Notre petit exposé commence en 1939 avec la mobilisation générale. C'est encore la drôle de guerre mais elle ne va pas durer. En deux mois, la France subit le plus grand désastre militaire de son histoire et le Forez va connaître pour la première fois depuis 1815 l'invasion des Germains.
La mobilisation dans le Forez
La mobilisation dans le Forez s'échelonne entre le 24 août 1939 et Noël pour les vieilles classes. Les principaux départs eurent lieu le 24 août et le 15 septembre. Parmi les mobilisés on compte un petit nombre " d'affectés spéciaux " dans les industries. Dans l'arrondissement de Montbrison, 1232 hommes sont affectés à l'effort de guerre industriel. Ils rejoignirent les usines de Saint Etienne, Le Puy ou Clermont-Ferrand. Quelques uns cependant restent sur place.
Par un décret du 1er septembre 1939, des allocations sont instituées en faveur " des familles nécessiteuses dont les soutiens indispensables sont appelés sous les drapeaux ". Le taux était fixé à 8 francs pour les habitants des communes de plus de 5000 habitants et à 7 francs pour les communes moins peuplées. Ces indemnités étaient sans doute plus nécessaires aux citadins et ouvriers qu'aux agriculteurs. D'autre part, dans la plupart des communes, des comités d'entraide et de secours aux mobilisés se constituent. Notamment à Sury, Bonson, Andrézieux et Saint Galmier. Le Conseil Général vote une subvention pour aider ces comités qui se chargent d'envoyer des colis et des mandats aux soldats foréziens.
" Drôle de guerre ", tentations xénophobes
La vie continue plus ou moins facilement sous une propagande constante entretenant la psychose d'une " cinquième colonne " et recommandant la méfiance. Cette situation de peur (relative) sert parfois à ranimer de vieilles rancunes. A Saint-Bonnet-le-Château, un médecin d'origine roumaine et juif de surcroît fût suspecté d'espionnage en public par un confrère, avant d'être dénoncé à la gendarmerie alors qu'il hébergeait une jeune Autrichienne dont le mari s'avéra être un soldat de la légion étrangère! Dans cette affaire apparaissent déjà des germes d'antisémitisme.
et mise à l'écart des communistes
La crainte de la trahison explique le ton soulagé de la presse forézienne quand elle annonça en Mai 1940 la mise à l'écart des communistes dans les conseils municipaux. Rappelons qu'en 1940, l'Allemagne et l'Union Soviétique sont alliées (pacte germano-soviétique) et que les communistes sont nombreux, en particulier dans le bassin stéphanois. Parmi les affectés spéciaux dont nous avons parlé plus haut, 220 furent radiés des usines par crainte des sabotages après rapport des patrons d'usine. Le secrétaire général de la préfecture de la Loire: "L'action vigilante de l'administration ne se ralentira pas, elle continuera à s'exercer avec la même fermeté contre ceux qui osent encore pactiser avec les assassins de l'héroïque Pologne." (discours du 18 Mai 1940).
Des protestations se font entendre au Conseil Général non pas sur le principe, car personne ne défend les communistes -" les ennemis intérieurs de la Patrie " - mais dans l'application. Pétrus Faure, futur Maire du Chambon-Feugerolles demande que l'on ne saisisse pas l'occasion pour régler de vieux comptes avec les syndicalistes.
Les réfugiés
Le Forez est considéré par les autorités comme une zone de refuge pour les habitants des agglomérations voisines. Dès septembre 1939, les communes des monts du Lyonnais reçoivent des femmes et des enfants de la région lyonnaise et dans une moindre mesure de Saint-Etienne. Il est prévu que le Forez peut héberger jusqu'à 20 000 personnes.
Mai 1940, l'offensive allemande est lancée et entraîne l'exode des populations du nord vers le sud, en particulier des personnels des services et des usines.
Le 10, 45 personnes de la Cotonnière de Lille sont hébergées à Montrond. La compagnie Electrique du Centre de Villerupt s'installe également à Montrond. Les services postaux de Villerupt eux s'installent à Savigneux (300 personnes). La direction générale des Postes de Lyon immigre à Montbrison qui reçoit aussi 700 employés de Villerupt et Aubrives. Dans le canton de Saint-Rambert, on attend l'installation d'une usine Peugeot. Des orphelinats du Nord et des côtes de la Manche affluent. Les usines du bassin houiller stéphanois songent à se replier vers la plaine. Des soldats sont aussi casernés dans le Montbrisonnais. A Bouthéon près de 400 hommes et officiers sont installés dans l'école de pilotage. A St Jean-Soleymieux, des équipes militaires sont employées dans les forêts pour intensifier les coupes de bois. Une boulangerie militaire arrivée de l'Ain est cantonnée à Bonson.
