Wednesday, December 06, 2023

A Cervières, cette maison date du XVIe siècle. Achetée par la communauté de communes des montagnes du Haut-Forez à  la fin des années 1990, elle est devenue en 2002 la Maison des Grenadières. Cet espace muséographique est dédié à  un savoir-faire rare ancré depuis plus d'un siècle dans la région de Noirétable: la broderie au fil d'or.

 

L'histoire débute à  la fin du XIXe siècle. Une fille du pays est montée à  Paris. La jeune servante y apprend auprès de sa patronne à  broder le fil d'or. De retour dans son Forez avec son mari, M. Westler, elle forme à  son tour des brodeuses et organise le commerce avec la capitale. A sa mort, sa soeur, Mme Gantès, et son mari, poursuivent le négoce. Ils emploient alors dans la région une trentaine de brodeuses. Ces femmes appartiennent le plus souvent au monde paysan. Dans le Haut-Forez, pour faire vivre la famille, il était presque obligé que les femmes des petites exploitations exercent à  domicile un travail d'appoint. Ainsi certaines fabriquaient des chapelets, d'autres de la dentelle et leur savoir-faire se transmettait de mère en fille. On appelle ces brodeuses des "grenadières". Dans leur vocabulaire, le terme, générique, désigne tout motif brodé au fil d'or ou d'argent sur des uniformes et habits, képis, fanions, drapeaux, écussons, pattes d'épaules, tabliers de tambours, etc.

 

 

Mais il rappelle, plus précisément, l'insigne militaire brodé sur les uniformes et qui est attaché en particulier à  certains corps tels que la Gendarmerie ou la Légion étrangère. Il symbolise les anciennes grenades à  main, c'est à  dire une bombe sphérique avec sa mèche enflammée. En 1911, Mme Gantès décide d'abandonner le métier, non sans avoir donné ses adresses de clients à  de nouveaux patrons de la vallée. Ces facteurs de fabrique, intermédiaires entre les brodeuses et les clients, répartissent la commande et vont considérablement développer l'activité. Les broderies destinées aux uniformes militaires, entre 1911 et 1945, étaient fabriquées par séries de 300 à  400 pièces. Cette période, étendue à  l'après 45, marque l'âge d'or de la production. Entre 1930 et 1960, on estime à  500 environ le nombre de grenadières qui furent en activité. A cette époque, l'établissement Arthaud, créé dans les années 40 à  Saint-Jean-la-Vêtre, a même l'idée d'anticiper les commandes en constituant des stocks de milliers de broderies, réalisées pendant la saison creuse. En plus des armées, les grenadières réalisent aussi des centaines de milliers de broderies pour le corps préfectoral, les pompiers, la SNCF, la Poste, l'Eglise... Elles utilisent divers matériaux, paillettes, jasserons, filets et surtout cannetille, et disposent le plus souvent de deux métiers. Elles travaillent à  partir d'un motif dessiné sur papier calque. Munie de l'aiguille et d'une longueur de fil de coton blanc, la main gauche passe l'aiguille dans le bout de cannetille et pique à  travers le tissu. L'autre main sous l'ouvrage saisit l'aiguille et tire le fil de coton. La cannetille est plaquée au tissu.

 

 

On peut admirer à  la Maison des Grenadières de nombreux exemples de leur dextérité: parements des vestes d'écoles militaires, tricornes de préfètes et casquettes de commissaires, ou encore la flamme de trompette de la garde républicaine portant brodées les armes de Paris avec banderole et devise, feuilles de chêne et autre, décorations et initiales, soit 29 heures de travail. Sans oublier l'écusson du sacre de Bokassa, l'écusson et pattes d'épaule du roi du Maroc, le petit costume reconstitué du sacre de Napoléon Ier, réalisé en 2004 par Michèle Villeneuve (140 heures de travail)... On y apprend que la réalisation d'une grenade de casquette de contrôleur de la SNCF nécessitait 42 minutes de travail, avec 0,80 grammes de cannetille mat et 0,15 de cannetille brillante. Elle rapportait 4,85 euros à  la grenadière.

 

 

Au second étage du musée, nous rencontrons Angélique, en pleine démonstration. Cette jeune femme de 23 ans n'est pas grenadière mais brodeuse. " Je préfère être ici que de travailler la chaîne dans un atelier parisien", répond-elle quand on lui demande comment elle a "accosté" au fin fond du Forez. C'est qu'elle a fait le long voyage de Rochefort (Charente-Maritime) où elle a été formée. Elle travaille à  Cervières depuis 4 mois. " Quand j'ai eu mon brevet des métiers d'art, le musée avait lancé un appel aux étudiantes de ma promo. J'ai pris le relais ici d'une amie qui, elle, était originaire du Cantal."

 

En 1974, les grenadières n'étaient plus qu'une quarantaine. Les grandes séries se font rares, la machine entre en scène et les commandes diminuent quand les écussons civils font moins recette. La concurrence vient aussi des insignes métalliques et plastiques. En 1992, il ne reste plus que deux entreprises de broderie au fil d'or travaillant pour des maisons parisienne et marseillaise (BBA et Cholet) et, dix ans plus tard, quand ouvre le musée, treize grenadières. Aujourd'hui, elles sont cinq. L'association des grenadières du Haut-Forez a vu le jour récemment pour appuyer l'action du musée et promouvoir et sauvegarder leur métier. Elle encadre divers stages de formation. Récemment, une artiste québécoise est venue apprendre. L'association, qui a recensé jusqu'à  280 anciennes grenadières, espère surtout en former de nouvelles, des personnes en reconversion professionnelle par exemple, pour augmenter son mince contingent et développer une activité économique.

 

Ouverte du 24 mars au 4 novembre.