Sunday, March 26, 2023
NdFI: Elodie Ravel a signé avec Noellie Ortéga un superbe ouvrage (épuisé) consacré à  ce barrage emblématique.

Ce nom stimule notre imagination et suscite l'étonnement et la curiosité. C'est celui d'un ouvrage hydraulique mais pas seulement ; c'est également un site naturel et touristique qui attire de nombreux visiteurs chaque jour. Héritage du Second Empire, cet édifice fait partie du patrimoine ligérien et est un lieu de promenade paisible à  quelques minutes de Saint-Etienne, en contrebas du village de Rochetaillée.

Contexte

La construction du barrage s'inscrit dans un contexte national de lutte contre un phénomène très inquiétant pour l'Empire de Napoléon III, les crues. Les usines du territoire, et particulièrement les nombreuses usines du sud-Loire, fonctionnent toutes à  l'énergie hydraulique. Postés en bordure de rivière, les ateliers des vallées du Furan, du Cotatay, du Gier, tournent à  plein régime et contribue à  l'économie du pays tout entier. Un seul bémol, les crues (souvent dévastatrices) qui en quelques heures ruinent  la production industrielle et causent de nombreuses pertes humaines.

Naissance du projet

La question des crues devient une priorité nationale en 1856 et est actée par un décret signée de l'impératrice Eugénie en 1859. Entre-temps une loi relative à  l'exécution des travaux destinés à  mettre les villes à  l'abri des inondations, a été votée et l'ingénieur en chef, Michel Ignace Auguste GRAEFF publie un avant-projet des réservoirs à  établir pour atténuer l'effet des crues dans la Loire.

Si l'on met de côté la question des crues, Saint-Etienne souffre également en ce milieu de XIXème siècle, d'un problème d'approvisionnement en eau  et de qualité de l'eau très souvent polluée.

Pour la question de l'approvisionnement, c'est l'ingénieur des Pont et Chaussées, Pierre de Conte Grandchamps qui va travailler sans relâche, s'appuyant sur les travaux de Darcy en côte d'Or et sur l'approvisionnement de la ville de Dijon.

C'est donc un énorme chantier qui se prépare à  fin des années 1850 : l'Etat souhaite un barrage écrêteur mais la ville a aussi ses besoins. Elle attend depuis plus d'un demi-siècle un réseau de distribution susceptible de satisfaire les besoins d'eau de la population et le nettoyage des rues. Les acteurs sont autant de personnages important de l'Etat tel le Duc de Persigny (Président du Conseil Général de la Loire, il est également le bras droit de Napoléon III), et des personnages locaux et notamment la municipalité. Un partage des dépenses est donc établit : les deux tiers de la dépense sont pour l'Etat qui sera le propriétaire du barrage, et le tiers restant est pour la municipalité.

 

 Construction

Les ingénieurs commencent par sélectionner les terrains à  acquérir ou à  occuper temporairement durant les travaux. Les expropriations malgré les indemnisations sont souvent synonymes de désaccord entre les pouvoirs publics et les propriétaires. L'acquisition de ces parcelles est vitale pour la mise en oeuvre du chantier ; le chemin d'accès d'origine étant insuffisant pour mettre en route des travaux d'une telle ampleur. Il faut faire transiter le sable, la chaux, les moellons, les matériaux venus de l'extérieur.  Une fois l'occupation des sites réglés, il s'agit de trouver les bons entrepreneurs. Entre 1861 et 1866, années de construction du barrage, plusieurs entreprises de construction se succèdent.

1860 : Une voie ferrée est posée sur le flanc gauche du réservoir à  la mi-hauteur de la vallée afin de véhiculer les matériaux et notamment le granit extrait dans la partie droite.

Parallèlement à  la construction du barrage, un deuxième  chantier  est en place pour l'adduction en eau avec la construction de la ventellerie et de l'aqueduc des sources.

De 1859 à  1861 : dérivation du cours du Furan, sondage et fouille de la roche, recherche de fissure, et préparation de l'assise. C'est à  ce moment-là  qu'est mis en place la construction de la ventellerie. La Ventellerie, également appelée les « 10 vannes », enjambe la rivière à  2.5 km en amont du barrage. Son édification est stratégique : c'est d'ici que les opérations seront dirigées. Pendant les travaux, une partie de la vallée doit être asséchées : 5 vannes seront fermées et 5 vannes détournent le canal de dérivation.

L'aqueduc des sources et des fontaines longe le Furan sur sa rive gauche jusqu'au site du futur Pas-du-Riot puis traverse en ligne droite, contourne le site du Gouffre d'Enfer pour aller en direction de la vallée de l'Issertine. Il retourne ensuite dans la vallée du Furan après avoir traversé la Roche Corbière et termine enfin sa course, plus de 17km après l'avoir commencée, dans le bassin du Rey, au Portail-Rouge, à  625 mètres d'altitudes.

