Institution unique en France, le Banc National d'Epreuve des Armes de Saint-Etienne (c'est son titre depuis juillet 2009), géré depuis 1856 par la Chambre de Commerce et d'Industrie de Saint-Etienne Montbrison, a pour mission d'éprouver les armes à feu. C'est à dire de s'assurer qu'elles ne présentent aucun danger pour l'utilisateur. C'est la condition préalable à une commercialisation. Les armes acceptées, qu'elles soient françaises ou importées depuis des pays dépourvus de banc d'épreuve ou dont l'épreuve n'est pas reconnue en France, sont poinçonnées et certifiées par un document officiel. A cette mission originelle s'en sont depuis ajoutées deux autres : le contrôle et l'homologation des munitions, obligatoire pour les fabricants depuis 1981, et la neutralisation des armes. Quant à son laboratoire d'essais de résistance des matériaux, il se met au service des entreprises désirant étudier le comportement de leurs produits face aux agressions et les certifier auprès de leurs clients.
L'épreuve des armes à feu de Saint-Etienne a une histoire complexe. Elle date au moins du XVIIème siècle mais pendant longtemps elle ne fut pas réglementée et au fil des siècles, elle eut à subir les atermoiements des pouvoirs politiques. A l'origine, les fabricants faisaient eux-mêmes l'opération et le pouvoir royal eut du mal à imposer son obligation. Au XVIIIe, l'épreuve fut tantôt suspendue puis rétablie. Et quand les contrôleurs éprouveurs du Roi accomplissaient leur mission, ils le faisaient pour toutes les armes, celles de guerre comme celles dites bourgeoises. Et les fabricants s'estimaient lésés, faisant valoir que leurs canons ne pouvaient être éprouvés selon les mêmes normes que celles fixées pour les armes de guerre. L'année 1782 marque la naissance officielle, par arrêt du Conseil d'Etat du Roi, du Banc public d'épreuve de Saint-Etienne. "Tous fusils et autres armes à feu, destinés pour le commerce, de quelque calibre et dimension qu'elles soient, seront assujeties à des épreuves proportionnées à leur calibre", stipule son article premier. A Chavanelle s'installa Augustin Merley Blachon (1738-1811), nommé à la fonction d'éprouveur des armes du commerce. L'épreuve fut ensuite supprimée pendant la Révolution, puis rétablie.
Les armes du Banc d'épreuve reprennent le blason de notre cité
D'après les chiffres donnés par Gras un siècle plus tard, la fabrication de l'arme de guerre en 1810 atteignit le maximum de sa production. Nous sommes alors sous le Ier Empire et les besoins ne manquent pas. Il fut commandé à la Manufacture de la Commune d'Armes (ou Armeville on ne sait plus) 84 000 armes dont 70 000 fusils d'infanterie, 6000 de dragons (à cheval) et 8000 paires de pistolets. La fabrication s'éleva à plus de 97 000 armes. Descreux, secrétaire de mairie sous la Restauration, indique même 107 000 armes de guerre fabriquées par près de 2000 ouvriers et 6000 armes de commerce fabriquées par 525 ouvriers supplémentaires. Gras précise que les statistiques de l'épreuve ne débute qu'en 1811. A la fin de l'année survint le décret de l'Empereur qui devait servir de règlement à l'épreuve jusqu'en 1868. On lit sur le site internet du Banc d'épreuve de Liège (la ville avait été annexée par la France en 1795) que "ce décret fixe non seulement la procédure d'épreuve mais également le mode de fonctionnement des Bancs d'Epreuves. Chaque ville de l'empire où se fabriquent des armes, doit avoir un éprouveur unique. L'éprouveur est choisi par le Préfet du Département sur présentation par le Maire de trois candidats proposés par les fabriquants d'armes. Le Préfet nomme également six syndics qui doivent assister, deux par deux, à l'exécution des épreuves." C'est exactement ce que stipulait l'arrêt de 1782 dans son article II, hormis le Préfet d'Empire qui remplace l'Intendant du Roi: "Le Corps de Ville nommera dans une assemblée régulièrement convoquée à cet effet trois sujets qu'il jugera capable de remplir la fonction d'éprouveur, et il les présentera au sieur Intendant et commissaire départi dans la généralité de Lyon, qui nommera celui des trois qu'il jugera le plus capable." Quant aux syndics, ils sont évoqués dans l'article XI. Le décret impérial de 1810, contenant règlement sur les armes à feu fabriquées en France et destinées au commerce, et celui de 1835 relatif au tarif des "indemnités payables pour l'épreuve des armes de commerce de Saint-Etienne" furent ensuite confirmés par le décret d'avril 1856, sous Napoléon III, définissant les statuts de l'établissement, désormais géré par la Chambre de commerce.
