Monday, December 11, 2023
"S'il existait encore, j'aurais tellement peur que je déménagerais"
 

Sous la IIIème République, l'enseignement de l'histoire de France remplissait une fonction d'intégration nationale. Non seulement pour les Français d'origine étrangère mais aussi et surtout pour tous les petits provinciaux. En même temps qu'elle s'acharnait à  réprimer le parler breton et les autres langues et dialectes, Marianne n'eut de cesse d'organiser la commémoration méthodique des grands ancêtres et des grandes dates du passé national.


La République voulait ainsi conférer aux enfants issus des différentes régions françaises, encore mal soudées, une mémoire et une galerie d'ancêtres communs, pour favoriser l'unification morale et la cohésion sociale de notre pays. L'Histoire devait contribuer à  créer dans l'inconscient collectif des Français ce que Malraux nomma « la communauté de rêves ». Celle qui « fait la force d'une Nation ».

Mais c'est au prix d'un enfouissement dans le silence du non-dit des héritages culturels ancestraux, aussi bien ceux des Bretons ou des Auvergnats que ceux des enfants de paysans ou des travailleurs immigrés, que ceux-ci devinrent les descendants adoptifs de Vercingétorix, de Louis XIV et les héritiers de la révolution de 89. Au regard des particularismes régionaux, la célébration nationale ne pouvait se faire qu'au détriment de l'histoire des « pays ». « La logique d'une France-Gaule originellement déterminée renvoie dans un néant politique et culturel le devenir des futures périphéries françaises avant leurs annexions: comté de Toulouse, Provence, pays de langues et cultures occitanes ; duché de Bretagne à  l'indépendance jalouse; Alsace morceau d'Empire germanique ; Corse constitutionnelle de Paoli ' pour ne citer que quelques exemples. »
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Il faut cependant noter qu'entre 1870 et 1914, le champ de bataille du manuel d'histoire (2) fut aprement disputé à  Marianne. Face aux « hussards noirs de la République », sa redoutable ennemie l'Eglise lâcha ses légions de fidèles, de clercs remuants qui depuis longtemps rêvaient d'en découdre avec la « gueuse ». A partir des réformes des programmes scolaires de 1880 et 1882, les deux écoles s'affrontèrent à  coups d'images et de gravures superbes propres à  enflammer l'imaginaire des bambins. Dans cette grande fresque épique qui s'étale au fil des pages, il n'est pas difficile de faire l'inventaire des divergences. Le martyrologe laique que fait la part belle aux héros du peuple, aux victimes de l'arbitraire royal et du fanatisme religieux, aux jeunes héros de l'an II, aux grandes gueules de la République : Etienne Marcel, Jacques Coeur, les cathares, Latude, La Barre, Bara, les victimes de la Saint-Barthélemy, Mirabeau, Desmoulins, les marins du Vengeur, Jules Ferry, Gambetta... Le panthéon catholique honore plutôt la mémoire des saints martyrs, Saint Louis guérissant les écrouelles, Louis XVI, Mr Vincent, les zouaves pontificaux.. Il y a enfin les figures disputées par les deux camps et interprêtées parfois avec de grosses nuances. Ce sont souvent des héros qui ont combattu l'envahisseur, des rois qui ont construit la Nation, des grands généraux ou de fins politiques qui ont servi le roi : Clovis, Charlemagne, le comte Eudes, Godefroy de Bouillon, Saint-Louis, Le grand Ferré, Bertrand Du Guesclin, Jeanne d'Arc, Bayard, Richelieu, Mazarin...
 
Illustration de Gustave Ducoudray (1878): le sacrifice du Vengeur (bataille du 13 Prairial an II) ou Cambronne avant l'heure :
« Nous sombrons mes enfants vous venez de l'entendre
Répondez à  l'Anglais si vous voulez vous rendre
Jamais hurlent cent voix qu'emporte le trépas
Mourons tous s'il le faut mais ne nous rendons pas
Et le vengeur sombrant la phalange héroique
S'engloutit en criant : Vive la République »


Concernant la Révolution et La Terreur, les manuels laiques furent plutôt pudiques. Seules parmi les grandes figures, les moins sanguinaires (Desmoulins, Danton, Mirabeau) ont vu leurs portraits croqués par les dessinateurs. Bien entendu, nulle gravure ne rend compte des abominations commises en Vendée par les « colonnes infernales » (les enfants de Lucs-sur-Boulogne !) ou n'évoquent les noyades de Nantes. Carrier est en revanche stigmatisé par quelques gravures dans les manuels adverses. Quant au Forézien Claude Javogues, autre « missionnaire de la Terreur », il ne semble pas avoir fait l'objet d'aucune représentation dans quelque manuel que ce soit. Ce qui ne signifie pas que le récit de ses méfaits n'ait pas été allègrement dispensé aux matrus du Forez et que leur souvenir ne se soit transmis de génération en génération.
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René Berchoud animait au collège du Palais, à  Feurs, un « Groupe d'études javoguesques ». En 1989, à  l'occasion du bicentenaire de la Révolution française, il lança ses jeunes troupes à  l'assaut des mémoires foréziennes. Il s'agissait simplement de demander aux habitants d'évoquer Claude Javogues. Voici quelques propos collectés. Souvent confondu avec d'autres figures locales ou nationales, de Du Guesclin à  Mandrin en passant par Carrier et Jacquou le Croquant, quand ce n'est pas Gilles de Rais, ce joyeux mélange en dit long sur l'empreinte qu'a laissé le Conventionnel dans la mémoire collective.
 
