NdFI: Ces pages sont extraites d’un cahier d’histoire sociale de l’Institut Benoit Frachon (2013). Elles concernent le discours prononcé par Mgr Ancel, évêque auxiliaire du diocèse de Lyon, le samedi 22 octobre 1949 à la Bourse du Travail de Saint-Étienne. C’est Aimé Relave, ancien administrateur de la Sécurité Sociale 42, qui avait fait parvenir le texte du discours à l’Institut. François Royer, secrétaire général adjoint de l'UD CGT de la Loire, administrateur de la Sécurité Sociale 42, était présent à ce meeting et a donné sa position sur le sujet traité par l’homme d’Eglise. En fin de page figure un texte que publia le journal communiste Le Patriote. Comme le souligne l’IHS en préambule, le discours n’est pas reproduit en intégralité, mais seulement les passages où sont évoquées les conditions de vie faites à la classe ouvrière. Concernant Alfred Ancel, on ajoutera ultérieurement quelques éléments biographiques. Indiquons pour l’heure qu’il était issu d’une famille d’industriels lyonnais. Il fut aussi le supérieur général du Prado. Il s’est éteint en 1984.
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Devant un auditoire de 3 000 personnes, pour la première fois à la Bourse du Travail de Saint-Étienne, un évêque, Mgr Ancel s'adresse directement aux travailleurs.
Titre du journal La Dépêche du 25 octobre 1949
M.Pichon, rédacteur en chef du journal l'Essor, ouvre la séance, remplaçant au pied levé, M. Montaron du journal Témoignage Chrétien, indisposé. Il ouvre la séance avec un bref et vibrant exposé sur la promotion ouvrière dans les perspectives chrétiennes. Mgr Ancel prend ensuite la parole, le silence se fait immédiatement dans la salle...
Extrait du journal La Dépêche du 25 octobre 1949.
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Le lieu de la conference
La Bourse du Travail connaissait une fréquentation très importante les samedis et les dimanches : assemblées générales des syndicats et des sociétés mutualistes, paiement des cotisations et tenue des permanences. On a rapporté que les bourgeoises du quartier de « La Badouillère » qui se rendaient à la messe en l'église Saint-Louis, toute proche, avaient désigné le bâtiment comme étant « la maison du diable ». Avant 1947, sa salle des conférences disposait d'un parterre de 1945 places et de 700 places en galerie. En 1947 les bancs seront remplacés par 900 fauteuils, on est bien loin de l'estimation du journal La Dépêche qui titrait que la conférence de Mgr Ancel, en 1949, s'était tenue devant un auditoire de 3000 personnes. Avec l'utilisation des promenoirs situés à côté des fauteuils, plus les gradins de la galerie, ce sont environ 2 000 personnes au maximum que la salle pouvait accueillir. En 1972, les gradins de la galerie seront démolis par mesure de sécurité…
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Mes chers Amis,
C'est avec une véritable émotion que je prends la parole, ce soir, au milieu de vous. Plus d'une fois il m'est arrivé de parler à des ouvriers, même dans un café ou une salle de cinéma. Mais jamais je n'avais eu devant moi un pareil auditoire...
Affection de l'Eglise pour la classe ouvrière
Je voudrais vous dire d'abord la profonde affection de l'Église pour la classe ouvrière. Je dis bien : la profonde affection de l'Église, car je ne vous parle pas seulement en mon propre nom ; je vous parle au nom de l'Église.
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Par conséquent, ce que je vous dis aujourd'hui n'est pas du nouveau. Depuis longtemps, l'Église a parlé de la question ouvrière. Malheureusement, il faut le reconnaître, son enseignement n'est pas toujours allé jusqu'à vous. Aussi je suis heureux de cette occasion qui m'est donnée pour vous dire ce que vous pouvez attendre de l'Église. L'église n'est pas un parti, c'est le Christ sauvant le monde.
Mais, attention ! Je serai loyal. J'estime trop les ouvriers pour me permettre la moindre démagogie. Je vous dirai la vérité telle qu'elle est. Je vous dirai ce que vous pouvez attendre de l'Église. Je vous dirai aussi ce que vous ne devez pas en attendre.
