Friday, December 01, 2023


Dans un premier article (lien bas de page), j'ai brièvement évoqué la curieuse histoire des tunnels ferroviaires de France et des souterrains de la Loire. Si tous ne sont pas accessibles pour des raisons évidentes de sécurité, il n'en reste pas moins que de nombreux autres peuvent faire l'objet de balades familiales fort sympathiques. C'est pourquoi je vous propose maintenant de venir découvrir avec moi certains de ces ouvrages.


Mais tout d'abord, comment les trouver ? Vous disposez pour cela de deux outils internet. Le premier est notre site de l'Inventaire des Tunnels Ferroviaires de France qui est mis en ligne par l'association d'archéologie ferroviaire Chemins à  Fer. Outre des renseignements généraux sur les tunnels ferroviaires, la façon dont ils ont été construits, les accidents qui s'y sont produits, les ouvrages remarquables, comment les visiter, etc, vous trouverez sur ce site les 2700 ouvrages de France classés par départements. Et, en cliquant sur leur numéro d'inventaire, vous obtiendrez une fiche normalisée qui est justement conçue pour être imprimée et emmenée sur le terrain. Elle vous donne les coordonnées du tunnel, un extrait de carte pour y accéder et tous les renseignements utiles, y compris des photos pour vous reconnaître. De plus, vous trouverez aussi sur le site une adresse mail qui vous permet d'entrer en contact avec la petite équipe de l'inventaire. Elle est très réactive, elle travaille toute l'année, même les dimanches et jours fériés, et se fera un plaisir de répondre à  vos questions dans un délai extrêmement bref, bien souvent dans l'heure qui suit la requête. Par ailleurs, pour compléter vos recherches, vous disposez aussi, toujours sur le Net, du très beau site Géoportail de l'Institut Géographique National (IGN). C'est un véritable outil professionnel haut de gamme qui, utilisé en mode cartes avec affichage des parcelles cadastrales, vous permet de suivre le déroulement du fin cheveu de l'ancienne voie ferrée que vous recherchez.
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Maintenant que votre cible est repérée, deux mots de sécurité. Tout d'abord, une règle intangible à  respecter ABSOLUMENT. Toute voie ferrée avec ses rails, quel qu'en soit l'état apparent, doit être considérée comme étant en service et, de ce fait, d'accès interdit. Dès lors, n'allez JAMAIS dans les tunnels en service. Il y a danger de mort et mort certaine si vous y croisez un train. Et pour le reste, à  transgresser cet interdit, vous risquez une forte amende (2 à 3000 euros), ce qui rend tout de même le week-end un peu cher. Dans la mesure où les deux tiers des tunnels sont en service, cela vous laisse cependant un terrain de jeu de 900 souterrains à  explorer, répartis dans toute la France. Il y en a au moins deux ou trois à  moins de 100 km de chez vous. Pour le reste, à  condition d'être un minimum attentif et de ne pas aller remuer des pierres sous des endroits éboulés, le risque est pratiquement nul. La difficulté viendra plutôt d'un sol généralement inégal, boueux, glissant et parfois inondé sur lequel on peut se faire mal bêtement si on ne regarde pas où on met les pieds. Elle viendra aussi de la jungle qui ferme bien souvent les tranchées d'accès. La machette est parfois nécessaire. Vous l'aurez donc compris, outre un bon éclairage pour la visite du souterrain lui-même, il vous faudra une solide tenue de randonnée qui ne craint rien et une bonne paire de bottes. Un bâton sera aussi très utile pour tenir les ronces à  l'écart ou assurer le pas. Ces considérations faites, vous voilà  prêt au départ. Ah oui, et le chien ? Les chiens adorent les tunnels, donc pas de problème. Alors, pour faciliter vos premiers pas dans ce monde inconnu, je vous propose maintenant quelques promenades faciles mais de difficulté croissante. Il y en a pour tous les goûts.
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Ligne des gorges de la Loire, partie sud, du Pertuiset au tunnel des Révoles
 