Buste de Claude Javogues
Réalisé par le sculpteur stéphanois Emile Tournayre, en collaboration avec l'historien François Gonon, à  partir de deux signalements et des souvenirs de ses victimes et descendants. " Enfin, une de ces figures de dogue dont on dit: il ne doit pas être bon tous les jours".


« Né à  Belgrade...»

« Mauvais depuis l'enfance... Déjà  à  l'école, il était batailleur et brutal...»

« Il devait faire le ménage dans le ForeZ...»

« Il voulait épouser Mlle de Saint-Hilaire. Refusé, pour se venger, il tua le frère de la jeune fille. Cet amour déçu fut la cause de sa férocité...»

« Il a jeté le squelette d'Henri IV dans l'égoût...»

« Il a fait construire la chapelle des martyrs, qu'il dirigeait... »

« Il est pire que Hitler. Il a tué des milliers de gens qui ne savaient même pas pourquoi on les tuait...»

« Il était démocrate. »

« Chef d'une bande de voleurs, il a incendié le château de Montrond...»

« Grand assassin, il a tué des milliers de têtes. La guillotine ne lui suffisant plus, il faisait fusiller...»

« C'est lui qui a provoqué la Révolution. »

« La haine des nobles vient de qu'il voulût entrer comme avocat dans un club de notables, d'où il fut refusé... »

« Il est mort à  Feurs après avoir abattu le seigneur de Bellegarde-en-Forez, auquel il avait tranché la tête avec un couteau. »

« Il a fait assassiner tellement de personnes qu'on pouvait voir couler le sang dans les rues, depuis la chapelle des martyrs jusqu'au pont de la Loire...»

« Il y avait tellement de décès qu'il n'avait plus d'encre pour son stylo. Alors il trempait son stylo dans le ruisseau de sang qui coulait vers la Loire. »

« Il y avait des massacres sur le pont de Feurs...»

« S'il existait encore, j'aurais tellement peur que je déménagerais...»

« Il emmenait les gens condamnés jusqu'au milieu de la Loire en bateau à  fond plat : il ouvrait une trappe et les gens tombaient dans l'eau...»

« Il a défendu la République. »

« Il était un meneur dans le Forez comme Jacquou le croquant dans le Périgord...»

« Il a exagéré mais il a fait quelque chose de sain en luttant contre l'exploitation des pauvres par les riches. Il a jugé les gens qui exploitaient les autres. »

« C'était un détraqué. Il aimait tuer. »

« Les condamnés arrivaient par pleins chars...»

« Il coupait la tête à  tous ceux qui lui tombaient sous la main. »


Etc.
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Nul besoin d'images imprimées ! De nombreux ouvrages ont donné de Javogues un portrait « au couteau » (3) qui l'ont installé durablement dans « la communauté du cauchemar »: « Néron du Forez », « Despote exalté assoiffé de sang », « ivrogne immoral et voleur », monstre de lubricité et d'orgueil, grossier et cynique, d'une férocité systématique... Jusqu'à  Victor Hugo lui-même qui se trompe en faisant de Javogues dans Quatre-vingt-treize un des odieux profanateurs de la nécropole royale de Saint-Denis (« Il a jeté Henri IV dans l'égout »). La violation eut lieu le 1er août 1793 et Javogues était alors en Bourgogne. En 1884, J.-M. devet écrivait que son nom était à  ce point exécré dans le Forez que les paysans appelaient « Javogues » leurs bêtes vicieuses et les gens mauvais.
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René Berchoud écrivait à  ce propos dans son Histoire en deux volumes de la Révolution à  Néronde et dans les Monts du Matin : « Telle est la force des idées reçues, tel est notre goût pour les histoires en noir et blanc. (...) A suivre sa vie d'un peu près, ce n'est pas Barbe Bleue que l'on aperçoit, mais une sorte de conquistador d'un monde nouveau, ouvrant sur une société radieuse, purgée de l'égoà¯sme et des égoà¯stes. Javogues a du sang sur les mains, mais les chefs militaires en ont autrement sur le visage, et les « honnêtes gens » qui laissent mourir leurs frères de faim et dont nous sommes en ont un peu sur la conscience. »

Pour cette petite évocation du proconsul, nous avons sollicité l'aide de M. Henri Poncet, un autre enfant de Bellegarde-en-Forez (et non Belgrade) qui nous a communiqué des documents et nous a fait visité son village. Depuis longtemps passionné par le personnage, Mr Poncet, auquel nous dédions ce modeste exposé, se range à  l'avis de René Berchoud. Pour Javogues, face à  la menace ennemie aux frontières et à  la réaction muscadine à  l'intérieur, la Terreur était le « dernier et décisif pas en avant vers la République démocratique, un Grand Combat qui verrait l'anéantissement des ennemis du peuple ». Il considère aussi que le portrait de Javogues a été considérablement noirci après sa mort par les royalistes et les prêtres. A ce sujet, un autre avis recueilli par les élèves de Feurs en 1989 est particulièrement intéressant. Il émane justement d'un prêtre : « Je comprends très bien pourquoi on a élevé la « Chapelle des martyrs » car les dominants au moment de la Restauration étaient les royalistes, partisans de la Religion. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi on n'a pas élevé un monument aux martyrs de Salvizinet. Il est vrai que ceux-là  étaient des inconnus et des pauvres gens qui essayaient simplement de défendre leurs droits et leurs terres. Ce sont peut-être des martyrs plus vrais que les autres. »
 
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Porte de la maison natale de Javogues et terrier de 1759 montrant (en rosé) la propriété: maison, jardin, étable...
 