L'Église n'est pas un parti politique. L'Église a été fondée par le Christ pour ce qui est spirituel. Elle est appelée dans l'Évangile le royaume des cieux. Aussi, je ne voudrais pas, sous prétexte d'attirer votre sympathie, vous faire des promesses que l'Église n'aurait pas le droit de tenir. N'attendez pas que l'Église prenne parti pour la classe ouvrière contre les autres classes sociales. Ce n'est pas son rôle. L'Église n'appartient à aucune classe sociale. Elle doit s'occuper de tous les hommes sans exception, riches et pauvres, ouvriers et paysans.
L'Église, c'est le Christ sauvant le monde.
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La mission de l'Église est une mission spirituelle. Comme Jésus, elle rend témoignage à la vérité. Ceux qui écoutent la vérité et qui savant en profiter seront vrais et ils pratiqueront la justice.
Mais s'il ne veulent pas écouter l'enseignement de l'Église, l'Église ne peut pas les contraindre par la force. Elle n'a pas d'armée sur la terre. Elle ne peut pas passer à l'action. Ce n'est pas son rôle. Alors, il y a de la déception ! Alors, beaucoup abandonnent l'Église comme les juifs autrefois avaient abandonné le Christ. Cependant, l'Église reste fidèle à sa mission. Elle rend témoignage à la vérité.
Il faut que vous puissiez en juger vous-mêmes. C'est pourquoi, je vais vous lire quelques déclarations de l'Église en faveur des ouvriers.
Déclaration sur la misère ouvrière
Voici d'abord ce que disent les papes au sujet de la misère ouvrière. Je cite, en premier lieu Léon XIII. Dans l'encyclique Rerum Novarum écrite en 1891, il s'exprime ainsi : « Peu à peu, les travailleurs isolés et sans défense se sont vu avec le temps livrés à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité d'une concurrence effrénée. Une usure dévorante est venue ajouter encore au mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de l'Église, elle n'a cessé d'être pratiquée, sous une autre forme, par des hommes avides de gain, d'une insatiable cupidité ».
Quand on a entendu ces paroles, on ne peut plus dire l'Église a gardé le silence. Non, l'Église n'a pas gardé le silence ; elle a été fidèle ; elle a rendu témoignage à la vérité.
Vous me direz peut-être : C'est bien, Léon XIII a parlé. Mais depuis ? C'est pourquoi j'ajouterai d'autres témoignages. Quarante ans après Rerum Novarum, il y a l'encyclique Quadragesimo anno. C'est Pie XI qui parle. Des progrès ont été réalisés depuis Léon XIII, mais cela ne suffit pas. Le pape ne se gêne pas pour le dire. Écoutez-le : « Le prolétariat et le paupérisme sont à coup sûr, deux choses bien distinctes. Il n'en reste pas moins vrai que l'existence d'une immense multitude de prolétaires d'une part, et d'un petit nombre de riches pourvus d'énormes ressources d'autre part, atteste à l'évidence que les richesses créées en si grande abondance à notre époque d'industrialisme sont mal réparties et ne sont pas appliquées comme il conviendrait aux besoins des différentes classes ».
Est-il possible de parler d'une façon plus nette et plus précise ? Écoutez maintenant la parole de Pie XII dans son message de Noël 1942 : « Quel homme et surtout quel prêtre et quel chrétien pourrait demeurer sourd aux cris partis du plus profond de la masse, qui, dans le monde d'un Dieu juste, appelle la justice et la fraternité ? »
Vous me direz alors : C'est bien, cela prouve que les papes ont parlé, mais les évêques ? Je vous répondrai : « les évêques ont parlé eux aussi ». Je pourrais vous citer un grand nombre de textes, je vous cite seulement un passage de la déclaration de la dernière assemblée des Cardinaux et Archevêques de France. J'en ai eu connaissance ce matin.
« Aujourd'hui, dans notre vie, trop de souffrances existent parmi les travailleurs, comme parmi les économiquement faible, pour que l'on puisse soutenir que la justice sociale est réellement satisfaite. Trop de salaires sont anormalement bas. Trop de menaces de chômage pèsent sur les familles ouvrières. Notre climat social n'est pas sain. C'est un devoir pour les catholiques d'être au premier rang de ceux qui luttent pour assurer aux travailleurs le salaire vital qui améliorera leurs conditions de vie ; pour affermir et développer les réalisations déjà acquises de la justice sociale ».