Déclaré d'intérêt public en 1875, concédé à  la compagnie du PLM en 1883 et mis en service deux ans plus tard, ce petit bout de ligne de 16 km de long entre saint Just sur Loire et Unieux s'avèrera vite d'une rentabilité douteuse et sera définitivement fermé en 1941. Il comportait 7 viaducs, 10 tunnels et 1 galerie de protection d'ailleurs couplée avec celle de la ligne du Puy en Velay. Il sera par la suite noyé sur moitié de sa longueur par la construction du barrage de Grangent dans les années 1950. Dans cette action, 5 des 7 viaducs disparaîtront, les tunnels de Grangent et Essalois seront complètement noyés, et la sortie de celui de la Condamine reste plus ou moins visible selon les divers niveaux du lac, La présente promenade, extrêmement facile et accessible à  tous, à  pied ou à  vélo, se déroule en grande partie sur la petite route qui suit la rive droite du lac et emprunte l'ancienne voie ferrée depuis le Pertuiset (Unieux) en remontant plein nord vers le barrage de Grangent. Dans ce sens, suivant le cours naturel de la Loire, la ligne descendait donc. Ce qui explique que, plus vous avancerez et plus vous vous rapprocherez du niveau de l'eau jusqu'à  atteindre le tunnel des Révoles qui est partiellement noyé, mais jamais totalement. On ne peut cependant pas entrer dedans.
 
Ce faisant, entre le Pertuiset et les Révoles, vous verrez trois autres ouvrages. Les tunnels des Echandes et de la Noirie ont été murés et condamnés pour raisons de sécurité. Vous pouvez néanmoins en voir les orifices le long de la petite route. Par contre, cette dernière emprunte le petit viaduc de la Noirie, aussitôt suivi du joli tunnel de Serves dans lequel elle passe. Le retour s'effectue par le même chemin.
 
Sur la petite route le long du lac, le viaduc de la Noirie suivi du tunnel de Serves
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Ligne des gorges de la Loire, partie nord, de la Tranchardière au barrage de Grangent
 
Cette deuxième promenade, toujours sur la même ligne, se propose de vous en faire découvrir la partie nord, entre l'ancienne gare de la Tranchardière (où il faudra laisser la voiture) et le barrage lui-même. Elle est d'un accès à  peine plus difficile que la précédente car l'ancienne plateforme ferroviaire est ici transformée en chemin plus ou moins touffu selon la saison. Mais le passage n'offre aucune difficulté et peut se faire tout aussi bien à  pied qu'à  vélo. Vous pourrez passer sur un joli viaduc (l'un des deux survivants avec celui de la Noirie ; voir balade précédente) et découvrir les gorges de la Loire telles qu'elles se présentaient avant construction du barrage. Vers la fin du parcours, vous traverserez le tunnel de Malval à  la sortie duquel vous découvrirez le barrage contre le déversoir duquel vient buter la voie ferrée. Le tunnel noyé de Grangent se trouve 30 mètres à  peine derrière le barrage, au fond du lac. Le retour s'effectue par le même chemin.
Le clou de la promenade, le tunnel de Malval, juste avant le barrage de Grangent
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Ligne minière de Roche la Molière
 
Cette troisième promenade n'est pas plus difficile que la précédente et se fait elle aussi sur chemin. Elle se propose de vous faire découvrir la partie sud d'une ancienne ligne minière qui était destinée à  évacuer le charbon du bassin de Roche la Molière vers Andrézieux au nord, ou Firminy au sud. Ligne qui a fermé lorsque les mines ont disparu. Cette dernière débutait au niveau de l'actuelle piste de motocross du Grand Breuil et remontait la vallée du Rieudelet. Elle basculait ensuite sur le versant de Roche la Molière après avoir franchi le tunnel de Dourdel aujourd'hui complètement bouché et disparu, mais dont la partie centrale existe toujours sous le lotissement du même nom. Puis, après avoir emprunté la partie haute de la vallée de l'Egotay, elle obliquait plein sud au niveau des lieux dits Laumière et Croix de Marlet sous chacun desquels elle passait par deux tunnels successifs. Enfin, elle descendait vers Firminy qu'elle atteignait après avoir franchi un quatrième et dernier tunnel, celui des Trois Ponts qui est aujourd'hui muré et condamné car totalement effondré en son milieu.
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La promenade que je vous propose, consiste à  rejoindre la route D 25 (direction Chichivieux) à  partir du rond-point de Laumière, puis à  descendre celle-ci sur 800 m environ jusqu'à  son point le plus bas (pont sur l'Egotay). Vous recoupez alors l'ancien profil ferroviaire (chemin) qu'il suffit de suivre vers l'ouest pour voir très rapidement apparaître le tunnel de Laumière dans une courbe à  gauche. Celui de Croix de Marlet fait suite 500 m plus loin. Bien qu'il soit officiellement fermé, je vous conseille néanmoins de pousser jusqu'au tunnel des Trois Ponts. Son approche vous donnera une idée de ce qui attend généralement les chercheurs de vieux tunnels. Par ailleurs, un trou pratiqué dans le mur de condamnation vous permettra quand même de pénétrer à  l'intérieur et de voir le plan d'eau qui l'inonde ainsi que l'effondrement qui bouche la galerie. Le retour s'effectue par le même chemin.
La galerie inondée et bouchée du tunnel des Trois Ponts
 