Claude Javogues est né le 19 août 1759 à  Bellegarde. Il est l'aîné d'une famille bourgeoise de onze enfants installée depuis longtemps dans le village. Elle possède un patrimoine foncier assez important à  Bellegarde et dans les environs. A Montbrison, existe encore de nos jours une maison qui appartenait à  la famille. Sa mère se nommait Jeanne-Marie Coignet. Rambert, son père était notaire mais aussi avocat au parlement et vice-gérant de la châtellenie de Feurs. Avant lui, d'autres Javogues avaient été greffiers ou capitaines châtelains; et c'est dans l'esprit de cette tradition familiale que les parents envisagèrent pour leur enfant une carrière de juriste.
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Diplôme de Javogues
 
On connaît peu de choses des jeunes années de Claude Javogues. Vers l'âge de dix ou douze ans, il entre, comme de nombreux enfants aisés, au collège des Oratoriens de Montbrison avant de rejoindre plus tard l'Université de Valence où il obtient sa Licence. « Licencié en droit ? Mon Dieu ! que de licences il prit avec le droit ! » devait écrire en 1932 Georges Javogues, un de ses descendants. Revenu dans le Forez, il commence une carrière d'avocat au baillage de Montbrison. La ville, à  l'orée de la Révolution est un centre judiciaire important.
 
Ci-dessous: maison et chambre (cliché des années 1920)  de Javogues à  Montbrison
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Certains ont écrit que son talent oratoire y fut très médiocrement apprécié et surtout que ses prétentions nobiliaires, inspirées par un orgueil démesuré, le firent tourner en ridicule. De là  viendrait sa haine implacable pour la classe supérieure. A la Révolution, il se lance dans la politique. Dès 1789, il est nommé commandant de la police nocturne et en 1791, il devient administrateur du district. Aux élections à  la Convention en septembre 1792, il est élu député du département du Rhône-et-Loire. Les autres députés du Forez sont Dubouchet et Dupuy à  Montbrison, Michel et Forest (Roanne), Marcellin Béraud et Noël Pointe (cadet) à  Saint-Etienne, Moulin à  Montagny. Javogues a trente-trois ans. Il siège, comme Dubouchet et Dupuy sur les bancs de la Montagne, c'est-à -dire à  gauche de l'Assemblée. Il fait partie des partisans d'Hébert et de Marat, ceux dont Robespierre dit : « Ils nous poussent aux excès ».
 
Trapu, les épaules carrées ; une tête ronde à  cheveux ras ; des yeux gris sous des sourcils broussailleux ; des levrès minces, son langage est cru et violent, sa voix résonne dans les clubs : « Foutez-moi le camp, bandes d'aristocrates !! Bande de gueux, j'ai un petit coeur de tigre». Il fait parfois des déclarations fracassantes qui annoncent la couleur, celle du sang : « Feurs sera traitée comme Sodome, et pas un de ses habitants n'échappera à  la mort. » (4) Dans une harangue, il vocifère : « Dénoncez, dénoncez tous les riches ! Dénoncez les prêtres et les gens de lois ! Le patriotisme ne serait pas satisfait si les dénonciations connaissaient quelques bornes et quelques ménagements ! Dénoncer son père est une vertu pour un républicain ! »
 
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La chasse aux aristocres et "fanatiques"
 
Le 17 janvier 1793, 380 députés votent la mort de Louis XVI. Parmi eux, cinq des huit députés foréziens: Noël Pointe, Moulin, Javogues, Dubouchet et Dupuy. Javogues pour sa part précise que c'est pour « préserver les âmes pusillanimes de l'amour de la tyrannie » et préconise que l'exécution ait lieu dans les 24 heures. Le roi monte sur l'échafaud le 21 janvier 1793. Une nuit, à  Montbrison, la maison de Javogues est badigeonnée de sang. L'exécution du roi que beaucoup jugent excessive, sinon sacrilège, avant elle la Constitution Civile du Clergé, enfin la levée en masse décrétée en février 93 pour aller combattre aux frontières, et puis le prix du pain qui augmente, autant de facteurs qui font douter de la Révolution et qui font le jeu de l'agitation royaliste. « Le fanatisme qui s'abreuve de sang dans le département de la Vendée secoue déjà  ses torches dans le district de Montbrison » écrivent les administrateurs. En maints lieux du Forez, des incidents éclatent : à  Néronde, à  Feurs, à  Saint-Chamond... Mais c'est de Lyon que vient l'étincelle. Le 27 mai 1793, les factions girondines et royalistes se soulèvent, excédées par les ultra jacobins Chalier et Bertrand. 100 morts jonchent les rues mais Chalier est mis hors d'état de nuire. En juillet, il expérimente lui-même la guillotine qu'il avait fait venir de Paris.

