
Plus tard, Louis Armand, voulant montrer le rôle de la machine à coudre dans l'histoire économique, écrivait : « Un nom me vient à l'esprit, celui de Thimonnier, l'inventeur de la machine à coudre. Ne devrait-il pas y avoir autant de rues Thimonnier que de rues portant le nom de militaires illustres ? » A suivre le parcours du génial inventeur de la rue des Forges, on remarque des analogies avec celui de Jacquard. On y découvre un même milieu modeste, une jeunesse difficile, une même curiosité immense pour toutes les choses de la mécanique et une semblable hostilité à son encontre des ouvriers qui craignaient que son travail n'entraîna leur chômage.

Barthélémy Thimonnier est né à l'Arbresle (Rhône) le 19 août 1793. Il était le fils d'un teinturier. Après quelques études au séminaire de Saint-Jean, il embrasse la profession de tailleur et s'installe avec sa famille à Amplepuis en 1795. Après le décès de sa première épouse, il se marie avec une brodeuse en janvier 1822. Après un passage à Panissières où il exerce la profession de tailleur journalier, il s'installe en 1823 dans le quartier de La Rivière, rue des Forges à Saint-Etienne. Jouant de l'aiguille à longueur de journée pour habiller ses clients, Thimonnier cherche un moyen de coudre plus rapidement et qui soit moins fatigant. Il avait remarqué le point de chaînette qu'utilisaient les ouvrières des monts du Lyonnais pour broder au crochet et la rapidité avec laquelle elle pouvaient former les points de manière presque « mécanique ». Ce qu'il souhaite lui aussi, c'est de pouvoir coudre mécaniquement.
A force d'essais et de tatonnements, Thimonnier achève de fabriquer sa "Couseuse" en 1829. C'est un modeste appareil en bois qui permet pour la première fois de réaliser mécaniquement un point de chaînette avec une aiguille et un fil.
Nous empruntons à M. Galichon, avec son aimable autorisation, la description de cette « couseuse » :
« D'après le brevet d'invention de 1830, la première machine de Thimonnier est une table sur laquelle une roue à volant entraîne une bielle dont le va-et-vient fait descendre et remonter l'aiguille à deux pointes. La machine est presque entièrement en bois, rudimentaire mais fonctionne. C'est un assemblage de petites pièces, quelques unes sont en cuivre, toutes sont de forme inconnue jusque là . Elle ne comporte pas de mouvement d'entraînement du tissu. L'entraînement se fait avec les deux mains, donc le seul moyen pour faire fonctionner la machine était le pied au moyen d'une pédale. Elle exige de la dextérité pour l'obtention d'un point régulier. Elle dispose d'une vis pour régler la hauteur du crochet. La couture ainsi réalisée est un point de chaînette (points qui présentent une série de boucles piquées les unes dans les autres comme les maillons d'une chaîne).

Pour la rendre plus solide, le brevet mentionne qu'il faut mettre de la cire sur la couture. Elle fait environ deux cents points à la minute. Il faut noter que le brevet est différent de la première machine utilisée. En effet, on pense que Thimonnier avait fait ses dessins vers 1829 et qu'il a modifié entre-temps sa machine. On pense cependant que quelques machines du premier brevet ont été utilisées mais que très vite on leur a préféré une machine plus perfectionnée. La machine fabriquée à partir des améliorations du brevet est moins volumineuse, le volant a disparu.
Thimonnier a donc associé sous le même commandement 4 mouvements successifs et précis:
- la plongée du crochet transperçant le tissu
- l'enroulement du fil autour du crochet
- la remontée du crochet entraînant le fil au-dessus du tissu
- l'avancement de ce tissu et sa fixité pour la durée du point suivant.
La machine n'est pas sans défauts. Ils sont à la fois d'ordre technique et esthétique. Un seul point suffit pour que tout se défile comme un tricot c'est là un défaut mais Thimonnier restera toujours attaché au point de chaînette. Elle est peu élégante et coûteuse. Thimonnier lui même écrivant en 1845 de sa machine de 1830 dira que son métier à coudre est « compliqué dans son mécanisme volumineux, trop coûteux, se mouvant lentement, susceptible de fréquents dérangements, imparfait dans ses résultats » Barthélemy Thimonnier n'a jamais employé le mot de machine à coudre qui sera inventé plus tard par les américains. Celui-ci utilisait le mot mécanique à coudre, peut-être le mot machine faisait il peur ? »
Le 2 mars 1829, il conclut un accord avec Auguste Ferrand, répétiteur à l'Ecole des mineurs. A cette époque, l'école existe depuis une douzaine d'années seulement mais participe à faire de la cité une fourmilière de cerveaux et d'ingénieurs. Et un accord de prestige permet à l'inventeur de tirer parti de son invention. Le 13 avril de l'année suivante, ils déposent tous deux une demande de brevet d'invention qui leur sera délivrée par la Préfecture de la Loire le 17 juillet de la même année.