Aspect de l'ancien bâtiment, avant celui de Lamaizière (esquisse de Lamaizière)
En 1870, un autre décret libéralise la fabrication. L'année suivante, l'épreuve obligatoire revient pour être à nouveau supprimée 14 ans plus tard ! En 1895, l'épreuve n'est toujours pas obligatoire mais... officielle ! De facultative, elle ne redevint obligatoire qu'en 1960. Toutes les armes lisses ou rayées doivent être éprouvées, ce qui permet un contrôle sur l'ensemble de la fabrication. Depuis la fermeture en 1978 du Banc d'épreuve de Paris, un temps d'ailleurs dans le giron stéphanois, le Banc d'épreuve de Saint-Etienne a retrouvé son rayonnement national. C'est aussi à partir de 1978 que l'établissement se vit confier par l'Etat la mission de neutraliser les armes de première catégorie (armes de guerre) et quatrième catégorie (tir et défense). Une mission élargie en 2006 aux véhicules blindés armés.
Patrice Renaudot, l'actuel directeur. Chiffre d'affaire du Banc: 1,8 millions d'euros. Précisons, si besoin était, que l'établissement qui assure une mission de service public est sous tutelle du Ministère de l'Industrie
Entre temps, en 1910, une commission internationale, composée de représentants des gouvernements français, allemand, autrichien, belge et italien avait tenu une première session à Bruxelles, afin de définir les caractéristiques des appareils de mesure des pressions des cartouches et d'unifier les pressions des épreuves dans les divers pays. M. Bergeron, président de la Chambre syndicale des fabricants d'armes, expliquait dans un long article consacré à l'industrie des Armes (1927) que si l'on voulait établir une comparaison avec l'épreuve similaire subie par les canons dans d'autres pays proches, on constatait une différence de 100 à 200 kilos de pression minimum par rapport à celle pratiquée au Banc d'épreuve de Saint-Etienne (1000 kilos). De ces travaux est issue la Convention Internationale Permanente du 15 juillet 1914, pour la reconnaissance réciproque des poinçons d'épreuve des armes à feu. Cette convention, ratifiée par la France le 14 mai 1926, dispense les armes revêtues des poinçons d'épreuve stéphanois de subir, de nouveau, des épreuves similaires dans les pays où elles sont exportées et adhérant à la CIP (Commission Internationale Permanente des armes à feu portatives). Elle oblige aussi à faire précéder l'épreuve de l'arme finie (mécanismes inclus) de l'épreuve des canons. Pendant longtemps en effet, et malgré les demandes des professionnels, l'épreuve ne concerna que le canon, sans tenir compte des évolutions techniques.
Affût de tir et au loin, sur son support d'éprouvette, une tôle de 36 mm destiné à un blindé, essai avec projectile en acier de 20 mm (53 grammes)
M. Bergeron explique (nous sommes toujours en 1927) la façon de procéder: " Les canons, munis d'une fausse culasse, sont placés dans une espèce de blockhaus sur un vaste banc à cannelures "le banc d'épreuve" qui a donné son nom à l'établissement tout entier. En arrière de leur culasse court une traînée de poudre d'amorçage qui les enflammera presque simultanément. Après le tir, les canons sont examinés par l'éprouveur-juré, agent assermenté, responsable de l'apposition du poinçon d'épreuve. On a gravé, au préalable, sur chaque canon son calibre exact en millimètres et dixièmes de millimètre. Les fusils subissent le tir de l'épreuve un par un, sur des chevalets à ressorts très souples qui remplacent le tir à l'épaule. Les charges sont réglées journellement de manière à réaliser la pression minimum exigée par le règlement, pression qui est supérieure de 50% aux fortes pressions de chasse.
L'arme, examinée après le tir, ne doit présenter aucun défaut de résistance ou de fonctionnement; elle est ensuite revêtue des poinçons. Il est délivré, en outre, un certificat officiel sur lequel sont inscrites les caractéristiques de l'arme: numéro de fabrication, calibre, poids et longueur des canons...