Montbrison approuve l'insurrection ainsi que Roanne. Mais quand la Convention réagira et enverra ses troupes contre Lyon, la cité du nord fera marche arrière. Le 8 juillet, le général Perrin de Précy, commandant en chef de la ville insurgée envoie un contingent de 1 200 soldats à  Saint-Etienne. Il s'agit d'y prendre des armes et des munitions. Ils entrent dans la ville le 12 juillet et sont bien accueillis par le maire Praire-Royet. Noël Pointe pour sa part gagne les bois ; c'est plus prudent. Plus de 3000 fusils sont raflés à  la Manufacture et le lendemain, les sièges des Sociétés Populaires sont saccagés. 800 autres « Muscadins » prennent le chemin de la plaine du Forez et se dirigent vers Montbrison, « seul grenier d'abondance » où ils sont accueillis à  bras ouverts. Le 23 juillet, la Convention adjoint Javogues aux représentants en mission Reverchon et Laporte pour impulser l'action contre les fédéralistes lyonnais et leurs alliés foréziens. Il quitte la capitale le 25 et arrive à  Mâcon le 28. Dès lors, il partage son temps entre la Saône-et-Loire, le Forez et Lyon.

C'est à  cette époque et en Bourgogne que se situerait l'épisode raconté par Lamartine dans ses Confidences. Il relate la rencontre de sa mère avec Javogues, dépeint sous des traits moins noirs : « Combien de fois ne m'a-t-elle pas raconté ses répugnances, ses découragements, ses terreurs, quand il fallait, après des démarches sans nombre et des sollicitations repoussées avec rudesse, paraître enfin toute tremblante en présence d'un représentant du peuple en mission ! Quelquefois c'était un homme grossier et brutal, qui refusait même d'écouter cette femme en larmes et qui la congédiait avec des menaces, comme coupable de vouloir attendrir la justice de la nation. Quelquefois c'était un homme sensible, que l'aspect d'une tendresse si profonde et d'un désespoir si touchant inclinait malgré lui à  la pitié, mais que la présence de ses collègues endurcissait en apparence, et qui refusait des lèvres ce qu'il accordait du coeur. Le représentant Javogues fut celui de tous ces proconsuls qui laissa à  ma mère la meilleure impression de son caractère.

Introduite à  Dijon, à  son audience, il lui parla avec bonté et avec respect. Elle m'avait porté dans ses bras jusque dans le salon du représentant, afin que la pitié eût deux visages pour l'attendrir, celui d'une jeune mère et celui d'un enfant innocent. Javogues la fit asseoir, se plaignit de sa mission de rigueur, que ses fonctions et le salut de la République lui imposaient. Il me prit sur ses genoux, et comme ma mère faisait un geste d'effroi dans la crainte qu'il ne me laissât tomber : "Ne crains rien, citoyenne, lui dit-il, les républicains ont aussi des fils." Et comme je jouais en souriant avec les bouts de son écharpe tricolore : "Ton enfant est bien beau, ajouta-t-il, pour un fils d'aristocrate. élève-le pour la patrie et fais-en un citoyen." Il lui donna quelques paroles d'intérêt pour mon père et quelques espérances de liberté prochaine. Peut-être est-ce à  lui qu'il dut d'être oublié dans la prison ; car un ordre de jugement à  cette époque était un arrêt de supplice. »