Le nom lui fut donné en 1886.
Beaunier, directeur de l'Ecole des mineurs (future Ecole des Mines), introduit Thimonnier et Ferrand dans le milieu parisien et participe au montage financier de la maison Germain Petit et Cie dont le siège se trouve au 155 rue de Sèvres. Sous la direction de l'inventeur, et grâce à des généreux investisseurs, la société est la première à avoir « pour but unique et spécial d'exploiter, tant en France qu'à l'étranger, l'invention faite par les sieurs Thimonnier et Ferrand d'une machine à coudre et, s'il y a lieu, de sa dérivée ». Les machines à coudre, au nombre de 80, travaillent à la confection d'habits militaires. Mais les débuts sont difficiles. Comme pour les métiers Jacquard*, c'est par peur du machinisme que le 20 janvier 1831, plusieurs centaines d'ouvriers tailleurs saccagent l'atelier. Des dizaines de couseuses, « casses-bras des ouvriers », sont détruites.
Thimonnier retourne à Amplepuis en 1832. La mort de Beaunier conduit à la dissolution de sa société. Sans se décourager, il continue à perfectionner son invention et met au point une « machine à coudre à point arrière » que l'Américain Walter Hunt reprit en 1834.

Il tente encore une percée sur la capitale en 1834. Sans succès. Sa machine sur le dos, il revient à Amplepuis, à pied, et pour vivre en cours de roue la fait fonctionner comme objet de curiosité. Il cherche aussi, sans plus de succès, à mécaniser le point de navette (deux fils, une aiguille et une navette), beaucoup plus solide. Celui-ci devait faire la fortune de deux Américains, Elias Howe et de Isaac Merritt Singer qui déposent le brevet d'invention en 1846 et sont considérés dans l'opinion américaine come les inventeurs de la machine à coudre.

Fac-similé de la demande de brevet faite par Thimonnier et Ferrand en mai 1830
En 1847 cependant, il s'associe avec M. A. Magnin, un avocat. La maison a son siège à Villefranche (Rhône) où elle fabrique des machines au prix de 50 frs. Mais son invention ne se vend pas. Il dépose l'année suivante un nouveau brevet pour un « couso-brodeur » capable de coudre, broder et faire des cordons au point de chaînette et piquer 300 points par minute. D'après le brevet, cette invention « peut s'appliquer à toute espèce de broderie au point de chaînette sur mousselines, linges, velours, satins, draps et cuirs, notamment les gants ». Cette fois, c'est la Révolution de 1848 qui met un terme à son aventure. En Angleterre, lors de l'Exposition universelle de Londres (1851) sa machine n'arrive qu'après l'examen du jury ! Elias Howe, lui, n'a pas raté le coche...
Pauvre et malade, Barthélemy Thimonnier reprend son travail de tailleur à l'âge de 63 ans. A 64 ans, il décède à Amplepuis un matin de l'été 1857. Deux ans plus tôt, le Rapport du jury de l'Exposition universelle de Paris avait noté: " La machine Thimonnier a servi évidemment de type à toutes les machines à coudre modernes."
* Les Canuts (tisseurs lyonnais) avaient menacé Joseph Jacquard (1752-1834) de le jeter dans le Rhône et avaient détruit ses premiers métiers.
Pour en savoir +:Amplepuis, Musée Barthélemy Thimonnier
Tél : 04 74 89 08 90