Outre ces réfugiés prévus et attendus, se présentent aussi un certain nombre de civils, familles ou isolés. Ils forment un flot mouvant restant quelques heures ou quelques jours. Face à ces réfugiés, les autorités sont submergées. A la mi-juin on compte dans le Forez 300 Belges, Hollandais et Luxembourgeois. Le 15 juin, la masse des réfugiés grossit encore. Le lendemain ce sont 200 personnes du Jura et de la Haute Saône qui passent par Verrières. Saint-Bonnet-le-Courreau est envahi par des habitants de la Marne, du Doubs, de la Moselle... Chalmazel voit affluer 250 réfugiés. Le village qui commence à se doter d'infrastructures hôtelières parvient à peu près à héberger ces réfugiés. Mais c'est à Andrézieux et Saint-Romain-le-Puy que le brassage des populations est le plus important. 120 réfugiés parisiens à Andrézieux et quelques 500 réfugiés de Hollande, Belgique et de l'Est à Saint-Romain.
A Montbrison, la Croix Rouge est désemparée malgré les nombreuses collectes. A Feurs 4500 repas sont servis chaque jour.Souvent les réfugiés sont hébergés dans des granges, parfois dans des dortoirs. On signale quelques suicides, notamment à Bouthéon celui d'un industriel du Doubs.
Les régiments foréziens engagés dans la campagne de France
- Le 38ème régiment d'infanterie cantonné à Saint-Etienne depuis 1881 (caserne Rullière à l'emplacement de l'actuelle Université Jean Monnet) est mobilisé en 1939. Engagé en Hollande puis dans les Flandres, il doit se replier sous un déluge de feu allemand. Le 26 mai 1940, le 38ème RI est encerclé à Lille avec les restes de la 25ème Division d'Infanterie motorisée par trois panzerdivisions et quatre divisions d'infanterie ennemies. Il livre durant 4 jours une résistance acharnée jusqu'à épuisement des munitions. Dans cette bataille de rue, un élément du 38ème sous les ordres du lieutenant Sanglerat parvient même à faire prisonnier un général allemand porteur d'ordres d'opération des sept divisions allemandes.
Le 31 mai 1939, il se rend avec les honneurs et le 1er juin les restes du 38ème RI défilent avec leurs armes devant le général Wogner et un bataillon de la Wermacht au garde à vous. Hitler ne trouva pas le spectacle à son goût et l'honorable général Wogner fût relevé de son commandement. Grâce à leur résistance farouche, une partie de l'armée anglaise et française pût s'embarquer à Dunkerque et gagner l'Angleterre pour poursuivre la lutte.
Quelques rescapés réussirent à rejoindre Dunkerque sans parvenir à gagner l'Angleterre. Ils furent faits prisonniers après avoir brûlé le drapeau. Une rue à Saint-Etienne, la " rue de Dunkerque " commémore la résistance du régiment stéphanois.
- Le 14ème régiment de dragons motorisés, lui aussi cantonné à Saint-Etienne est engagé en Belgique du 10 au 23 mai. Ses pertes sont énormes: 20 officiers sur 35, 800 hommes de troupe sur 1500. Durant la campagne de France du 6 au 21 juin 1940 il fait retraite (entrecoupée de combats d'arrière garde) entre Provins et Issoire.
Les bombardements
Le 18 juin, avant même l'arrivée des troupes Allemandes encore en Bourgogne, le Forez est pris pour cible par l'aviation italienne (à moins qu'il ne s'agisse de la Luftwaffe allemande, il y a débat). Celle ci s'attaque d'abord au secteur industriel de Firminy (18 morts et 60 blessés) puis bombarde les villages de Sainte-Agathe-la-Bouteresse, Sury-le-Comtal, Montbrison et Balbigny. Le bombardement de Bonson où se sont repliés des boulangers militaires fait 42 morts dont 5 civils. Pour la première fois depuis l'invasion autrichienne de 1815, le Forez connaît à nouveau la guerre sur son sol, il va connaître bientôt l'occupation.
L'entrée des Allemands, derniers combats
Les troupes allemandes du régiment d'assaut " Adolf Hitler " venant d'Alsace entrent dans le Forez le 19 juin 1940 et occupent rapidement les villages de Mornand, Arthun, Poncins au nord de Montbrison où ils installent des avant- postes. La Bâtie d'Urfé est réquisitionnée.
Des accrochages ont lieu de ci de là mais sans gravité pour l'ennemi. A Feurs, des tirailleurs sénégalais sont abattus en tentant de se replier. Le 23 juin, un ultime combat de 4 heures a lieu entre Bouthéon et La Fouillouse. Les Allemands ont plusieurs tués mais progressent rapidement, à tel point que les avions sur la piste de Bouthéon doivent être incendiés. Un convoi militaire qui stationne à Panissières est pris par surprise, 27 soldats sont faits prisonniers par les Allemands.