La Convention, via Dubois, Crancé, Laporte, Javogues et Gauthier détache d'abord administrativement le Forez de Lyon. Le 12 août 1793, naît le département de la Loire avec Feurs pour chef-lieu. Le 25 août, un détachement de l'Armée des Alpes qui assiège la capitale des Gaules, aidé de gardes nationaux extermine au Logis des Flaches (Rive-de-Gier) un petit détachement de royalistes venu de Saint-Etienne. On compte vingt-deux morts dont les têtes, promenées sur des piques ont été retrouvées en 1903 au Puits des Rossignols. Quinze prisonniers sont fusillés plus tard à  Lyon avec leur chef, Servan. Le 28 août, sous la pression menaçante des populations des quartiers populaires stéphanois, les Lyonnais évacuent Saint-Etienne. Ils se rassemblent à  Montbrison où de nombreux Foréziens se joignent à  leur troupe. Le 1er septembre, à  Saint-Anthème, cent volontaires républicains sont faits prisonniers par 250 royalistes. Le 3 septembre, à  Salvizinet (au croisement des chemins de Salt-en-Donzy, Pouilly-les-Feurs et Panisssières), un combat oppose les forces de Rimbert et des paysans, plus nombreux mais mal armés. Les « hordes déguenillées » sont sabrées et mitraillées. Des fuyards réfugiés dans une ferme sont brûlés vifs. Rimbert dans une lettre à  Précy évoque la mort de plus de cent jacobins. Un chiffre sans doute exagéré. Les royalistes entrent dans Feurs. Le maire républicain, Berthuel est attaché plusieurs heures à  l'embouchure d'un canon chargé de mitraille. Il ne doit la vie sauve qu'aux supplications du citoyen Gras. Le 4 septembre, un ordre de Javogues, Reverchon et Laporte décrète un rassemblement à  Boën des gardes nationales du district pour chasser une fois pour toutes les muscadins du Forez. Des forces venus d'Auvergne doivent les rejoindre. Face à  la menace, les royalistes évacuent Montbrison et une partie de leurs forces fait halte pour une nuit au château de Montrond avant de gagner Lyon.
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Le 7 septembre, Javogues retrouve le Forez à  la tête d'une troupe dont certains auteurs ont écrit qu'elle était « composée des pires gredins. » « Depuis que Javogues est en mission, disait Couthon, il s'est toujours entouré de brigands et de scélérats. » Il arrive d'abord à  Saint-Etienne puis défait la troupe royaliste de Nicolai à  Chazelles. Quarante royalistes et leur chef sont tués. Le 12, il s'empare du château de Montrond qu'il fait incendier. Le 13, il entre à  Feurs et fait enregistrer ses pouvoirs. De Montbrison, il écrit au Comité de Salut public : « J'espère donner aux aristocrates une leçon dont ils se souviendront longtemps ». Il regroupe tous les volontaires, plus de 10 000 hommes, et prend la route de Lyon, assiégée depuis le 8 août. Dans une lettre, il écrit aussi : « Ces scélérats (les muscadins, ndlr) ont enlevé bestiaux, denrées, récoltes, et jusqu'aux semences. Les laboureurs sont réduits à  la plus affreuse indigence : la Convention ne saurait leur accorder de trop prompts secours ; si elle a donné aux habitants de la Guillotière une somme de 500 000 livres, elle doit avancer aux deux districts de Saint-Etienne et de Montbrison une somme de deux millions.»

Le 30 septembre 1793 (An II), il écrivait cette autre lettre à  ses collègues : « Je vous annoncerai que beaucoup de l'élite des Muscadins ont été tués, entre autre le ci-devant marquis de Vichy, riche à  100 000 écus de revenus. Nous avons quatorze prisonniers muscadins des plus huppés. La boucherie a été bonne. De grâce, faites-nous passer les objets que nous réclamons et nous vous répondrons de bien frotter les Muscadins. Nous avons brûlé toutes les maisons qui joignent l'entrée de la Saulée à  Perrache.
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.Le 9 octobre 1793, l'armée républicaine entre dans Lyon après de durs combats qui ont opposé des Foréziens à  des Foréziens, notamment à  la grande Redoute de Sainte-Foix. Le chef des fédéralistes, Précy est parvenu à  prendre la fuite et trouve refuge chez la famille Magdinier à  Sainte-Agathe-en-Donzy, dans la Loire. Le fils Magdinier, Jean, 18 ans sera fusillé le 23 décembre à  Feurs. Le 21 Vendémiaire (12 octobre) un décret stipule pour Lyon un châtiment à  l'antique :
« Tout ce qui fut habité par le riche sera démoli ; il ne restera que la maison du pauvre (...) Le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de la République. La réunion des maisons conservée portera désormais le nom de Ville Affranchie. Il sera élevé sur les ruines de Lyon une colonne qui attestera à  la postérité les crimes et la punition des royalistes de cette ville, avec cette inscription :
Lyon fit la guerre à  la liberté
Lyon n'est plus.»


Les massacres débutent le 4 décembre. Le matin, 69 prisonniers sont mitraillés au canon dans la plaine des Brotteaux et achevés au sabre. L'après-midi, 210 autres exécutions. Les corps sont jetés dans le Rhône « pour offrir une impression d'épouvante sur les deux rives du fleuve et jusque sous les murailles de l'infâme Toulon » passée aux Anglais le 28 août. D'autres exécutions suivent dans les mois suivants. Au total, 1 684 morts à  Lyon dont 215 Foréziens. Parmi les victimes, trois Stéphanois connus : l'ancien maire girondin Praire-Royet qui, on s'en souvient avait accueilli cordialement les royalistes lyonnais, son frère et l'avocat Detours, fervent révolutionnaire de 1789 qui peut-être au soir de sa vie regretta son enthousiasme passé.

Javogues peut désormais régler ses comptes dans sa région natale. Le 20 octobre 1793, il crée une « Force révolutionnaire du département de la Loire ». Au total 1200 hommes répartis dans les disctricts de saint-Etienne, Roanne et Montbrison. Sa mission : « arrêter les suspects et les conspirateurs, activer les réquisitions et les démolitions des lieux propres aux rassemblements contre-révolutionnaires. » C'est le début de la Terreur en Forez, qui dura jusqu'en février 1794. C'est aussi le début de la grande geste noire de Javogues. Cinq mois à  peine, mais « sur un théâtre plus petit, il est parvenu à  réaliser les théories de la Convention et a surpassé les atrocités qui ont marqué avec du sang dans l'Histoire les noms de Couthon et de Collot d'Herbois»
(5). Si Rive-de-Gier est récompensée de son zèle jacobin en prenant la tête d'un nouveau district, Montbrison est sévèrement punie. A l'image du sort réservé à  Lyon, la cité des comtes de Forez est débaptisée et devient Montbrisé. Ses murailles doivent être rasées et leurs débris supporter une colonne portant l'inscription : « La ville de Montbrison fit la guerre à  la Liberté. Elle n'est plus. »

