L'Oeuvre caritative qu'elle dirigeait alors, et dont l'histoire est intimement liée à Saint-Etienne, a été fondée en 1893 par Louis Comte. Pour retracer dans les grandes lignes, cette aventure qui, quoique moins spectaculaire, illustre aussi l'esprit de la Montagne, nous avons sollicité l'aide de M. Gérard Bollon. Le Chambonnaire a répondu très favorablement à notre demande et nous le remercions vivement. Tout le monde n'est pas aussi prompt à partager ses connaissances et beaucoup, qui promettent monts et merveilles, ne donnent pas suite.

Le dimanche 4 octobre 1931, une foule nombreuse est venue honorer la mémoire de Louis Comte, couché dans la tombe cinq ans auparavant et qui fut longtemps pasteur à Saint-Etienne. Devant le monument élevé à sa gloire, les Stéphanois, petits et grands, ont écouté les discours de M. Fougerolle, président des "Enfants à la Montagne"; M. Dequidt, président de la Fédération des oeuvres de vacances en plein air; M. Graux, Préfet de la Loire; M. Pourésy, de la Ligue de la Moralité publique; M. Pibarot, des Amicales laiques et le Pasteur Gounelle. "Tous furent éloquents, si l'on en croit La Région illustrée, mais plus éloquent encore fut le silence de la foule, l'admiration muette de tout le peuple stéphanois pour celui qu'il a définitivement classé comme un de ses grands bienfaiteurs."

Pierre Louis Frédéric Comte est né en 1857 dans le Gard, au sein d'une famille paysanne. Ayant embrassé la carrière pastorale, il se fait remarquer à Nîmes pour ses talents de prédicateur. Il y prêche la justice et la dignité de l'homme, un peu trop peut-être pour certains qui le trouve trop "socialisant" dans ses sermons. C'est en 1884 qu'il arrive à Saint-Etienne où il fonde aussitôt une section locale de la "Ligue pour le relèvement de la moralité publique". En 1889, il crèe l'organe imprimé de la Ligue, "Le Relèvement social" dans lequel il s'attaque aux cabarets, à l'alcool et aux maisons de tolérance, estimant que la place de l'Eglise est "partout lorsqu'il s'agit de lutter contre l'immoralité, les rues corruptrices de Saint-Etienne, la mortalité infantile, les foyers de tuberculose, le manque d'hygiène et le travail des enfants." Il évoque aussi la condition de la femme et se fait surtout le hérault de la famille nombreuse... Il fonde encore des bibliothèques populaires, le sou des écoles... Plus d'une cinquantaine d'oeuvres qui deviendront des associations à but non lucratif en 1901 !

A Rive-de-Gier, où il fonde une boulangerie coopérative, à Saint-Etienne, dans tout le pays même, il donne de nombreuses conférences sur des sujets variés mais doit faire face à l'hostilité de la presse conservatrice ainsi qu'à celle des mouvements socialistes, peu encleints à voir un homme d'église empiéter sur leur terrain. "Il faut introduire la religion dans les questions sociales répond-il, l'Eglise est de ce monde et dans ce monde... Prêcher l'Evangile cela signifie appliquer les préceptes du Sermon sur la Montagne : partage ton pain, aide ton prochain, protège la veuve et l'orphelin ainsi que les déshérités...". Alors que le pape Léon XIII promulgue en 1891 l'encyclique "Rerum Novarum" qui condamne le libéralisme économique mais surtout préconise les cercles ouvriers, tout en repoussant la lutte des classes, le monde protestant, sur la question sociale, était déjà radicalisé depuis plusieurs années. Le mouvement du Christianisme social, initié par Tony Fallot vers 1880, demande à l'Eglise réformée de combattre l'exploitation de l'homme, les iniquités sociales et de prendre en compte aussi bien les corps que les âmes.
Comte est choisi comme arbitre dans un conflit qui oppose des mineurs grévistes de La Talaudière à la direction des mines et obtient la reconnaissance du syndicat. En 1899, il se distingue encore en organisant une réunion publique au cours de laquelle il prend position en faveur du capitaine Dreyfus. Dénonçé par les services de la Préfecture qui, depuis les Articles Organiques de 1802, ont la charge de surveiller les ecclésiastiques, son traitement (salaire) est aussitôt suspendu par le gouvernement Dupuy. Plus de 600 pasteurs français se déclarent solidaires et organisent une souscription en sa faveur. La Direction des Cultes recule et rapporte la mesure. Comte, cependant, fait grincer des dents. On lui reproche ses sympathies pour le parti radical socialiste, ses absences répétées et son appartenance à la loge "Industrie" du Grand Orient de France.
Visite médicale à l'Hôtel de ville avant le départ
Il est connu aussi pour avoir fondé La Tribune Républicaine. C'est grâce à ce journal notamment, un journal de gauche qui mettait en avant les principes de 1789 (l'égalité des citoyens, la justice pour tous... ) qu'il donna un large écho à son action la plus célèbre en faveur des enfants. Lorsqu'il s'éteignit, ce journal, fondé en allant "chez les riches et même chez les humbles leur demander l'argent qu'il fallait ", lui rendit un vibrant hommage. Il en avait gardé la direction pendant deux ans, en fut le premier rédacteur et resta membre jusqu'à la fin du conseil d'administration.
Marchant sur les traces d'illustres prédécesseurs dans ce domaine, pour la plupart ses correligionnaires, à savoir le pasteur Bion en Suisse, le pasteur Lorriaux en région parisienne ou encore Mme de Pressenssé dans le Maine, il crèe "l'Oeuvre des Enfants à la Montagne" dans le but d'offrir aux "matrus" de la classe ouvrière le bénéfice du bon air et d'une bonne santé , mais encore les joies d'un séjour de deux mois dans les fermes du Plateau vivarais-vellave.

