réseaux qui s'entremêlent. Ainsi l'abbé Robert Ploton, à Saint-Etienne participe à la fois à Témoignage chrétien et à Combat. Jean Nocher d'Espoir assume également la direction départementale du journal Franc-Tireur. Fernand Bonis à Andrézieux et Mirabel, dirigeant de la C.F.T.C. (Conf. française des Travailleurs Chrétiens) à Chazelles sont à la fois à Combat et Libération. Aux côtés de Mirabel à Combat il y a l'abbé Labrosse. Le groupe Combat de Chazelles compte 60 membres. Jean Perrin reçoit la visite de Frenay et devient responsable départemental de Combat. Il mettra ses imprimeurs à la disposition d'autres organisations pour l'impression de leurs journaux.
D'autres journaux à plus petits tirages se nomment Vérités (catholiques), le Père Duchesne ou encore le coq enchaîné créé à Lyon par Jean Fousseret, journal de gauche non-communiste et dirigé jusqu'en 1942 à Saint-Etienne par Pointu, à Montbrison par Fouilleron et à Rive-de-Gier par Louis Pingon. Réseau influent dans les milieux franc-maçons et de la Libre Pensée. Citons enfin L'Insurgé qui recrute dans les milieux libertaires de la gauche révolutionnaire, essentiellement dans la région stéphanoise.
Premières actions et réactions
Des journaux sont extraits certains articles imprimés sur des tracts plus facilement diffusables. Ils sont glissés dans les boites aux lettres, placardés sur les arbres et les portes. Fernand Bonis fabrique un poste émetteur qu'il baptise " Nouvelle France " et répond à un prêtre qui lui fait remarquer qu'il lui faut songer à sa situation parentale avant de s'engager, que c'est justement à cause d'elle qu'il entre dans la résistance. Dénoncé il subit une perquisition policière et confie in extremis un carnet d'adresses à son bébé. Le but des services de Vichy est de démanteler les groupes Combat et Témoignage chrétien. Incarcéré à Lyon, il n'est condamné qu'à trois mois de prison mais réussit à s'évader. Par la suite Bonis rejoindra les Forces Françaises libres à Londres et sera tué en Bretagne où il avait été parachuté en Juillet 44.
En juillet 1940 apparaissent les premières inscriptions sur le sol et les murs. Le 20 juillet 1941, 27 platanes de Feurs sont marqués du " V " de la victoire, de croix de Lorraine et d'inscriptions " Vive de Gaulle " à la craie ou à la chaux. Des avions larguent des tracts sur différents cantons du Forez. En décembre 41, des tracts sont ramassés dans les rues de Boen par des passants. Début 42, d'autres courriers tombés du ciel sont éparpillés dans les monts du lyonnais à Jas et Virigneux. A Chazelles, les groupes locaux de la résistance glissent dans les boites aux lettres des insultes envers Pétain et Darlan ainsi que des menaces contre les autorités préfectorales et les magistrats.
Certains individus passent devant les tribunaux pour avoir proférer des insultes contre le gouvernement. En mai 41, un réfugié du Nord chante l' Internationale dans un café et trouble une cérémonie des Compagnons de France. Il est interné neuf mois. A Chazelles, un homme gueule en public que les galonnés nous ont trahis et sont la honte de la France et que Pétain est un incapable: trois mois de prison. Il récidive. A nouveau arrêté. Début 1942, un ouvrier agricole de Sainte-Agathe-la-Bouteresse est condamné à un mois de prison pour offenses envers l'Etat. Un autre de Feurs est condamné à trois mois de séjour surveillé à Saint-Bonnet-le-Château. Il avait crié " Vive de Gaulle. A bas Pétain ".
Jean Perrin (de Combat) met en place début janvier 42, une équipe de sabotage qui défonce à coups de marteau les vitrines des organes collaborateurs et des kiosques à journaux stéphanois qui vendent leurs publications. Arrêté une première fois, c'est Nathan, un Marseillais qui prend la relève et fournit des explosifs pour des actions plus conséquentes. Perrin est condamné à 10 mois d'emprisonnement à la prison Saint-Paul de Lyon. Il tente plusieurs fois de s'évader (l'abbé Ploton lui remet une soutane à cette fin) et y parvient finalement le 13 juillet 1943. Il est de retour à Saint-Etienne le 21 juillet 43.