A Feurs, chef-lieu du département, il fait apposer les scellés sur les biens meubles et immeubles d'un certain nombre de personnes « dont les principes connus auraient concouru à  méconnaître la Convention ou à  fédéraliser la France » : les dames de Boisvair, du Rozier, de la Rochette, Relogue, Gorgeret... Certains édifices, dont la demeure de la famille d'Assier, l'église des Minimes et l'église paroissiale sont transformées en prisons. La devise « Guerre aux châteaux, paix aux chaumières » est inscrite sur le drapeau tricolore du bataillon de Feurs. Il installe dans la petite ville de 3 000 âmes l'un des 148 tribunaux révolutionnaires que compte la République et à  la tête des administrations, il place des hommes à  lui: Lapalus à  Roanne, Béraud à  Saint-Pierre-de-Boeuf, Armelin à  Rive-de-Gier, Saint-Didier à  Saint-Chamond...

La chasse à  l'homme, stimulée par des appels à  la délation de l'Accusateur Public Dubien permet la publication de 310 noms à  Montbrison, plus de 430 à  la Commune d'Armes (Saint-Etienne). A Roanne, Lapalus fait arrêter tous les médecins, puis tous les pharmaciens ! Il fait arrêter également Nompère de Champagny qui avait été député aux états généraux et dont les habitants de Saint-Vincent-de-Boisset prennent la défense.

La machine du docteur Guillotin arrive dans la nuit du 21 au 22 novembre. Elle est installée à  côté de l'église, place de la Liberté. Elle fut retrouvée chez un brocanteur parisien en 1883 et rachetée par un particulier.

En voici la description publiée dans un journal en 1898: « Hauteur 3m 50 ; largeur 0m 46 ; épaisseur de chaque montant 0m 13 carrés ; diamètre du trou de lunette 0m 16 ; hauteur de chaque planchette encerclant la lunette 0m 45. Chaque montant était surmonté d'un bonnet phrygien sculpté en plein bois, et le bandeau supérieur de la guillotine portait cette inscription : AN 2 DE LA REPUBLIQUE. Le déclic, le couperet et la planchette de support du corps du patient manquaient. Cette guillotine était vermoulue et fatiguée car elle avait rudement travaillé à  l'époque de la Terreur.

Guillotine, photographie de James Stanfield

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Peut-être pas tant que ça, en tout cas pas à  Feurs ainsi que nous le verrons. Elle a pour exécuteur Louis Faroux, le fils de l'ancien bourreau de Montbrison. Au « vengeur du peuple », le département allouait 2400 livres par an et 800 à  chacun de ses aides. Pour rembourser notamment leurs frais de déplacement à  Saint-Etienne, par exemple lors de la fête révolutionnaire du 10 nivôse (30 décembre) quand Javogues organisa la décapitation symbolique de mannequins représentant les rois d'Angleterre, du Piémont, du Pape et de Pitt, le ministre anglais. Leurs émoluments se montaient à  1000 francs/trimestre à  se partager.
 
Plan de Feurs en 1768, par Brissat
La + indique l'emplacement probable de la guillotine

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Les premières têtes tombent le 23 novembre. Ce sont celles de Pierre-Etienne Delesgalery du Tailloux (18 ans), Michel Goyet et André Vial (17 ans). Tous trois avaient participé à  la prise de Saint-Anthème évoquée plus haut. Michel Goyet était notaire à  Montbrison. Lors d'une crue de la Loire, il avait sauvé la vie de 15 personnes.

Si l'on en croit la liste des victimes foréziennes de la Terreur, mise en ligne sur internet par l'Association de la Chapelle des Martyrs de Feurs, douze autres personnes furent guillotinées à  Feurs durant la Terreur: Jacques Ardaillon, Guillaume Carton, Martin Goure et son épouse Agathe Defarges, Guy-Joseph Gérentet, Etienne Goutorbe, Jean-Marie Gubian, Michel Landrivon, Pierre Latard du Chevalard, Jean-Marie Mollin, Joseph-Marie Pariat-Civens, N. Perrin. D'après l'ouvrage La Révolution dans la Loire, elle n'a raccourci que neuf condamnés, dont trois à  Montbrison.