Le laboratoire du Banc d'épreuve possède les appareils nécessaires pour mesurer les pressions développées, les vitesses des plombs et leur force de pénétration. Il assure les essais officiels des munitions de chasse et si les résultats sont satisfaisants délivre aux armuriers un certificat officiel de sécurité et de qualités balistiques."
Aujourd'hui, 25 personnes travaillent dans l'établissement hautement sécurisé de la Zone Industrielle Molina, rue de Méons. Les techniciens sont toujours assermentés. Concernant l'épreuve, sur le principe, elle n'a pas beaucoup évolué. Qu'il s'agisse d'une arme de tir ou d'un fusil de chasse, l'objectif est toujours d'obtenir une sécurité absolue " qui ne peut être garantie que par des épreuves faites avec des charges supérieures aux charges normales de service". Un contrôleur vérifie l'état du canon, les mécanismes de fermeture et de percussion puis l'arme est testée par le tir de 2 cartouches de surpression. Un second examen est fait après le tir. Cette épreuve concerne absolument toutes les armes, les canons de rechange, et même les engins pyrotechniques et leurs munitions (appareils de scellement, pistolets d'abattage, canons de cimenterie...).
Le laboratoire d'essais de résistance des matériaux existe depuis 1988. Indépendant, il teste la résistance de différents matériaux aux munitions (protections personnelles, casques, lunettes, gilets pare-balles mais aussi blindages de véhicules civils et militaires en acier, titane...), aux éclats (vitrages, pare-brise, capots de protection de machine-outils...) et aux armes blanches (gants, gilets, coques de protection). Pour les essais balistiques, le Banc est équipé de trois tunnels de tirs (deux tunnels de 30 mètres et un tunnel de 10 mètres). Des barrières infrarouges de mesure de vitesse ainsi qu'un radar Doppler évaluent avec précision la vitesse des projectiles avant et après impacts. Pour les essais de choc (éclats) il dispose de canons pneumatiques de 16 à 400 bars à visée laser qui permettent d'obtenir des vitesses jusqu'à 1800m/s suivant la masse du projectile. Enfin, pour les essais à l'arme blanche, un dispositif de chute de 5,30m avec prise de vitesse permet de réaliser des essais à différents niveaux d'énergie.
C'est encore en 1988 que fut construit le bâtiment actuel. C'est sa troisième localisation après la Place Chavanelle et surtout la rue Tissot où il avait été bâti en 1836, en plein coeur du quartier des Armuriers. C'était à l'époque la « Grande rue de l'Heurton ». Dans le hall d'entrée du bâtiment actuel se trouve encore les trois plaques de marbre inaugurales qui rappellent cette très ancienne histoire. La première date de 1908. Elle fut apposée dans l'ancien bâtiment au terme de sa reconstruction, qui dura de 1903 à 1908. Elle rappelle le nom de l'architecte, le célèbre Léon Lamaizière, celui du président de la Chambre de commerce de l'époque (Montgolfier), du Président de la Commisssion de l'Epreuve (Ch.Cholat), du réprésentant de l'armurerie (Etienne Mimard) et du directeur: Javelle Magand. La seconde date de 1965. Elle fait état de la rénovation du bâtiment. On y lit le nom de Margand, le président de la CCI, au même titre que Jacob. C. Fiasson en est alors le directeur. Mentionnés également C.Battut (sec.gl de la CCI) et A.Rivollier (membre délégué de la surveillance du Banc d'épreuve). La 3e, qui concerne le bâtiment actuel, n'évoque pas la rue Tissot mais son autre entrée, toute proche au 23, rue de l'Epreuve. Elle indique que M. Aurousseau était alors le directeur du Banc d'épreuve. Les architectes sont Martin et Goyet. L'inauguration fut présidée par Philippe Clément, président de l'Assemblée des Chambres françaises de Commerce et d'Industrie le 27 juin 1989.
Le bâtiment de Lamaizière, démoli
Sources: BNESE, Loire les documents de France (années 60), l'Illustration économique et financière (1928), L.-J. Gras, L'année forézienne 1910, documents personnels. A notre connaissance, un seul ouvrage est entièrement consacré au Banc d'épreuve: L'Epreuve des Armes, de Sylvain Perret, ed. EMCC (2006) Les esquisses et les armoiries en illustration de l'article sont aujourd'hui situées au Banc d'épreuve de Saint-Etienne, photographiées par nos soins.
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