Il ne faut donc pas croire que je sois le seul évêque à parler des questions ouvrières. On a dit parfois que j'étais « un évêque de gauche ! » Je suis simplement évêque et j'enseigne la doctrine de l'Église ! Je tiens à ajouter ceci : tout ce que j'écris est approuvé par Son Éminence le Cardinal Gerlier. Le Cardinal a su les critiques qui ont été faites, dans certains milieux, contre mes articles. Il a pris publiquement ma défense. Je ne dis rien de nouveau. Je mets seulement, dans le langage de tout le monde, la doctrine sociale de l'Église. D'ailleurs, les articles de l'Essor sont traduits actuellement à Rome. On vient de me demander l'autorisation de les traduire en langue allemande.
Par conséquent, vous n'avez pas devant vous un isolé. Vous avez devant vous l'Église.
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Droit au salaire vital
L'Église ne s'est pas contentée de rappeler la misère imméritée des travailleurs. Elle a aussi rendu témoignage à la vérité sur plusieurs points importants du problème social. Elle a affirmé le droit des ouvriers à recevoir un salaire vital. À l'époque de Léon XIII, les salaires étaient très bas et on trouvait cela normal, . . . puisque les ouvriers les acceptaient. Alors, le pape a protesté. Il a affirmé qu'un contrat de salaire était sans valeur quand il n'assurait pas à l'ouvrier de quoi vivre humainement.
On a fait des objections et on a dit : il y a des entreprises qui sont dans une situation difficile au point de vue économique. Elles ne peuvent pas payer davantage les ouvriers. Alors Pie XI a donné la réponse. Dans ce cas, la situation des ouvriers reste une situation injuste. Il faut donc, le plus tôt possible, introduire les modifications nécessaires pour que les ouvriers reçoivent le salaire vital. Mais on revient à l'objection et on dit : Souvent, le chef d'entreprise n'est pas responsable. Il est tenu par des conditions économiques qui lui sont imposées. Il n'est pas libre de ses actes. C'est possible. Mais, dans ce cas, la responsabilité remonte jusqu'à ceux qui maintiennent l'organisation économique dans un pareil désordre. En un mot, on n'a jamais le droit d'imposer aux hommes une condition de vie injuste. Un pays dans lequel les ouvriers ne reçoivent pas le salaire vital est en état de péché. L'Église a donc toujours maintenu énergiquement le droit des ouvriers au salaire vital.
Droit syndical
Elle a affirmé aussi le droit syndical. Actuellement, on n'oserait plus toucher au droit syndical. Mais il a fallu longtemps aux ouvriers pour l'obtenir. Pendant longtemps, en France comme à l'étranger, les syndicats étaient interdits par la loi. Devant cette situation, Léon XIII a protesté et il a déclaré injustes et, par conséquent, sans valeur devant Dieu, les lois qui interdiraient aux ouvriers de s'unir pour défendre leurs intérêts.
Par cet exemple, vous voyez, mes amis, que l'Église a été fidèle pour rendre témoignage à la vérité. Et, en cas de nécessité, elle n'a pas hésité à s'opposer à l'État pour prendre la défense des travailleurs.
Déclaration sur le système capitaliste
Enfin, l'Église a rendu témoignage sur le système capitaliste lui-même. Je ne veux pas, ce soir, vous présenter une étude complète sur le capitalisme. Autrement, nous serions obligés de rester ici jusqu'à minuit.
Mais je voudrais au moins vous dire que l'Église a condamné les injustices du capitalisme. En particulier, elle a condamné le libéralisme économique, la concentration des richesses et la dictature des trusts.
1. - Plus d'une fois, l'Église a condamné le libéralisme économique, Un chrétien qui prétend soutenir le libéralisme économique pèche contre l'enseignement de l'Église.
2. - L'Église a condamné aussi l'orientation du capitalisme vers la concentration des richesses entre les mains d'un petit nombre.
C'est un fait : à mesure que le capitalisme se développe, le nombre des prolétaires augmente. Eh bien ! Il faut le dire : cette orientation du capitalisme est opposée à la volonté de Dieu. L'Église devait donc la condamner. Je ne me place pas à un point de vue économique, ni à un point de vue politique. Ce n'est pas mon affaire. Je me place uniquement au point de vue du droit naturel et au point de vue de la religion. Dans le premier chapitre du livre de Dieu que nous appelons la Bible, il est écrit que Dieu a mis les richesses de la terre à la disposition de tous les hommes. Par conséquent, pour qu'un système économique soit bon, il faut qu'il tende à répartir, de plus et plus, la propriété entre tous. Il faut donc conclure que le capitalisme, dans sa structure actuelle, est mauvais. On peut dire de lui qu'il est contre nature puisqu'il enlève, de plus en plus, aux hommes le droit de posséder ; il fait, de plus et plus, des prolétaires. Il est opposé au plan divin. L'enseignement de Pie XII est net sur ce point. Voici ce qu'il dit : « L'ouvrier, dans son effort pour améliorer sa condition, se heurte à un système social qui, loin d'être conforme à la nature, s'oppose à l'ordre établi par Dieu et à la fin qu'il assignée aux biens de la terre ».