Dans un texte communiqué par M. Bollon, le pasteur relate l'origine du projet: " Au mois d'août de 1891, nous étions venus à Montfaucon à cause de la santé délicate d'un de nos enfants: il avait 18 mois, ne marchait pas encore, et son état d'anémie nous causait les plus vives inquiétudes. Le médecin nous avait dit: essayez l'air de la montagne... Notre enfant, après les quinze premiers jours, renaissait à vue d'oeil... une sorte de résurrection physique... Jugez de notre joie... Et l'on réfléchit. Or, le propre de la réflexion est la généralisation. On pense aux pauvres petits qui sont restés là -bas dans la fournaise des grandes villes..."
Le départ
Le pasteur crée d'abord une vingtaine de secteurs sur les hauts plateaux de la Haute-Loire et de l'Ardèche contigà¼e. A Dunières aux Boutières, en passant par Tence, le Chambon, des familles paysannes, prennent en charge l'été les petits citadins du bassin stéphanois et promulguent leurs conseils avisés en matière de nutrition et d'hygiène. Pour développer "son affaire", Comte sollicite aussi l'aide de nombreux bénévoles, médecins et enseignants, prêtres et fonctionnaires. En 1893, une cinquantaine d'enfants prennent la route du Plateau pour un séjour de 30 jours. Il sont 1157 en 1900, pour un séjour de 45 jours ! La loi de 1901 lui permet de développer encore son projet. "Bien sûr cette dernière est indissociable d'un arrière plan anticlérical et a aussi pour but de laïciser l'esprit solidaire des groupements religieux, qu'ils soient protestants ou catholiques " écrit M. Bollon. Même si parfois l'argent manque, l'Oeuvre, au fil des ans, s'étend au bassin de l'Ondaine, à Lyon, Avignon, Marseille, et traverse la Méditerranée pour gagner l'Afrique du nord ! De 1893 à 1964, selon M. Soulier, une des chevilles ouvrières du mouvement, ce sont 116 000 enfants qui ont bénéficié de l'oeuvre de Louis Comte. D'autres oeuvres complémentaires viennent se greffer autour de la principale: "Les Marguerites" (du nom de l'épouse du pasteur) destinée à l'accueil des jeunes filles, "Les Sapins", près de Tence, pour les jeunes hommes, "La Maison des mères" pour mamans célibataires.
L'arrivée à la Montagne
Louis Comte exerce aussi jusqu'à sa mort les fonctions de Secrétaire général de l'Office départemental des pupilles de la Nation. Il fut encore le fondateur de la section stéphanoise de la Ligue des Droits de l'Homme.
La population stéphanoise lui rendit un hommage appuyé. On rapporte que, outre d'innombrables personnalités, près de 2000 femmes "en cheveux" quittèrent le marché de la place Chavanelle pour venir saluer le cercueil place de la République. Elie Gounelle, dans une allocution, rapporta ces dernières paroles : " Surtout vous direz à mon église de Saint-Etienne que je l'ai passionnément aimée... Pas seulement l'Eglise mais tous ceux qui ont collaboré avec moi. Principalement le corps enseignant où j'ai tant d'amis... La Ligue... Les enfants... La cité de Saint-Etienne..."