Le 1er mai 1942, Henri Perrin et René Seyroux (Espoir/F-T) sont arrêtés " pour avoir tracé des inscriptions en termes subversifs et antifrançais. En outre ils étaient porteurs de tracts, de deux pinceaux et de trois flacons d'encre. Ils sont les amis du sieur de Gaulle et sont vraiment mal inspirés et maladroits " (dixit le Nouvelliste.) Henri Perrin sera arrêté cinq fois et déporté.
En juin 42, suite à une trahison, une quarantaine de membres communistes du Front National de la Loire sont arrêtés dont Antoine Rey qui est condamné aux travaux forcés. Il s'évadera de la prison du Puy. Le FN est à l'origine des Franc-Tireurs et Partisans Français communistes amis et concurrents de l'Armée Secrète.
En septembre c'est au tour de Nocher et Nathan (le Marseillais) d'être arrêtés avec 30 autres de Saint-Etienne, Lyon et Roanne suite à l'arrestation à Lyon de Pierre Duhazé, courrier de Nocher qui portait sur lui des documents compromettants et les trahit. Ils sont transférés à Lyon (Saint-Paul), livré au SD (= Gestapo) en zone occupée à la sinistre prison de Montluc (les premiers de la zone sud à être " honorés " de la collaboration entre services vichystes et allemands). Ils ne parlent pas. Jugé par Darnand (futur grand chef de la milice) et acquitté grâce au talent de Maître Fraissinette, futur déporté et maire de Saint Etienne, Nocher ne retrouve son Forez qu'à la fin 43 et se met au vert à Chazelles-sur-Lyon chez un postier. En octobre, c'est l'équipe de Libération qui est décimée.
La première tentative de sabotage (manqué) à Saint-Etienne par certains cheminots (Résistance-fer qui paiera un lourd tribut à la reconquête du pays) eut lieu le 16 décembre 1941. Des dizaines d'autres (réussis) suivront...
Les parachutages
Le Forez présente le grand avantage d'être proche de Lyon et de présenter une topographie favorable aux parachutages. Aussi fût il souvent choisi par Londres à partir de l'année 42. Il existe pour le Forez trois comités de réception au sol, le groupe Montbrison (Fouilleron), le groupe Saint-Etienne (Bornier) et le groupe Feurs ( Neufbourg-Gonon ). En septembre 41, des agents FFL et britanniques dont l'officier Buckmaster constituent à Lyon un réseau du S.O.E (service des opérations spéciales dépendant de l'Intelligence Service) surnommé " Réseau Buckmaster " et demandent aux résistants foréziens d'organiser des équipes de réception pour les futurs parachutages. Le premier parachutage expédie des pistolets factices et des grenades en carton pour familiariser les équipes à la manipulation des matériels.
En juin 42, deux nouveaux agents sont parachutés, le lieutenant Jickell et le capitaine Boiteux. Ce dernier organise la réception du prochain parachutage à Montverdun le 1er juillet. Le comité de réception a été créé à Montbrison par un membre de la gauche socialiste, Louis Fouilleron et par Antoine Lafond, instituteur à Grézieux-le-Fromental. Les hommes de main sont recrutés parmi les paysans et les ouvriers de la région. Le matériel réceptionné est expédié à Lyon.
Un autre parachutage est attendu le 23 septembre sur Mornand à la ferme de la Jarlette. La gendarmerie arrête le comité de réception hormis le lieutenant Jickell et un autre membre. Parmi les prisonniers, un fonctionnaire, un employé, un ouvrier et cinq ouvriers agricoles. Cette déconfiture est due à l'amateurisme des résistants et aux trop nombreuses indiscrétions des habitants parfois dépassés par les événements. Exemple: en Août, Fouilleron était allé trouver une paysanne de Poncins pour lui demander d'héberger des amis et de lui louer des champs. Suspicieuse celle ci s'en alla à Feurs déclarer aux gendarmes qu'elle avait reçu la visite d'un parachutiste anglais. Fouilleron est arrêté le 25 août Les responsables du comité de réception de Mornand furent pour certains déportés en Allemagne.