Mais une centaine d'autres furent fusillées. En effet, la machine n'est pas toujours performante. Mal aiguisée ou mal suspendue, elle rate parfois son cou(p). La technique de la fusillade, d'abord sur la place d'Armes puis dans les allées du château du Rosier fut donc préférée malgré la pénurie de cartouches. Vingt fusils et 4000 cartouches sont réquisitionnés pour la besogne à  la garnison de Montbrison. Parmi les victimes des premières fournées (1793), citons Blaise Gabriel Jamier, ancien maire de Montbrison, ancien député du tiers-état aux états généraux et le vicomte de Meaux, ancien lieutenant général du bailliage de Montbrison. Il y a aussi de Lachaize, procureur du roi à  Montbrison, le comte de Rochefort et son jeune fils, officier de marine âgé de 19 ans. Mais le procédé n'était semble-t-il guère plus humain. Si l'on en croit une délibération couchée sur les registres du département qui évoque « l'imprudence ou l'impéritie des officiers ou soldats, qui couraient après plusieurs décharges pour se procurer des cartouches ». En clair pour achever les blessés qui avaient survécu à  la première décharge. Joli tableau !
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La tradition a rapporté quelques dialogues traduisant la férocité du personnage en même temps que le courage de ses victimes. Sont-ils vrais ? Ils sont en tout cas marquants : « Crois-tu à  l'enfer ? demande Javogues à  un curé qui lui répond : Comment en douter en vous voyant ? » Il traduit à  la barre une jeune fille de 17 ans qui a refusé de piquer à  son bonnet la cocarde. Elle lui dit : « Ce n'est point la cocarde que je hais, mais comme vous la portez, elle déshonorerait mon front ! » En revanche, Javogues laisse la vie sauve au comte Charpin de Feugerolles dont les habitants de Firminy, Chazeau, Le Chambon-Feugerolles viennent demander la libération. La maîtresse de Javogues, Marguerite Fourneyron intercède également en sa faveur. Le noble, jusqu'à  sa mort lui versera une rente viagère (7). Le 21 décembre, pour pallier à  la crise qui frappe les industries stéphanoise, le Conventionnel, qui hait autant les riches et les profiteurs que les royalistes et les prêtres institue une taxe révolutionnaire au profit de « l'humanité souffrante ». Les Stéphanois possédant plus de 100 000 livres doivent verser le surplus sous 24 heures. Deux jours plus tard, il étend la taxe à  toute la Loire. Près d'1/2 millions de livres est versée !
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Tombe du neveu de Javogues, Pierre Laplaigne
Claude Javogues n'a pas eu d'enfants. Son frère Gaspard (1769-1837), qui fut maire de Bellegarde sous les Cent jours et durant le règne de Louis-Philippe en revanche eut une descendance. Son fils Pierre Javogues (1811-1850) changea de nom.
 
Contrairement à  Robespierre, Javogues est très violemment antireligieux, allant jusqu'à  pousser son cheval dans l'église de Pouilly-lès-Feurs pour y faire abreuver son cheval dans le bénitier. Pour lutter contre « le fanatisme », il applique une politique systématique de déchristianisation. Le 27 décembre 93, il ordonne que toutes les églises soient désaffectées. Le 1er janvier 1794, les objets et vêtements liturgiques de Montbrison sont enlevés par les soldats. La collégiale perd ses cloches, fondues, à  l'exception de « Sauveterre ».
 
Le jubé est détruit pour faire place à  une estrade. A Saint-Etienne en mai 1794, six forges sont installées à  la Grand'Eglise. A Roanne, l'église Saint-Etienne sert d'entrepôt. Trois paysans de La Versanne (Pilat) qui coupent l'arbre de la Liberté sont guillotinés à  Lyon. Les profanations se multiplient.
 
Les croix des chemins sont rompues. Certains n'hésitent pourtant pas à  les relever la nuit. A Saint-Germain-Laval, une trentaine de femmes sont arrêtées sur ordre du proconsul. Elles ont abattu « La Chalier », la statue de femme nue empruntée à  la Batie d'Urfé et que les sbires de Javogues avaient coiffé d'un bonnet phrygien pour en faire un symbole de la Liberté. Parmi elles se trouve la propre femme du maire. Claude Javogues en outre propose cent livres de récompense à  qui dénonce les prêtres réfractaires.
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Les hommes d'église ont payé un lourd tribut au nouveau monde affranchi des superstitions que voulait créer Javogues. Quelques noms : Barberaud, aumônier des Clarisses de Montbrison, fusillé à  Feurs; Antoinette de Boubé, religieuse hospitalière, morte en détention à  Feurs; Pierre Bruyère, vicaire et chanoine de Montbrison, fusillé à  Feurs; André Chambovet, prêtre lazariste, mort en prison à  Saint-Etienne; Georges Cheminal, curé de Bussy-Albieux, fusillé à  Feurs; Antoine Nabonnant, curé de Saint-Germain-Laval, fusillé à  Feurs; Claude Barrier, curé d'Usson-en-Forez, exécuté à  Lyon; Claude Briery, prêtre de Pavezin, mort à  Lyon; Jean-Baptiste Courtin de Neufbourg, moine bénédictin, exécuté à  Paris...
 

La chapelle expiatoire de Feurs
Elevée en 1826 sur l'allée du Rozier où avaient lieu les fusillades
 
Le 11 décembre 93, Javogues est relevé de ses fonctions par le comité de salut public suite à  l'arrivée à  Paris d'une délégation roannaise se plaignant des exactions de Lapalus. 1200 arrestations ! Mais il refuse de rentrer à  Paris. Il est à  nouveau rappelé en janvier 1794 mais n'obéit pas. Au contraire, il réorganise le tribunal de Feurs et y nomme Lapalus et Duret. Le 14 janvier, alors qu'il est à  la tête d'un misérable convoi de 38 prisonniers frigorifiés qu'il traîne vers la plaine, la population de Saint-Etienne brave le citoyen Javogues et offre vêtements et nourriture aux malheureux. Le 4 février, les prisons de Montbrison sont évacuées et environ 300 prisonniers sont conduits à  Feurs où ils sont enfermés dans la collégiale. Parmi eux, de nombreux prêtres et religieuses. Le 8 février, alors que le nouveau tribunal forézien entre en fonction, Couthon sidère l'Assemblée Nationale en lui lisant « l'imprimé atroce » où Javogues le traite de « monstre le plus cruel, ennemi implacable des patriotes » (8). D'autres sont venus accuser Javogues, dont Claude Fauriel reçu par Robespierre en personne. 
 