3. - Enfin, l'Église a condamné la dictature économique des trusts.
Je n'ai pas besoin de vous expliquer ce qu'est un trust, mais il est nécessaire de vous dire ce que l'Église en pense. Si vous saviez comme cela nous est pénible, à nous, évêques, d'entendre répéter que l'Église est inféodée aux trusts, alors que le chef de l'Église les a condamnés si sévèrement. Aussi, je vous citerai en entier un texte de Pie XI dans Quadragesimo anno. Le texte est un peu long, il est un peu difficile à suivre ; je vous le lirai, quand même, complètement. Il faut que vous sachiez la vérité.
« Ce qui à notre époque frappe tout d'abord le regard, ce n'est pas seulement la concentration des richesses, mais encore l'accumulation d'une énorme puissance, d'un pouvoir économique discrétionnaire, aux mains d'un petit nombre d'hommes qui d'ordinaire ne sont pas les propriétaires, mais les simples dépositaires et gérants du capital qu'ils administrent à leur gré. »
« Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l'argent, gouvernent, le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, ils distribuent en quelque sorte le sang à l'organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains, si bien que sans leur consentement nul ne peut plus respirer. »
« Cette concentration du pouvoir et des ressources, qui est comme le trait distinctif de l'économie contemporaine, est le fruit naturel d'une concurrence dont la liberté ne connaît pas de limites ; ceux-la seuls restent debout, qui sont les plus forts, ce qui souvent revient à dire, qui luttent avec le plus de violence, qui sont les moins gênés par les scrupules de conscience. »
« À son tour cette accumulation de forces et de ressources amène à lutter pour s'emparer de la puissance, et ceci de trois façons :on combat d'abord pour la maîtrise économique ; on se dispute ensuite le pouvoir politique dont on exploitera les ressources et la puissance dans la lutte économique ; le conflit se porte enfin sur le terrain international, soit que les divers États mettent leurs forces et leur puissance politique au service des intérêts économiques de leurs ressortissants soit qu'ils se prévalent de leurs forces et de leur puissance économique pour trancher leurs différends politiques. »
« Ce sont là les dernières conséquences de l'esprit individualiste dans la vie économique : la libre concurrence s'est détruite elle-même ; à la liberté du marché a succédé une dictature économique. L'appétit du gain a fait place à une ambition effrénée de dominer. Toute la vie économique est devenue horriblement dure, implacable, cruelle ».
Vous avez entendu l'enseignement du pape. Je vous le demande : Pouvait-on parler plus clairement ? Alors comment a-t-on pu dire que l'Église était liée au capitalisme ? Non, l'Église n'est pas liée au capitalisme. Bien au contraire, elle en a condamné, plus d'une fois, les erreurs. Et il y aurait encore beaucoup à dire, si on voulait être complet.
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La lutte contre l'égoïsme
Cependant, pour réaliser les réformes de structure qui s'imposent, aucune solution purement technique ne sera suffisante. De nouveau, l'Église va intervenir. Mais son intervention restera une intervention spirituelle. Tant que les hommes seront dominés par l'égoïsme, on ne pourra réaliser les transformations économiques et sociales qui s'imposent. Les régimes économiques et politiques pourront changer, mais ce sera toujours la même chose. Les plus forts ou les plus « chanceux » auront toujours le dessus. Il y aura toujours des exploiteurs et des exploités. Il faut dont lutter contre l'égoïsme humain. Dans cette lutte contre l'égoïsme humain, l'Église se présente avec les richesses spirituelles qui lui sont propres. Elle demande d'abord aux hommes de prendre conscience des ravages causés par l'égoïsme. Ces ravages, vous les constatez tous les jours ! C'est l'égoïsme qui amène la souffrance dans les familles. Comment peut-on être heureux au foyer, si l'égoïsme y règne ? C'est l'égoïsme qui déclenche la lutte entre les classes sociales. C'est l'égoïsme qui vient encore augmenter la souffrance des travailleurs, parce qu'il s'oppose à la solidarité ouvrière.
