Friday, September 29, 2023
duperraymsc.jpgJean Duperray raconté par Félix Franc, ancien maire de Lorette qui mit en ordre les documents de son ami. Cette courte biographie permettra à beaucoup d'entre nous de faire connaissance avec ce syndicaliste et écrivain local (ndFI).

Jean Duperray est né à Coutouvre (Loire) le 9 avril 1910. Fils d’un instituteur et d’une couturière, il vécut son enfance et son adolescence au village de Bussières et dans les vallées industrielles du Gier et de Saint-Etienne. Il n’oubliera jamais ses origines. Il fit ses études au Lycée Claude Fauriel puis à l’école primaire normale de Montbrison, promotion 28-31. Lecteur acharné et sous l’influence d’Albert Dolmazon, militant communiste, il découvrit la littérature révolutionnaire avec Proudhon, Barbusse, Romain Roland etc. Déjà il adhère à l’Union Générale des Etudiants. Au cours d’un voyage de sa promotion en 1931, dans l’Allemagne pré-hitlérienne, il a conscience de ce ce qui peut se passer outre-Rhin. Il effectue son service militaire à Clermont-ferrand de 1931 à 1932.

Nommé instituteur à La Talaudière, autre milieu ouvrier et surtout mineur, il s’abonne à La Révolution prolétarienne , revue fondée par Pierre Monatte, journal syndicaliste et révolutionnaire défendant la Charte d’Amiens et l’indépendance syndical. Duperray adhère à l’union départementale de la CGT et, au troisième congrès confédéral y défend les thèses anarcho-syndicalistes. Il épouse en 1937 Charlotte Girardon dont il aura un fils, Max, en 1942. Il est sanctionné pour avoir fait grève en 1938. Il participe à tous les combats de la classe ouvrière. Sa rencontre avec la philosophe Simone Weil, de 1933 à 1936 le marque profondément et il aura avec elle une correspondance de grande valeur. Il écrira par la suite  Quand Simone Weil passa chez nous.

Mobilisé en 1939, il participe à la bataille des Flandres, embarque à Dunkerque, revient à Cherbourg au bout de 48H, est dirigé vers le sud de la France où il est démobilisé. En 1942, il entre dans la Résistance avec le groupe lyonnais de L’Insurgé. Pour lui, le combat est clair, il s’agit de combattre le nazisme, non le peuple allemand. Il est en 1942 ce qu’il a toujours été, révolutionnaire, internationaliste et antifasciste. Pour lui c’est la lutte des classes qui se poursuit sous une autre forme. Il regrette et il l’écrira que " tous les journaux clandestins ou presque semblent axés sur le patriotisme le plus élémentaire sans aucune des préoccupations ouvrières. " Duperray écrit dans le journal clandestin L’insurgé. Avec Renée Cellier, Jacqueline Talon, il participe à la diffusion du journal et de tracts. Il prend contact avec Jean Giry de l’Armée Secrète. Il fréquente, rue de la Bourse, le café Talon qui, courageusement sert de boîte aux lettres et reçoit les journaux à distribuer. Duperray refuse toute équivoque et toute participation aux organismes ou stages du régime de Vichy. Il fait partie d’un petit groupe d’enseignants qui, avec lui et Jean Giry, reconstituera dès la Libération le syndicat national enseignant.

La section de la Loire du syndicat national des instituteurs (S.N.I.) et de la fédération de l’éducation nationale (F.E.N.) retrouvent leur place à la CGT. A la scission de janvier 1948, Jean Duperray, fidèle aux décisions du bureau national, applique la motion Vanissel-Valière et plaide pour l’autonomie de la F.E.N. Pendant des années, il sera secrétaire-adjoint du S.N.I. et chargé des affaires sociales au S.N.I. et à la F.E.N. Duperray accomplit un énorme travail. Il écrit dans la Révolution prolétarienne, correspond avec Robert Lauzon, Albert Camus, Louis Lecoin. Il écrit 500 lettres à Marcel Alain de 1953 à 1969. Il correspond avec Pierre Boujut, éditeur de La Tour de feu. Il combat Franco et participe, avec Renée Cellier et Félix Franc, à un grand rassemblement avec les anarchistes et Espagnols à Lyon, au cours duquel intervient Fédérico Montierri, ex-ministre du Front populaire espagnol. Il se bat pour la défense de l’école laïque, contre la peine de mort, la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie.

