Friday, December 01, 2023
Albert Boissier, dans ses Carnets d'un folkloriste, a raconté une histoire marseillaise. Celle de cet homme d'église  qui dans les années 1910 venait pour la première fois dans le pays stéphanois.  Un clocher massif pointait au dessus des murs sales et le curé demanda aux passagers du train ou du tram à  quel saint lumineux était dédiée l'église. En fait de clocher (bichette !) c'était le chevalement d'un puits de mine. L'histoire, miladzeux ! ne dit pas si les gens du cru lui ont asséné un nom approprié: saint Louis, sainte Barbe, sainte Marie, saint Simon, saint Joseph peut-être...

Pour la seule ville de Saint-Etienne, François Mouleyre en 1996 a répertorié 189 puits de mines qui ont fonctionné, toutes époques confondues. Vue d'une Montgolfière, la cité aurait pu prendre des airs de Rome, si ce n'était la fumée de l'Hadès.  Mieux encore, Jean Merley a estimé à  2000 points d'extraction, puits et fendues, le nombre d'exploitation à  l'échelle du bassin de la Loire depuis la fin du XVIIIe siècle ! Avec ici le chevalement de Chatelus I et ses airs de pagode. Peut-être l'ambassade de Siam ?

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Chatelus I à  Couriot

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Le puits saint Louis représenté sur une fresque à  Grand Croix

Les images témoignent encore de ces architectures chaque fois différentes. Bien longtemps après les derniers foudroyages, elles continuent à  faire du chevalement, qu'il soit en bois, en béton ou en métal, la partie la plus visible de l'iceberg.

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Puits du jardin des plantes, Saint-Etienne

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Souvenir du puits Sagnat à  Roche-la-Molière

Nommés "belles fleurs" en Belgique, "chevalets" ou encore "beffrois" (ce qui est particulièrement approprié à  celui du puits Dolomieu, à  Roche-la-Molière, qui annonçait de son sifflet l'heure de midi à  toute la population) le chevalement est une structure qui coiffe le sommet d'un puits de mine. Il sert à  descendre et remonter les mineurs, ainsi que le minerai, via une cage d'ascenseur.

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Molettes du puits du Marais au Chambon-Feugerolles

A son sommet, il y a des molettes, des sortes de grandes roues, par dessus lesquelles passent des câbles d'extraction qui, mus par la machinerie située en contrebas ou dans le chevalement même, soutiennent les cages et lui permettent de descendre (et remonter) à  la verticale dans la gueule du puits.

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Le puits Dolomieu (?) sur une plaque mortuaire à  Roche-la-Molière

L'ancêtre du chevalement, haut de quatre ou cinq mètres, portait le nom de "chassis à  molette". Les premiers vrais "beffrois", au XIXe siècle, furent également construits en bois, au moment où la machine à  vapeur, qui remplaçait le cheval comme force d'extraction, augmentait le rendement. A leur propos, le journaliste Jean Tibi dans son bel ouvrage La mine et les mineurs de la Loire (1998) a reproduit les souvenirs d'Etienne Michel, publiés en 1934: " Les uns, massifs, conservaient l'aspect de châteaux forts antiques, de donjons mérovingiens, sinon médiévaux, surmontés du classique pavillon de guet, voire l'aspect de vieux moulins à  vent en bois, tels qu'on en voit encore dans la région du Nord, auxquels on aurait enlevé les ailes... Ils avaient ces puits, une tournure à  la fois mystérieuse et vieillotte. Ils entouraient la ville comme de bizarres et fragiles forteresses auxquelles les cheminées de briques qui y étaient accolées ajoutaient une idée de mécanisme presque satanique..."

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Machine à  vapeur au puits Marseille vers 1910

 
Avec les années, l'évolution des techniques et l'apport de nouveaux matériaux, la silhouette et l'architecture des chevalements va évoluer. C'est à  partir des années 1880 que les constructions en fer remplacent progressivement les constructions en bois et en maçonnerie. Le premier chevalement en fer de France fut celui du puits Jabin, rue de la Montat, à  Saint-Etienne en 1863. Les premiers chevalements en béton apparaissent au lendemain de la Grande guerre. Cette première génération dura jusque vers la Seconde guerre mondiale. Une seconde génération de chevalements en béton apparaît dans les années 1950.  Leur hauteur dépassa les 60 mètres pour les plus récents.

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Puits de mine à  Saint-Etienne
On distingue bien la molette en haut du chevalement, les cables (en chanvre), le bâtiment d'extraction
Le chevalement est ici parmi les plus simples, deux montants, deux poussoirs
Fusain de Chapelon

Deux parties principales forment le chevalement "type", qu'il soit en bois ou en métal :
- le "faux-carré" ou "avant-carré" qui est en quelque sorte le "corps" du chevalement, formé de deux montants verticaux, pour les plus simples, ou quatre, au sommet desquels reposent les molettes.
- les "poussards", deux montants obliques qui maintiennent le "faux-carré" au sol et compensent la force  exercée par la machine d'extraction. Les "poussards" agissent avec le "faux-carré" de la même manière que des contreforts avec une architecture ogivale.