Si métrique m'était conté
 
La guerre de 1870 nous aura au moins appris une chose : l'excellent usage stratégique que les Allemands ont su faire des chemins de fer alors en plein développement. C'est pourquoi, quelques années plus tard, en 1878, le ministre des travaux publics Charles de Freycinet propose un plan qui vise à  donner une structure homogène à  notre réseau ferroviaire. Ce plan prévoit notamment les dispositions suivantes:
Définition de 181 lignes d'intérêt national plus ou moins centrées vers Paris et concédées à  de grandes compagnies ferroviaires.
Que tous les chefs-lieux départementaux, préfectures et sous préfectures, soient reliés à  ce réseau national.
Ainsi qu'un maximum de chefs-lieux de cantons, laissant toutefois aux Conseils Généraux le soin de choisir l'écartement des voies.
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En tant que premier département ferroviaire de France, la Loire ne pouvait faire moins que de se doter d'un riche réseau secondaire. Toutefois, dans la mesure où le relief est accidenté et aurait rendu la construction de voies normales beaucoup trop chère, l'écartement métrique (rails espacés de 1 m) a été retenu. Ainsi de nombreuses lignes vont apparaître à  travers tout le département : Régny-Balbigny, ligne vers le Mayet de Montagne dans l'Allier avec antennes vers Roanne et Ambierle, le monorail de Panissières et son prolongement vers le Rhône, la ligne de tramway entre Viricelles et Saint Symphorien sur Coise, toujours dans le Rhône, le petit train de la montagne vers Maclas, et diverses lignes mi-tramways, mi petits trains, en étoile autour de Saint-Etienne. Cent ans plus tard, tous ces parcours offrent de superbes balades qui vous révèleront bien des surprises et des vieux vestiges intéressants : gares, ponts, viaducs, tunnels.
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Pour notre part, nous allons cependant limiter cette exploration à  la partie nord de la ligne Régny - Balbigny, entre Régny et Saint Symphorien de Lay, une ligne assez tardive qui a essentiellement vécu entre les deux guerres, et dont le but était de désenclaver cette zone rurale.
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La promenade proposée ici, sans être d'une difficulté extraordinaire, est cependant un peu plus difficile et un peu plus longue que les trois précédentes. Elle se déroule en effet pour partie sur chemin, mais aussi sur des sections abandonnées qui exigent une progression un peu plus fatigante et quelques franchissements de clôtures. A ce propos, je vous demanderai de bien refermer derrière vous les barrières trouvées fermées car une grande partie du parcours se trouve sur des terrains agricoles privés dont les propriétaires tolèrent gentiment le passage. Merci d'avance.
L'itinéraire débute à  la gare de Régny où il conviendra de laisser votre voiture ou l'un des deux véhicules si vous optez pour le dépôt préalable d'un autre véhicule à  l'arrivée, à  Saint Symphorien de Lay. A partir de là , il vous faut traverser l'espace vide qui correspond à  l'ancienne gare de marchandises disparue et emprunter la rampe de l'ancien chemin de fer qui monte sur un viaduc situé le long des voies de la grande ligne Roanne-Lyon. Vous n'avez pas à  franchir ces voies dangereuses ni à  vous en approcher.
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Du parking de la gare de Régny jusqu'au bas de la rampe sur viaduc de l'ancien métrique
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En grimpant sur le viaduc vous passerez à  côté de la sortie du tunnel en service des Plasses. Peut-être aurez-vous la chance d'y voir un train en sortir ou s'y engouffrer. Peu après, le tracé de l'ancienne voie se confond avec une petite route jusqu'au moment où il file tout droit à  travers un pré dans lequel il faut pénétrer (barrière). Vous arrivez alors au tunnel de Gauthière dans lequel l'agriculteur local a entassé des vieux matériels. Ce court souterrain n'offrirait aucune originalité particulière s'il n'était effondré en son milieu, en créant un fontis ouvert, c'est-à -dire un trou béant à  la surface du sol. C'est aujourd'hui le seul tunnel de France dans ce cas. A condition de ne pas chercher à  voir le trou par-dessous et de ne pas grimper sur les éboulis, le danger ne vient pas tant de l'ouvrage lui-même que des matériels et autres ferrailles entassées là. Il faut donc faire très attention où l'on pose les mains et les pieds. De même, il est inutile de chercher à  s'approcher du trou par le haut car ce dernier est noyé dans un épais buisson d'aubépine qui en constitue la protection naturelle. Ceci dit, le tunnel de Gauthière se contourne très facilement et constitue une petite exploration curieuse et amusante qui vous prendra bien une heure si vous voulez en faire des photos.
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Puis la promenade continue en suivant toujours l'ancien profil ferroviaire jusqu'à  Saint Symphorien de Lay. Elle se déroule dans un milieu très verdoyant et très agreste qui vous fera aussi passer à  mi-chemin sur le joli viaduc des Roches. A Saint Symphorien, vous découvrirez un autre souterrain qui passe sous la RN 7. D'abord fermé et transformé en atelier municipal après abandon de la voie ferrée, il a été rouvert récemment en passage piétonnier par la municipalité. Une belle initiative de réhabilitation dont il faut se féliciter. Mais tout comme Gauthière, ce banal tunnel offre une particularité unique en France. Sa sortie est équipée d'une pissotière. Un rôle trivial que ce petit souterrain assume vaillamment. Enfin, s'il vous reste encore un peu de courage, pour un kilomètre de plus, toujours en suivant l'ancien tracé de la voie aménagé en voie verte, vous pouvez aller voir le magnifique viaduc en S de l'Ecoron qui domine le lac et la base de loisirs de Saint Symphorien.
 

