En 2007, un "ruban du Patrimoine", un concours qui distingue des communes ayant oeuvré à des opérations de mise en valeur de leur patrimoine bâti, a récompensé la ville du Chambon-Feugerolles pour la réhabilitation de La Forge. C'est en juin 2006 que la municipalité a inauguré ce vestige de l'usine des Platanes qui appartenait à la Compagnie des Forges et Aciéries Jacques Claudinon et Cie. Même transformée en salle de spectacle moderne, La Forge, à l'instar du Puits du Marais qui marque l'entrée Est de la cité, reste un des symboles forts du passé industriel de la cité.
Pendant plus d'un siècle, la Compagnie des Forges et Aciéries Jacques Claudinon et Cie fut l'usine métallurgique la plus importante de la commune. Ses ateliers s'étendaient sur un kilomètre, dans l'espace compris entre la N88 et l'ancien chemin du Moulin de la Bargette. Sur une superficie de plus de 10 hectares, ils produisaient des canons, des enclumes, des outils d'agriculture, des étaux... Avant même l'installation de Jacques Claudinon, en 1851, ce secteur qui longe l'Ondaine était déjà occupé par divers martinets et fenderies. Ces dernières utilisaient la force hydraulique du cours d'eau grâce des roues à aubes, remplacées à l'ère Claudinon par des machines à vapeur, qui actionnaient des laminoirs. Elles fabriquaient des verges ou des baguettes de fer destinées à la fabrication de clous et des lames de couteau.
Deux fenderies existaient vers 1840: la Fenderie de la Bargette qui appartenait à la famille Dubouchet et qui cessa son activité en 1845, et la Fenderie neuve, située alors au niveau du parking de l'actuelle salle de spectacle. La fenderie neuve, de même qu'un moulin et deux autres martinets, appartenaient à François Pascal. En 1851, Jacques Claudinon, originaire de Saint-Paul-en-Jarez, se porte acquéreur du lot Pascal. En février 1854, la société Claudinon, pour les trois-quarts, et Eustache Prénat, négociant à Givors, pour le quart restant, achètent le site de La Bargette à Marcellin Dubouchet.
La société est née d'une association avec deux autres partenaires: Claude Charrin, aiguiseur de canons de fusils à La Richelandière (Saint-Etienne) et Claude Guy, négociant lyonnais. Deux conditions favorables ont présidé à la création de leur entreprise qui a son siège social à La Richelandière et se destine à la fabrication et à la vente des essieux, fers et pièces de forge:
- le savoir-faire reconnu des ouvriers chambonnaires
- des ateliers métallurgiques vacants sur les rives de l'Ondaine.
L'essor de l'entreprise est fulgurant. Un main d'oeuvre abondante arrive des campagnes environnantes et l'usine des Platanes entre en activité fin 1852. Ainsi nommée en raison de l'allée bordée de platanes qui menait à la maison de la Fenderie neuve, elle emploie déjà 200 ouvriers fin 1853 qui travaillent sur les fours à puddler, les fours à réchauffer, les laminoirs et une machine à vapeur de 80 chevaux. En 1886, l'entreprise compte, tous ateliers confondus, 600 ouvriers. Au début du XXe, ils sont plus de mille. A la veille de la première guerre mondiale, ils dépassent les 1800.
Entrée de l'usine Claudinon, à droite la Forge
Le 17 mars 1856, la société devient la "Compagnie des Forges des Platanes et de la Bargette au Chambon-Feugerolles". Elle sera encore rebaptisée "Compagnie des Forges et Aciéries du Chambon-Feugerolles-Loire" en 1860. En 1869, grâce à l'achat du "Pré David", la jonction est faite entre les usines des Platanes et de la Bargette. Cette même année, un embranchement particulier est mis en service en dérivation de la voie du P.L.M. Il permet, jusqu'au coeur de l'usine, de transporter les matières premières volumineuses.
Ouvriers posant devant le pilon de 60 tonnes
C'est avec l'arrivée dans la société de son fils Georges et de son gendre Edouard Michot, en 1886, après la crise de la métallurgie, que l'entreprise de Jacques Claudinon s'oriente également vers une production d'armement en fournissant à la Marine Nationale des canons de 305 mm (14 tonnes), des obus, des vilebrequins. L'entreprise se dote de plusieurs "fours Martin" (dont un de 50 tonnes) du nom de leur inventeur Pierre Emile Martin. Ceux-ci utilisent un combustible gazeux qui peut être du charbon à raison de 250 kg pour produire une tonne d'acier. Elle compte aussi au début du XXe siècle pas moins de 19 marteaux-pilons dont un de 25 tonnes et un autre de 60. Les frappes de ce dernier, un des plus gros de France, s'entendaient jusqu'à Pont-Salomon !
Fours Martin
"La Forge" pour sa part a été construite en 1867. Elle abritait l'atelier mécanique où certaines pièces subissaient un premier usinage. Montées sur des tours de grande dimension, elles étaient ébauchées par enlèvement de métal avant d'être dirigées par un train intérieur vers la tour de trempe où elles étaient plongées, après avoir été chauffées, dans une fosse remplie d'huile.
La Forge
A droite, les raboteuse et à gauche, les tours
Sur le sol, les rails servant à la circulation des wagons
La Forge accueille des concerts depuis les années 90. Sa réhabilitation fut décidée en 1999. La salle peut accueillir jusqu'à 1500 personnes (300 assises).
Jacques Claudinon et son fils Georges ont eu un rôle politique important au Chambon-Feugerolles. Le premier, républicain modéré, fut pendant dix-huit ans conseiller d'arrondissement pour le canton et maire de 1858 à 1860, puis de 1870 à 1875. Le second fut député et maire de la commune de 1897 à 1919. Il fut notamment à l'origine de la construction de l'abattoir, de l'hôpital qui porte encore son nom et du barrage de Cotatay, fêté le 28 octobre 1906 par un immense banquet dans le grand hall de son usine. Il eut aussi à faire face à des mouvements de grève violents. Ainsi, c'est sous sa municipalité, en 1910, que la mairie fut incendiée.
Georges Claudinon
Le banquet pour fêter la réalisation du barrage de Cotatay
Louis Edouard Scott de Martinville, gendre de Georges Claudinon, ingénieur maritime et sous-directeur de l'arsenal de Lorient pendant la guerre de 14-18, prend la direction de l'usine en 1929, en pleine crise économique. En 1936, l'effectif n'est plus que de 300 ouvriers et le matériel est ancien et usé. Mais la seconde guerre mondiale qui se profile à l'horizon permet de recevoir des commandes de l'armée, des aides de l'Etat pour moderniser les outils de production et de gonfler à nouveau les effectifs. Pendant l'Occupation, la pénurie de charbon et le refus de la direction de travailler pour les Allemands amènent la fermeture de plusieurs ateliers. L'effectif retombe à 200 personnes. Dans les années 50, la concurrence des aciéries étrangères de la C.E.C.A. et la fin des grands cuirassés français font péricliter l'entreprise. En outre, l'Etat considère qu'il n'est plus utile de conserver dans la Loire des aciéries productrices d'armement. L'arrivée des nouvelles technologies et des missiles rend caduque ce qui fut le leitmotiv de l'Etat durant près d'un siècle: cantonner les usines d'armement loin des frontières. Le 21 juin 1963, les dirigeants, avec l'accord du personnel et des actionnaires décident la fermeture progressive "dans l'ordre et la dignité, sans grève ni dépôt de bilan".
Les Ets Claudinon tirent leur révérence en octobre 1963.