Hier au soir, j'étais avec des ouvriers dans la banlieue de Lyon. On m'a cité un fait. Dans une entreprise, pour un meilleur rendement, il y a des ouvriers qui travaillent soixante-six heures par semaine et d'autres sont au chômage. Ces ouvriers étaient syndiqués, mais parce qu'ils désiraient gagner davantage, ils n'ont pas protesté ! Ils font soixante-six heures et leurs camarades sont chômeurs. Ce n'est pas beau cela !
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Maintenant, je m'adresse spécialement aux chrétiens qui sont ici et volontiers je répéterai les paroles que me disait, un jour, un communiste : « Ce que je vous reproche, à vous, chrétiens, ce n'est pas d'être chrétiens, c'est de ne pas être assez chrétiens »
Il ne suffit pas d'aller à la messe le dimanche et de faire ses prières le matin et le soir. Il faut croire au Christ et, appuyé sur lui, il faut vivre d'amour. Le devoir de l'amour, avec toutes ses exigences, s'impose à tous, aux ouvriers chrétiens et aux chrétiens qui ne sont pas ouvriers.
Devoir des ouvriers chrétiens
Mes amis, ouvriers chrétiens, je vous demande, au nom du Christ, d'aimer vos frères ouvriers. Ne regardez pas la résignation devant l'injustice comme une vertu. Elle serait de l'illusion ou de la lâcheté ! Quand on est seul en cause, on peut ne pas résister au mal. Mais quand il faut défendre les autres, on ne doit pas déserter le combat. À l'époque actuelle, je ne pense pas qu'un ouvrier puisse être en tranquillité de conscience s'il ne veut pas participer au mouvement ouvrier, s'il refuse de se syndiquer. Mais, en même temps, je vous demande, au nom du Christ, de conserver envers tous, le souci de la justice et de l'amour fraternel.
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Devoir des chrétiens non ouvriers
Mais l'Église s'adresse aussi aux chrétiens qui ne sont pas ouvriers. Elle leur demande de regarder avec sympathie la montée ouvrière. C'est pourquoi, j'ai écrit dans l'Essor des articles sur la mentalité ouvrière et sur le mouvement ouvrier. J'ai pensé aux chrétiens de bonne volonté qui ignorent la doctrine sociale de l'Église et qui avaient besoin d'être informés. Dans mes articles, il n'y a pas d'idées personnelles. C'est l'enseignement de l'Église que j'ai présenté en m'efforçant de le faire comprendre. Sans doute, quelques chrétiens ont été un peu choqués. J'ai reçu quelques lettres d'injures. Mais cela ne compte pas. Ce qui compte, c'est l'effort accompli par beaucoup. Il y a eu des réactions splendides. Parfois on a lu ces articles, en famille, avant la prière du soir. J'ai reçu des patrons qui se réunissaient chez moi et qui me demandaient : Qu'est-ce que nous pourrions faire ? Il faut que vous sachiez, vous qui souffrez dans le monde ouvrier, il faut que vous sachiez que partout où il y a de vrai chrétiens, il y a de la sympathie pour vous.
Ceux qui ne vous comprenne pas, ce sont ceux qui n'ont pas réalisé suffisamment les exigences du christianisme. Et il ne s'agit pas d'une simple sympathie. On travaille à des réalisations. Oh ! Je ne vous promets pas que demain tout sera changé. On ne peut pas tout bouleverser en un jour. Je ne vous dis pas d'arrêter votre action mais il faut que vous sachiez que, par l'amour fraternel, tous les chrétiens peuvent s'unir dans un même effort, quelle que soit leur classe sociale.
Il y a, actuellement en France, des chrétiens, non ouvriers, spécialement des ingénieurs et des chefs d'entreprise, qui se sont mis courageusement à l’œuvre pour réaliser des réformes profondes. Ils veulent que les ouvriers puissent occuper la place à laquelle ils ont droit.
Conclusions théoriques
Voilà ce que je voulais vous dire, ce soir. Évidemment, on ne peut pas, dans une simple conférence, traiter complètement leproblème des rapports de l'Église avec la classe ouvrière. Mais je pense que vous partirez d'ici profondément convaincus que l'Église c'est toujours le Christ qui aime les pauvres,... que l'Église ne reste pas étrangère à la vie du monde,... que l'Église travaille à sa manière, comme elle le peut, pour permettre à tout homme d'avoir une vie véritablement humaine.