Et dans le même temps il écrit cinq romans dont Dora, Providence et Harengs frits au sang (grand prix de l’humour noir). Il écrit une quinzaine de nouvelles dont Le nu aux fleurs, Rires clairs d’enfants, Madour de Hurlerror, La chambre aux deux portraits, etc. Il écrit quantité de poèmes, lus ou chantés au Cercle des lettres. Orateur, il prend la parole aux meetings, fait de nombreuses conférences, construit des films, apporte des témoignages. Ami du peintre stéphanois Bobichon, il avait une remarquable culture artistique. Il a lu 4280 livres par lui-même comptés. Il était à l’avant-garde du mouvement littéraire et artistique. Son exceptionnelle intelligence, la rapidité de ses pensées, rendaient parfois son style ésotérique, difficile pour le grand public.

En 1965, il prit sa retraite comme directeur d’école à Saint-Etienne. Il avait eu pour élève, et il l’admirait, le chanteur Bernard Lavilliers. La fin de sa vie fut terriblement attristée. Déjà cardiaque, il devint peu à peu aveugle et s’éteignit en 1993. Il repose à Balbigny dans la Loire. Ses archives, nombreuses et riches, sont aux archives municipales de Saint-Etienne. Il a profondément marqué son époque. Il fut la conscience syndicale et prolétarienne de certains d’entre nous.

Quelques repères :


_ Pierre Monatte (1881-1960) : originaire de Haute-Loire, Monatte crée en 1909 la revue syndicaliste,  La Vie ouvrière. Puis il réunit les tenants de l'internationalisme pendant la Première guerre mondiale, les syndicalistes communistes en 1919. Dès 1924, il refuse le stalinisme comme le réformisme et fonde avec ses camarades Alfred Rosmer, Robert Louzon, Maurice Chambelland, Ferdinand Charbi, La Révolution Prolétarienne.

_ Charte d’Amiens : La " Charte d'Amiens " est adoptée en 1906 par la Confédération Générale du Travail (CGT) lors de son IXe congrès confédéral. Cette déclaration solennelle réaffirme l'indépendance du mouvement syndical vis-à-vis des partis politiques et marque la prééminence du syndicalisme révolutionnaire. Elle reste un texte de référence, cité dans les débats syndicaux.

_ Simone Weil (1909-1943) : philosophe dont l’œuvre révêle le mysticisme chrétien et son ardente recherche de justice sociale. Son œuvre la plus célèbre est La pesanteur et la Grâce (1947).

_ Le roman Des harengs frits au sang est inspiré d’une affaire criminelle qui eut lieu à Bussières, dans les Montagnes du matin.

_ A propos de Bobichon, l’église de la Nativité à Saint-Etienne possède plusieurs de ses vitraux et peintures.

_ Louis Lecoin (1888-1971) : militant pacifiste et libertaire, fondateur et rédacteur de deux périodiques, Défense de l'homme, et Liberté. Il est à l'origine de la fondation de l'Union pacifiste de France. Son engagement le mena à passer 14 années en prison.

_ Robert Louzon (1882-1976) : syndicaliste révolutionnaire, combattant dans les rangs républicains en Espagne, interné en Algérie en 1941, cofondateur de La Révolution prolétarienne etc.

_ Pierre Boujut (1914-1992) : poète, animateur de revue (La Tour de Feu), marchand de fer, protestant hérétique, pacifiste et libertaire mais encarté successivement à la SFIO (il renvoie sa carte au moment de la guerre d’Algérie) puis au PS, dès sa fondation par François Mitterrand.