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Couriot, le chevalement vu depuis le bâtiment de la machine d'extraction
De type "westphalien" inspiré par les modèles allemands.
Hauteur: 35 mètres
Ses molettes cessèrent de tourner le 5 avril 1973.

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Puits du Treuil à  Saint-Etienne,
en forme de pyramide quadrangulaire tronquée, "avec avant-carré" et construit en tubes de tôles.
Dans le prolongement des poussards se trouve le bâtiment de la machine d'extraction. C'est elle qui donne vie aux cages en mettant en mouvement le cable qui, après avoir rejoint le haut du chevalement, s'enroule autours des molettes et supporte les cages.

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La rue Verdié à  Firminy dominée par le chevalement du puits Lachaux

Au pied du chevalement se trouve la recette. C'est le niveau d'arrêt normal des deux cages d'ascenseur, celle réservée aux hommes et celle destinée au transport des bennes de charbon. C'est donc le lieu névralgique du puits où, au gré des cordées, se croisent les mineurs et les berlines vides ou chargées de minerai. A Couriot, la recette avait deux niveaux, un à  l'étage pour le transport des hommes et le charbon, et  l' autre dans sa partie basse, utilisé jusqu'en 1937 pour le transport du matériel. A partir de 1937, le matériel ordinaire est descendu par un autre puits, le puits de la Loire, à  un km de Couriot.

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Le premier Chatelus I à  droite
A gauche, le puits du Clapier, Basse Ville n°1, Chatelus II ?

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Fresque à  Grand Croix

A Couriot, puisque nous y sommes, trois générations de chevalement ont dominé l'exploitation. D'abord celui de Chatelus I, construit en bois en 1850, qui dominait de peu la recette et donnait à  l'ensemble un aspect massif. Il portait une toiture à  deux pans surmontée d'un petit bulbe et d'une flèche qui lui conférait un petit air asiatique. Le chevalement de Couriot que le visiteur peut voir aujourd'hui au Musée de la mine date de 1914. En 1928, Chatelus I fut détruit et le second Chatelus I fut édifié en béton par l'Entreprise Limousin. Il fut le premier en France à  intégrer la machine d'extraction à  son sommet. Avec ce type de construction, on parlera de "tour d'extraction" plutôt que de chevalement. Elle fut détruite en 1966, moins d' une année après la fermeture du puits.

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De gauche à  droite:
Chatelus I en cours de déshabillement, le nouveau Chatelus I (nommé parfois Chatelus III), Couriot

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Fin de Chatelus I

La Loire compta deux autres tours d'extraction, impressionnantes, et construites également par l'Entreprise Limousin: celle du puits Pigeot (houillères de Montrambert) et celle du Puits Charles à  Roche-la-Molière. La première portait inscrit son nom en grosses lettres, en hommage au directeur de la Compagnie houillère de Montrambert. Elle a été construite en 1941, huit ans après le fonçage du puits, et mesurait 67 mètres. Elle a été démolie à  l'explosif en 1989, six ans après la fermeture de l'exploitation. Celle du puits Charles a été édifiée en 1943. Elle était plus modeste: 52 mètres de haut. Elle a été dynamitée en 1986.

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Tour d'extraction du Puits Pigeot, "le Géant"
Profondeur du puits: 870 mètres

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Puits Charles
La tour était dotée de deux compartiments différents qui permettaient une double extraction à  des recettes différentes.  Poids total de la construction: 4000 tonnes

Outre ces trois tours d'extraction, d'autres chevalements dans le bassin stéphanois ont été construits en béton armé. Citons les plus célèbres: La Chana à  Saint-Etienne (1932), Isaac à  Roche-la-Molière (1937), des Combes à  la Ricamarie. Le chevalement du puits des Combes est le dernier à  avoir été construit (1931) et le seul à  rester debout. Il est inscrit depuis 2003 à  l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.

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Puits des Combes



"Bourgeoise effondrée"
Collage de Pitr et Ella
Photo Ra²

Parmi les chevalements métalliques, hormis celui de Couriot, il reste le beau chevalement du Puits du Marais, au Chambon-Feugerolles, avec sa recette mais sans ses bâtiments d'extraction. D'une architecture très soignée, avec une toiture bordée de festons, il est aussi à  double jambage et à  double jeu de molettes. A l'origine puits d'extraction (foncé en 1903), il fut essentiellement utilisé pour le remblayage et l'aérage jusqu'à  la fin de l'exploitation du puits Pigeot. Il a été construit vers 1910. Le puits a fermé en 1983.