Le 24 juin, les soldats " verts de gris " entrent dans Saint Etienne. Dès leur entrée, les Allemands hissent le drapeau nazi sur l'ancien dôme de l'hôtel de ville. De nombreux badauds viennent dans le centre ville pour voir ces soldats tandis que les quartiers périphériques restent déserts. Le Mémorial dans son édition du 27 juin parle d' "une curiosité déplacée" étant donné les circonstances. Place Bellevue, un canon est pointé vers la vallée de l'Ondaine, un autre rue de la Montat est dirigé vers Saint-Chamond. Pendant que les Allemands paradent dans la ville, des petits groupes de soldats français sont planqués dans le " grand bois " du col de la République, ils portent l'uniforme et craignent d'être arrêtés par les " Boches " s'ils se pointent ainsi vêtus.
Le 27 juin, Saint-Etienne se met à l'heure allemande (les horloges sont avancées d'une heure) et certaines écoles sont réquisitionnées.
Les premiers jours de l''occupation
En règle générale, la plaine du Forez peut s'estimer plus chanceuse que l'agglomération stéphanoise ou roannaise car elle n'a pas eu à souffrir de pillages et de réquisitions forcées. Tout au plus quelques vols de camions à Aveizieux et à Boen. En revanche, les Allemands perquisitionnent sans tarder les gendarmeries de St Just, de Saint-Rambert et de Boen et mettent la mains sur les armes à feu. De même les bâtiments publics ou privés (la Bastie d'Urfé notamment) n'ont pas soufferts. Les journaux locaux font l'éloge de la correction des Allemands. Ce qui n'empêche pas parfois la rumeur et la psychose de produire de drôles de comportements ainsi ces 50 jeunes gens d'Andrézieux qui se dirigèrent vers la Haute-Loire de peur d'être pris en otage par les Allemands.
Quelques résistances et beaucoup de résignation
Quelle est la réaction de la population face à l'envahisseur?
Pendant les dernières opérations militaires de juin, le haut-commandement militaire français parvient à garder connaissance des mouvements allemands grâce au courage de certains civils. Ainsi cette gérante de la cabine téléphonique de Cuzieu -occupé par les allemands- qui continuait à donner des communications afin que l'état major soit au courant de la situation. Elle fût décorée de la Légion d'honneur le 19 janvier 1941 par le général Huntziger (celui-là qui signa l'armistice à Rethondes).
La population de Saint-Bonnet-le-Courreau héberge et remet sur pied neuf soldats arrivés de la Rochelle, montés sur une chenillette. Depuis la Charente, ils " jouent à cache cache " avec les Allemands pour éviter d'être désarmés. Personne non plus ne dénoncent les trois tanks planqués dans les bois de Vendranges, aux confins nord du Forez. Leurs occupants attendent d'avoir les moyens de gagner le sud. Si personne ne songe à trahir, beaucoup désavouent les combats menés pour l'honneur contre les troupes allemandes et attendent l'armistice qui ne saurait tarder puisque le 17 juin Pétain a lancé son appel. Ces combats désespérés, pour la grande majorité des habitants, ne peuvent qu'amener des ennuis pour les civils. Aussi quand une unité polonaise échoue à Montbrison, la municipalité la supplie de s'en aller pour ne pas mettre la population en danger.
Le lendemain c'est l'appel à la lutte d'un inconnu réfugié à Londres. Combien de Foréziens l'entendent ? Très peu sans doute (à l'échelle du pays seules quelques milliers d'hommes et de femmes l'entendirent). Combien y répondent ? La seule certitude concerne trois noms: les familles Neuwirth et Maurice, celui de Ferdinand Mirabel. Nous les retrouverons souvent.
Une scène significative a lieu à Chazelles-sur-Lyon: le curé prétend que la ville a été protégée par la Sainte Vierge car ses habitants ont prié avec ferveur. "Non, rétorque le maire radical-socialiste, c'est grâce à moi ! J'ai fait désarmer et planquer tous les soldats." Très vite aussi, les Foréziens se disent que la défaite est due à une France très mal préparée à la guerre. Marie-Magdelaine Cheyssac a raconté dans un livre les dernières heures de la guerre (avant l'armistice de 40) à Saint- Bonnet-le-Château. Le 24 juin, la population aide les soldats à construire des barricades aux portes de la ville. Elle forme même une garde civique et attend. Les Allemands ne viennent pas. La fin de la guerre est annoncée. Les habitants rentrent chez eux somme toute bien contents de ne pas avoir eu à faire la preuve de leurs talents militaires.
Fin de l'occupation et début du gouvernement de Vichy
Le 7 juillet 1940, les troupes allemandes quittent la préfecture et les troupes françaises reprennent possession de leurs casernes. La France est maintenant divisée en deux et le Forez est en zone libre. Les habitants s'occupent à recenser leurs atouts qui ne sont pas négligeables. La Loire est en effet le seul département industriel en zone sud.
Ndlr : cette première page doit beaucoup aux deux livres de Mme Luirard Le Forez dans la Révolution Nationale et La région stéphanoise dans la guerre et dans la paix . En ce qui concerne l'évocation des régiments stéphanois, nous vous conseillons la lecture du bulletin n°205 des Amis du Vieux Saint-Etienne Vie militaire à Saint-Etienne. Les bombardements de 1940 ont été souvent évoqués ces derniers mois dans divers journaux régionaux.