Et pour les pros, le grand trek

De Lavoûte sur Loire à Dunières en suivant l'ancienne ligne métrique de la Galoche, puis la voie ferrée normale Dunières-Bourg Argental-Annonay - Peyraud, je vous propose pour terminer un parcours haut de gamme, de 110 km de long, à cheval sur trois départements, la Haute Loire, la Loire et l'Ardèche. Il est d'ailleurs destiné à devenir très bientôt une voie verte de randonnée dont certains tronçons sont déjà aménagés entre Dunières et le col du Tracol notamment. Il peut être exécuté en VTT ou à pied en plusieurs étapes. Il offre de nombreux vestiges à voir, mais son accès est pour l'instant assez difficile sur la portion Loire, entre le Tracol et Bourg Argental. Il est donc réservé à des sportifs confirmés d'autant que les dénivelés sont importants et qu'il y a de nombreux ouvrages à contourner par des chemins assez coriaces. Par contre, il offre un très beau parcours vététiste descendant et accessible à tous entre Annonay et Peyraud. S'adressant à des spécialistes de la randonnée autonome, je laisse donc soin aux intéressés d'utiliser les outils précités et de découvrir par eux-mêmes ce joyau ferroviaire et ses multiples secrets. Vous ne le regretterez pas.

Si ces visites vous ont plu et si vous voulez pousser le bouchon plus loin, sachez que vous pouvez rejoindre la petite équipe de l'association Chemins à Fer. Vous partagerez alors ses recherches, sorties et découvertes. Le travail ne manque pas. Mais petit ou grand, sans vous inscrire, vous pouvez aussi réaliser les photos manquantes aux fiches de l'inventaire (sans personnages, svp) et nous les envoyer ( Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. - lire sur site la rubrique participer). Nous nous ferons un plaisir de les inclure, votre nom figurera dans la liste des contributeurs et vous pourrez dire que vous avez collaboré à une mission d'intérêt national. Pour le reste, je vous laisse découvrir. Mais je vous quitte car je ne supporte pas le soleil. Il faut que je retourne bien vite à mes petits souterrains adorés. Au plaisir de vous y rencontrer.