Construction d'un barrage de type poids-arqué : Les calculs techniques permettant de mesurer la résistance à  la poussée de l'eau, amènent les ingénieurs à  trouver de nouvelles formes d'ouvrages. Le barrage du Gouffre d'Enfer est un barrage du type poids-arqué. Ce type se présente généralement sous la forme d'un gros mur implanté en travers de la vallée suivant un axe rectiligne ou incurvé à  très grand rayon. L'épaisseur est constante d'une rive à  l'autre. Dans le Sud-Loire, les barrages de l'Ondenon, de l'Echapre, de Cotatay et la Rive sont des barrages-poids.

Promenade aménagée

 La construction du barrage et l'établissement de la promenade sont représentatifs de l'esprit saint-simonien de la deuxième moitié du XIXème siècle.  Sur le site du Gouffre d'Enfer, ce qui frappe le visiteur c'est l'environnement, l'aspect à  la fois sauvage et ordonné qui s'en dégage. La nature est tellement présente que l'on en viendrait presque à  oublier les 55 mètres de haut qui barre la vallée de sa majestueuse présence. Le barrage est parfaitement intégré dans un environnement qui se veut naturel et sauvage, au coeur d'un parcours ponctué de petits ouvrages symbolisant la présence de l'homme et de la science. Le message de ces hommes de la deuxième moitié du XIXème siècle est clair : La science est parvenue à  maîtriser la nature tout en sachant la respecter et en lui rendant hommage.

Inauguration

A peine le barrage terminé, les réactions ne se font pas attendre. Réactions tout d'abord de la Ville qui, à  travers l'inauguration, remercie les ingénieurs d'avoir mis au point un ouvrage lui permettant d'être protégée des inondations et d'approvisionner la ville et ses usines en eau. Réactions ensuite des scientifiques devant cette prouesses technique, mise en scène dans un environnement exceptionnel. Réaction enfin de l'étranger qui s'intéresse de plus en plus à  cet ouvrage devenu référence.

Après 7 longues années, les ouvriers quittent la vallée. Le 28 octobre 1866 à  9h34, le général Montauban, comte de Palikao, arrive en gare de Châteaucreux et est accueilli par les cris de « Vive l'Empereur ». Après un passage par la préfecture, un vaste cortège se forme pour entreprendre l'ascension vers Rochetaillée. Le Duc de Persigny, ancien bras droit de l'empereur et actuel Président du Conseil Général de la Loire, rejoint la soixantaine de voiture tirées pas des chevaux. Arrivé au village de Rochetaillée, on descend de voiture pour entreprendre la descente à  pied jusqu'au site du Gouffre d'Enfer.

Aux personnalités s'ajoute une foule nombreuse, environ 40 000 curieux se massant là  où ils le peuvent.

Commencent alors les discours dont tous font allusion au fait que la ville est désormais à  l'abri des fléaux. Les ingénieurs sont remerciés et salués. Reste de cette journée d'inauguration, une inscription gravée sur une plaque de marbre.

 

Le témoignage de la domination de l'homme sur la nature

Le Gouffre d'Enfer est un barrage référence de son époque. Lors de l'exposition Universelle de 1867 organisée à  Paris, des maquettes du barrage et de l'adduction en eau vont être créées et envoyées à  Paris pour être exposées.

Dès son inauguration et sa mise en service, il sera appelé à  l'étranger « le Barrage Français ». De nombreuses monographies sont publiées dans les célèbres Annales des Ponts et Chaussées. Des conférences sont organisées, il provoque plusieurs articles, suscite des traités d'hydraulique, fait parler de lui dans les congrès internationaux. Son nom résonne au milieu des scientifiques. Les échos viennent de loin puisque le maire de Constantine en Algérie, et Graham Smith, du Miami Conservancy  District écrivent au maire de Saint-Etienne pour avoir des informations sur l'ouvrage.

Conclusion

Le barrage du Gouffre d'Enfer s'inscrit dans un site d'exception, à  haute valeur paysagère et patrimoniale, où la nature est préservée. Ce site est d'abord celui des Stéphanois au sens large. Cependant, l'endroit est aussi découvert par de nombreux visiteurs étrangers au département : rhône-alpins de passage, étrangers... La majorité des personnes qui fréquentent le site vient pour se promener. Outre le parcours classique (Gouffre d'Enfer, Pas du Riot), les randonneurs peuvent découvrir ce fond de vallée de manières différentes grâce à  une multitude de sentiers pédestres qui partent de Tarentaize, Planfoy, etc.  Les sportifs trouvent également leur bonheur sur ce site : VTT, Jogging, Via Ferrata.

Ce géant de Pierre, du haut de ses 148 ans aura vu passer beaucoup de monde : couple, famille, personnes seules ou en groupe, retraités, actifs... Gageons qu'il en verra passer encore beaucoup d'autres !

Illustrations: CPA et photos FI

> A propos du livre (2007)