Ci-dessous, Robespierre, Saint-Just et Couthon
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Le 10 février 1794, 28 prisonniers, liés par les poignets sont conduits devant l'église de Feurs pour entendre la sentence de mort. La suite est connue d'après le témoignage de M. Broutin, alors âgé de 12 ans. Au milieu d'une foule silencieuse et terrifiée, le triste cortège gagne le lieu du supplice en suivant le père Aimé qui chante d'une voix forte le Miserere. Allée du Rozier, les condamnés sont placés le long du mur. Devant eux s'ouvre une fosse remplie de chaux de Sury. Javogues commande lui-même le feu, « se prélassant dans un magnifique équipages entre deux déesses de la Raison. » Immédiatement après la mise à  mort, la populace se précipite et arrache les vêtements des dépouilles que le proconsul lui a promis. Ce même Broutin, auteur d'une Histoire de Feurs s'est fait aussi l'écho d'une tradition très incertaine selon laquelle les soldats du peloton d'exécution étaient des prisonniers piémontais.

Le 12 février, Marino et Delan, les envoyés de la Convention arrivent à  Feurs. Lapalus et Duret sont arrêtés. La Commission de Feurs est dissoute. Javogues cède enfin, sans résister. Il va à  Paris et s'excuse auprès de Couthon qui lui pardonne. Quelques jours plus tôt, Lapalus et Duret avaient été condamnés à  mort et guillotinés (13 avril 1794). Le départ sans retour de Javogues est un soulagement pour tout le Forez. 26 détenus sont libérés à  Saint-Chamond, 80 autres à  Roanne. Mais tous les prisonniers ne recouvrent pas la liberté. Le Tribunal Criminel remplace celui de Javogues. Il est présidé par le citoyen Bourgeois, Dubessy en est l'accusateur public et David le greffier. De mai 94 à  septembre, il prononce encore une vingtaine de condamnations à  mort dont une dizaine à  l'encontre de prêtres. Mais bientôt les révolutionnaires n'auront plus le monopole de la Terreur. Compagnons de Jéhu et Chevaliers du poignards royalistes solderont les comptes.
Appel des dernières victimes de la Terreur
Détail du tableau de Charles-Louis Muller
.Javogues devait connaître le même sort que la plupart de ses victimes. Remis en liberté, il est arrêté à  nouveau en avril 1795. Libéré en octobre, il s'engage dans la « conspiration des égaux » de Gracchus Babeuf contre le Directoire.
 
Le complot, considéré comme la première tentative de prise de pouvoir communiste, échoue. Impliqué dans l'échauffourée policière du Camp de Grenelle (septembre 96), il est arrêté dans un cabaret de Montrouge. Dans ses poches, une lettre de sa mère, assez savoureuse puisqu'on y lit ces mots : « Ton père et moi n'avons cessé de prier Dieu pour qu'il te conserve. » Emprisonné au Temple, là -même où Louis XVI a vécu ses dernières heures, il est condamné le 9 octobre 1796 et exécuté le 10, dans la plaine de Grenelle en compagnie de sept compagnons. Il avait 37 ans.
 
Le peloton était dirigé par Léopold Hugo, père de Victor Hugo. Javogues, l'irréductible jacobin, chantait La Marseillaise.
 

(1) Suzanne Citron, Le Monde, 5 novembre 2000.

(2) Le petit père Combes : « Le manuel d'histoire est désormais le champ de bataille entre l'Eglise et l'Etat. » Ce fut surtout vrai entre 1905 (séparation de l'Eglise et de l'Etat) et la première guerre mondiale (Union sacrée).

(3) Qui reprennent surtout la « Dénonciation des Stéphanois contre le Représentant Javogues » rédigée par Nicolas Courbon-Montviol, royaliste.

(4) Berchoud, Histoire en deux volumes de la Révolution à  Néronde et dans les Monts du Matin

(5) Citation extraite d'un opuscule catholique de 1927 : Victimes et Martyrs, souvenirs de la Terreur

(6) Michel Peronnet, Colette Canty, Jean Berthéas, Horvath 1988

(7) Originaire du Chambon, Marguerite Fourneyron dit « La Merlasse » partageait avec sa mère le lit du Conventionnel. Elle s'était fait une spécialité d'aller promettre la liberté aux condamnés qui la paieraient généreusement. Javogues la fit arrêter quand il prit connaissance de ses agissements. Elle s'éteignit en 1846 à  Saint-Etienne.

(8) Couthon, membre du comité de salut public, proche de Saint-Just et de Robespierre qu'il suivit sur l'échafaud. Une célèbre anecdote : sa santé avait été compromise à  la suite d'une nuit passée dans un tonneau rempli d'eau glaciale pour ne pas compromettre l'honneur d'une femme qu'il aimait.