Un imprimeur stéphanois, Bornier est chargé lui aussi d'organiser un comité de réception. Le premier parachutage doit avoir lieu à Boisset-les-Montrond mais l'affaire tourne mal. Trois hommes sont largués ainsi que cinq containers mais le vent les déporte et un des parachutiste est grièvement blessé. Appelé sur les lieux, le curé de Boisset après avoir laissé le temps au comité de brûler les papiers du blessé et camoufler le matériel contacte la gendarmerie. Il donne de faux signalements et le blessé meurt lors de son transfert vers l'hôpital de Montbrison. Les armes et les postes émetteurs rejoignent divers réseaux des deux zones. Dans la région, le décès du parachutiste est vite connu. Une jeune femme s'en va fleurir sa tombe mais dénoncée, elle est attendue au cimetière par des gendarmes qui lui conseillent d'être plus prudente et de revenir une prochaine fois apporter des fleurs en leur nom.
Le troisième groupe est celui du comte de Neufbourg et de Marguerite Gonon. Ceux ci contactent à Lyon Yvon Morandat et lui disent qu'ils ont beaucoup d'armes cachées et des terrains propices aux parachutages. Parmi les équipes de réception de Neufbourg, de nombreux paysans qui eux, ne gagnent pas un centime. En effet, parmi les comités de réception foréziens il y eut un certain nombre de paysans qui se faisaient payer leurs services à prix d'or. Dans ses souvenirs, le comte déclare en avoir vu certains attendre les parachutes en buvant joyeusement du champagne !
Pour le premier parachutage, Marguerite Gonon s'en va récupérer à Feurs un breton spécialiste, Holley. Le message de la BBC annonçant ce premier envoi est " Bien le bonjour à la bonne dame ". Les quartz reçus (pour faire fonctionner les émetteurs) furent envoyés à Lyon ainsi que le matériel d'imprimerie. Les pistolets restent chez le comte. Ce parachutage d'Arthun fût le dernier à avoir lieu avant l'entrée des Allemands en zone sud. Signalons aussi que des parachutages au profit des mouvements foréziens eurent lieu hors département. Ainsi celui du 3 août 1942, à Bas-en-Basset (Haute-Loire) au profit du groupe Espoir. Il fut réalisé par Pierre Guillain de Bénouville et annoncé sur les ondes de la BBC par les mots " Dural (pseudo de Nocher) gardez l'espoir ". Le matériel réceptionné fut caché dans des tonneaux de choucroute chez l'industriel Edouard Rey mais tombera aux mains de la police lors des arrestations de septembre 42.
A Feurs, au petit matin du 11 novembre 1942, on découvre une gerbe déposée devant le monument aux morts. Le même jour les troupes allemandes qui foncent sur Toulon suite au débarquement allié en Afrique du nord traversent le Forez. Il n'y eut pas d'accrochages avec les résistants. Dans l'après midi, 400 soldats sont à Feurs. Dans les jours qui suivent, les Allemands se cantonneront à Feurs, Chazelles, Montrond et Montbrison. Ce sont des troupes de la Wehrmacht, des jeunes recrues bien contentes de ne pas être expédiées sur le front russe.
La Révolution Nationale a vécu et le gouvernement de Vichy va devenir le jouet des Allemands. Entre 1940 et 1942, le Forez a connu une sorte d'unité, avec les Allemands sur son sol celle-ci va se détendre petit à petit au gré de la marche de l'histoire.
Ndlr : Saint-Etienne, pas à pas de François Ménard nous fut très utile pour évoquer les changements des noms de rues stéphanoises. En ce qui concerne les débuts de la résistance, outre l'incontournable Mme Luirard nous avons eu le bonheur de dénicher dans une bouquinerie Les geôles de la Liberté (1946) et Les écrits clandestins de Jean Nocher (1941 à 44). Les livres d'Albert Maloire et de Réné Gentgen sont bien sûr incontournables et l'Album de famille... de Mr Ziegler nous a offert quelques belles anecdotes.