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Puits du Marais

Deux autres survivants, moins connus, méritent encore d'être signalés. A Lorette, le petit chevalement en béton de scorie du Puits Simon se trouve à  deux pas de l'usine Mavilor. Il date de la fin des années 20 et a été construit par la petite société de Haute-Cappe pour permettre la ventilation du puits Saint-Denis. Le chevalement du puits Combélibert se trouve sur le site du Gourd-Marin à  Rive-de-Gier. Il date pour certains de 1855 mais pour d'autres, Luc Roja notamment, il aurait été construit entre 1780 et 1830,  et resterait le seul de ce type conservé en Europe. Il a été déplacé pour rejoindre deux autres éléments du patrimoine industriel local, en apparence modestes mais pourtant exceptionnels: d'une part la tour de la machine Warocquée de la Grande Compagnie des mines de la Loire, alors la plus puissante de France, qui expérimentait ici le système de descente inventé par l'ingénieur Warocquée, et d'autre part le bâtiment des douches, le plus ancien lavabo de mineurs du bassin.

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Puits Simon

Sauf erreur de notre part, il n'existe pas dans la Loire de vestige significatif des chevalements en maçonnerie, exception faite (peut-être) des restes du puits Lafond à  Saint-Jean-Bonnefonds. Le bassin de la Loire fut pourtant, si l'on en croit Pierre-Christian Guiollard dans son ouvrage Les chevalements des houillères françaises (1989) un de ceux où ce matériau fut le plus largement utilisé dans la construction des chevalements. Les plus célèbres étaient situés à  La Ricamarie. Il s'agit du chevalement des puits jumeaux Devillaine, du nom d'un ingénieur en chef de la Compagnie de Montrambert: Félix Devillaine. Construit par les établissements Révollier et Biétrix de Saint-Etienne, le chevalement se composait de huit colonnes de 9,50 mètres de haut et 0,40 mètre de diamètre. A noter à  ses côtés d'un troisième puit, le puits de l'Ondaine dont le nom reste lié à  la fusillade tragique du Brûlé.  Le chevalement des puits Devillaine fut détruit en 1964. Celui du puits de l'Ondaine en 1961. La division de Montrambert, où ils étaient situés, présente la particularité d'avoir vu coexister, sur un espace restreint, des puits d'extraction (Marseille, Ondaine...), de service (pour descendre les remblais par exemple le puits Lyon), de recherche (le puits du Rhône...) et se succéder tous les dispositifs de remontée, depuis la vargue actionnée par des chevaux jusqu'à  la poulie Koepe, en passant par la machine à  vapeur... Ainsi que des chevalements en bois (Marseille par exemple) , en métal (Marseille encore en 1898), en béton (Pigeot).

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Deux autres puits de type maçonnerie:
Le puits saint Léon à  Roche-la-Molière,
avec son chevalement en forme de tour quadrangulaire et ses deux bâtiments de service qui l'épaulent...

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... et Monterrad n° 2, à  Firminy
Pseudo-tour Malakoff comme celui des puits Devillaine
Le chevalement, construit en 1867, était installé à  11 mètres du sol.
Il a été détruit en 1963.
 
Une quinzaine de chevalements étaient encore debout au début des années 80. En 1983, Bernard Ceysson écrivait à  leur propos: "Tours du travail et de l'ingéniosité aussi indispensables à  ce pays que ses collines et ses arbres, ils sont les repères à  jamais d'une carte du labeur, les stèles d'une histoire dont il faut impérativement préserver la mémoire."

Quatre chevalements donc. Quatre survivants. Il est temps de les laisser reposer en paix avec ces mots de Jean Tibi en guise d'épitaphe: "On ne voyait qu'eux, oui. Les idéologues du retour à  une nature abritant les amours de Paul et Virginie, chaperonnés par Jean-Jacques Rousseau, préfèreraient, certes, qu'ils n'eussent jamais existé. Ils furent."

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Cimetière de Roche-la-Molière

Les principales sources bibliographiques sont citées dans le texte.  Il convient d'y ajouter "Couriot, l'album, La mine dans le paysage stéphanois" de J. Merley et  "100 sites en enjeux". Les mots de Jean Tibi sont extraits de son livre "La mine et les mineurs de la Loire".  Photo puits des Combes: Eric Moulard, molettes puit du Marais: Raymond Gwizdala, puits Simon: Yves Bresson (?), puits Pigeot: ?

Pour l'heure, nous n'avons malheureusement pas de photographie du puits Combélivert à  vous proposer.

Pour toute précision ou rectificatif éventuel, veuillez avoir l'amabilité de nous contacter.