
Dans cette entreprise qui comptait environ 350 salariés, était implantée, depuis les lendemains de la Libération, une assez forte section syndicale C.G.T. Etaient en place, également, la C.F.T.C., F.O. et la C.N.T. En 1952, les tensions que la guerre froide engendre se sont aggravées et la guerre du Vietnam (d'Indochine, ndFI) est de plus en plus meurtrière. De ce fait, quand arrive le 1er mai, les mots d'ordre de la C.G.T. portent-ils tout à la fois contre la vie chère et pour l'arrêt immédiat de la guerre.
A Paris, à la grande manifestation, Alain Le Leap, secrétaire général de la C.G.T., déclare: "Les travailleurs doivent être les meilleurs et les plus ardents dans le combat pour la paix. La C.G.T. entend développer la lutte contre la fabrication et le transport du matériel de guerre." Trois semaines plus tard, le gouvernement, de plus en plus enlisé dans la guerre, excédé par un mouvement social en extension, décide de pratiquer la fuite en avant dans une offensive violente contre le mouvement ouvrier. Prenant prétexte d'une manifestation organisée le 28 mai à Paris contre l'arrivée du général américain Ridgway, sous le commandement duquel les armes bactériologiques ont été utilisées en Corée, le gouvernement n'hésite plus à ourdir un complot contre le Parti Communiste Français et la C.G.T.
Au soir même de cette manifestation, la police procède, dans la rue, à l'arrestation du Président du groupe parlementaire communiste à l'Assemblée nationale, Jacques Duclos, qu'elle accuse d'atteinte à la sûreté de l'etat. Les fins limiers du ministre de l'Intérieur du gouvernement Pinay avaient en effet découvert, dans sa voiture, deux pigeons domestiques morts. Preuve indiscutable de sa culpabilité. Il fut maintenu en prison jusqu'au 1er juillet.
La C.G.T. organisa la riposte en appelant à la grève. L'Union Départementale de la Loire décide alors de diffuser un tract dans les entreprises, les bureaux, appelant à faire grève sur le tas le vendredi 6 juin. Le 5 juin au soir, le tract fut distribué à la porte des A.R.C.T. Le 6 juin, après une réunion des délégués, le personnel fut rassemblé vers 13 h 45 à la pendule. Il vota, à la majorité de 85 %, l'arrêt du travail sur le tas de 14 h à 17 h. Aucun incident notable se déroula au cours de l'après-midi et certains salariés non grévistes purent même effectuer leur travail. En l'absence de la direction avec qui les délégués s'entretenaient régulièrement, il fut décidé de déposer le cahier de revendications le lundi 9 juin, dans la matinée.
Mettant à profit le week-end, la direction agissait en liaison avec certaines autorités civiles et le 9 juin au matin, les salariés trouvèrent les portes de l'entreprise fermées et gardées par des forces de police importantes. En outre, une note de la direction affichée spécifiait que l'entreprise serait ouverte le mardi 10 juin à ceux qui n'auraient pas reçu un avis de licenciement ou de mise à pied. Entre temps, dix-huit salariés recevaient cet avis. Le mardi matin, toujours appuyée par les forces de police, la direction filtrait les entrées. Les forces de police restèrent autour de l'entreprise pendant plusieurs jours. Malgré des appels à soutenir les 18, le personnel reprit le chemin des ateliers et des bureaux. Seule la C.G.T. s'éleva contre ces méthodes. Conformément à la législation, le Comité d'entreprise fut réuni le lundi 16 juin à 8 h 15 pour qu'il se prononce sur les licenciements décidés ou envisagés. Les forces de l'ordre sont toujours présentes autour de l'entreprise.
Le C.E. se prononce à l'unanimité, moins une voix, celle de M. Crouzet, le directeur, contre les licenciements. La direction se pourvoie auprès de l'Inspecteur du Travail, Monsieur Cadaux. Celui-ci, le 11 juillet, autorise le licenciement de Lucien Bacsich, secrétaire de la section syndicale C.G.T. et du syndicat de la métallurgie du Roannais (l'auteur de l'article, ndFI) et refuse ceux des autres délégués C.G.T: J. Guillard, R. Boujot, J. Mathelin, V. Chevillard, R. Rochu, R. Niergarten, A. Sechaud. Suite à ce refus pour sept délégués, la direction faisait un recours auprès du Ministre du Travail, en date du 17 juillet.
Le 13 août, celui-ci autorisait les licenciements. Avec cette décision, M. Crouzet se débarrassait de la section syndicale. en plus des délégués, il s'agissait de MM. Damonieski, Veillas, Poulet, Charrier, Targe, Dard, Guillot, David et Fougeres.
En accord avec l'Union Locale et sur les conseils de la Fédération C.G.T. des Métaux, nous décidons de porter l'affaire devant le Conseil des Prud'hommes. Celui-ci, dans un jugement en partage (10 janvier 1953) décidait d'accorder une indemnité à chacun des délégués et pour les salariés désigne un expert. La direction, insatisfaite, fait appel devant le Tribunal Civil de Roanne siégeant en première instance. Le 9 juillet, le tribunal désigne un expert, M. Gutton, qui refuse la mission. Un autre est désigné: M. De-Bonald, expert-comptable à Lyon (5 février 54). Il rendit son rapport le 31 décembre 1955. Le Tribunal, en juin 1956, rendait son jugement, déboutant les délégués et accordant des indemnités aux ouvriers. Nous étions assisté par Maître Le-Griel, avocat au barreau de Saint-Etienne, spécialisé dans la défense des salariés et ami de la C.G.T.
En conclusion, avec l'accord de tous, nous décidions de mettre un terme à la procédure. Les indemnités prévues pour les salariés (200 600 francs au total, moins les frais 125 000 francs) furent partagés. Au cours de ces quatre années écoulées, le syndicat C.G.T. de la Métallurgie et particulièrement aux A.R.C.T. se ressentit de cette répression montée de toutes pièces. Mais de nouveaux militants assurèrent dans le même temps le maintien d'un noyau C.G.T. et développèrent son activité pour reconstituer une force syndicale faisant autorité sur la localité.