Vous aurez compris pourquoi le pape, les évêques et les prêtres ne peuvent pas et ne doivent pas faire par eux-mêmes ce qui est réservé au laïcat. Le pape, les évêques et les prêtres doivent, comme le Christ, rendre témoignage à la vérité. Ils doivent aussi, comme le Christ, aider les hommes à se débarrasser de tout égoïsme et à vivre d'amour. Ils doivent rappeler à chacun ses devoirs mais en laissant aux laïcs la responsabilité de leurs décisions.
Quant aux ouvriers chrétiens, ils ne doivent pas se résigner devant les conditions actuelles de la vie ouvrière. Ils doivent mener le combat ouvrier non pas clans la haine et en abusant de la force, mais dans l'amour et dans l'unique souci de faire régner une vraie justice.
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Et maintenant, il faut agir. Vous savez toute la confiance que l'Église met en vous. Nous savons votre bonne volonté et la justice de vos aspirations profondes. Je suis persuadé qu'après cette réunion, nous nous aimerons davantage les uns les autres et nous chercherons à prouver par les faits notre amour. Ensemble nous travaillerons, sans égoïsme et sans haine, dans un climat de justice et de charité pour bâtir un monde meilleur.
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L'UNION POUR L'ACTION DOIT S'INTENSIFIER
Samedi 22 octobre 1949, à la Bourse du Travail, Mgr Ancel devait au cours d'un grand meeting s'adresser aux travailleurs stéphanois.En m'y déléguant, l'Union Départementale C.G.T. de la Loire a voulu par ce geste montrer combien elle était soucieuse de voir se resserrer les liens entre tous les travailleurs. C'est un fait que la situation de misère dans laquelle s'enfonce de plus en plus la classe laborieuse pose devant les hommes et devant les mouvements des problèmes qu'il faut résoudre dans un temps très rapproché.
En 1949, avec un mouvements syndical qui a pris conscience de son rôle et de force, il n'est plus possible devant les injustices qui permettent à une poignée de capitalistes égoïstes de vivre du travail de ceux qu'elle exploite, de parler de résignation à la misère.
La classe ouvrière est convaincue que le développement des techniques et des sciences devraient se traduire par l'amélioration de ses conditions d'existence. Dès lors, elle se dresse contre toutes les mesures que tentent à maintenir et à aggraver sa situation au seul profit du clan des capitalistes. Dans cette lutte qui s'engage l'Union lui apparaît comme le moyen le meilleur de faire échec à une politique contraire à ses intérêts. Le meeting de samedi en fut la démonstration.
Dénonçant les hausse de prix, le blocage des salaires et les bénéfices scandaleux réalisés par certaines grandes firmes, montrant le chômage qui se développe et la misère qui s'installe dans les foyers ouvriers, le premier orateur , M. Pichon eut toute l'attention et l'approbation de la salle. Lorsque Monseigneur Ancel après avoir rappelé quelques passages des recommandations des cardinaux et archevêques de France en faveur de la défense de la paix, condamna les capitalistes égoïstes et appela les travailleurs à l'union et à l'action pour plus de justice sociales, les applaudissement de l'auditoire montrèrent combien ce langage répondait à ses désirs et à son attente.
En écoutant ces paroles, j'eus l'impression que la déclaration que j'avais mandat de faire, recevait une réponse anticipée.
L'accueil enthousiaste de la salle au vibrant appel en faveur de l'union dans l'action, que je fis au nom de notre Union départementale C.G.T. de la Loire, permit de mieux mesurer la volonté d'union qui animait les travailleurs chrétiens présents.
Ainsi le courant d'union et d'action qui grandit, se développe et se manifeste chaque jour sous différentes formes trouve une résonance dans les milieux de plus en plus larges.
Notre Union départementale des syndicats C.G.T. De la Loire, dont la ligne de conduite de toujours est conforme à cette volonté, se réjouit de tout ce qui peut permettre l'avancer dans cette voie.
Elle demande à tous ses militants, à quelques postes qu'ils occupent dans le mouvement syndical et à l'ensemble des travailleurs d’œuvrer de toutes leurs forces à la réalisation de cette Union, qui sera le gage des victoires ouvrières.
Par François Royer