Friday, June 02, 2023

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(publié en 2005) Du haut de son éternité, Mlle Marvingt a le mal des hauteurs, les armées apaches s'affrontent plaine Achille, le Sacré Coeur consume le monde d'un feu ardent et c'est la place Badouillère qui prend des reflets de la place des Vosges. Cavalcade stéphanoise...

Serge Granjon est un passionné. En sa compagnie, pour peu que l
'on soit sensible aux charmes de Clio, le temps s'égrène à  vitesse V. Sa muse, qui n'est pas de celle qu'on va chercher au bout du monde, est certainement à  l'image de sa « cousine » bohémienne de l'avenue de la Libération : fragile. Fragile comme la mémoire mais Serge Granjon est un passeur. Il sait mener sa barque aux couleurs du passé sur le fleuve de l'histoire locale et transporter ses lecteurs d'une rive du souvenir à  l'autre, depuis l'amarante jusqu'au lilas lointain.

Mr Granjon, auriez-vous l
'amabilité de vous présenter brièvement ?

- J'étais enseignant, prof. d'histoire-géo pour être précis, en particulier au collège du Portail rouge. Je suis entré à  l'école normale d'instituteurs à  l'âge de 15 ans et je suis aujourd'hui à  la retraite. Depuis treize ans je collabore au journal La Tribune-Le Progrès en tant que chroniqueur - on peut dire ça comme ça -, chroniqueur en histoire locale.

Et à  partir de vos articles parus dans le journal ont été publiés ces deux ouvrages : Saint-Etienne sous le Second Empire et Saint-Etienne sous la IIIème République.

- Il s'agit d' une compilation des articles dans deux ouvrages de grand format et illustrés. Quant au petit : De Lilas et d'Amarante, Cent ans en pays stéphanois et forézien c'est un peu la même démarche mais il ne s'agissait pas d'articles hebdomadaires, plutôt des articles à  marche forcée si je peux dire. Je devais écrire un article chaque jour durant les 100 derniers jours de 1999 et je devais résumer quotidiennement une année de l'histoire locale, de 1900 à  1999. Le livre commence donc avec l'émeute de 1900 place Marengo et s'achève en 1999 avec la liesse des supporters place de l'Hôtel de Ville.

Votre premier livre, c
'est le Grognard de Pélussin que je n'ai pas lu, de quoi s'agit-il ?

- Contrairement aux autres, il s'agit d'un petit roman publié en 92. Un roman imaginaire qui raconte par le biais de deux personnages, un aspect de la fin du Second Empire, à  savoir l'opposition entre Bonapartistes et Royalistes. Le tout sur fond d'histoire d'amour. C'est une histoire inventée qui part d'une anecdote vraie, une altercation entre mariniers bonapartistes de Condrieu et prêtres royalistes.

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Le dernier ouvrage de Serge Granjon, Les pionniers du ciel forézien, sur la couverture Garros, Reymond et Marvingt. L'étoffe des héros...

- Et concernant le Sacré-Coeur stéphanois, comment avez-vous collecté les documents pour sa rédaction ?

D
'abord ce livre a quelques particularités : il est imprimé sur du papier glacé, le texte figure aussi en anglais et les photos ont été réalisées par un professionnel. Ici aussi, il s'agit d'une reprise d'articles ; tout du moins en ce qui concerne la première partie qui tourne, si je peux dire, autour du second voeu de la ville. Quant à  la seconde, j'ai eu de la chance car j'ai retrouvé des éléments concernant la fondation de la Congrégation de Sainte-Marie des Anges, l'ordre religieux à  l'origine du Sacré-Coeur stéphanois. J'ai d'abord « enquêté » du côté d'Angers ou fut créée la maison-mère de l'ordre et où une moniale bibliothécaire m'a communiqué certains éléments concernant la fondation stéphanoise. Je me suis rendu aussi à  Lyon où j'ai été aidé par l Providence peut-être, je ne sais pas. Toujours est-il que je suis parvenu à  amadouer une bonne soeur franciscaine de la rue Tronchet qui, considérant sans doute que je n'avais pas une mine trop patibulaire, m'a prêté des livres qui m'ont été extrêmement précieux dans mon travail. Et puis bien sûr il y a le bon accueil de l'abbé Chassagne, le prêtre qui dessert aujourd'hui la chapelle Saint Bernard c'est à  dire la chapelle du Sacré-Coeur.

Le second voeu de la Ville, les Franciscaines, le Sacré-Coeur, la Fraternité Saint-Pierre, ça semble un peu compliqué, vous pouvez résumer ?

- Un peu compliqué oui, ça dépend. C
'est vrai que le livre aborde des questions théologiques. Pour résumer très brièvement l'histoire, il y eut au XVIIe un premier voeu de la ville de Saint-Etienne durant l'épidémie de peste. Un voeu pour s'assurer de la protection de la Vierge. En 1870, face à  la menace de l'anticléricalisme, de l'agitation sociale et de la guerre, des notables font un second voeu. Ils promettent de fonder à  Saint-Etienne un monastère d'adoration perpétuelle. Il s'agit donc ici de recourir, non pas à  un culte marial mais à  celui de l'Adoration. Cette promesse fut tenue par le biais du père Jean Chrysostome, un capucin qui était venu prêcher en 1864 le culte de la Vierge qui renaissait à  Saint-Etienne grâce à  ses frères de la colline Sainte Barbe. A cette occasion il rencontra une drôle d'ouvrière, Mlle Duché, qui avait ouvert rue de la Bourse (rue de la Résistance) une chapelle dédiée au Sacré-Coeur. Dix ans plus tard, il lui dépêcha trois premières religieuses franciscaines d'Angers, de la Congrégation de Sainte-Marie-des-Anges. Le Sacré-Coeur stéphanois ouvrait donc ses portes, modestes, onze ans avant celui de Montmartre à  Paris. A noter au passage que la Supérieure de Sainte-Marie-des-Anges, la Mère Marie de la Croix a elle aussi foulé le sol stéphanois. Plus tard en 1883, les religieuses s'installaient dans un couvent de la rue Buisson où aujourd'hui officie la Fraternité Saint-Pierre dans la chapelle rénovée.

Serge Granjon, en chemisette orange, et Mikael Petit, lors de la parution,
bien après cet entretien, de l'ouvrage Coquineries gagasses.
Lire l'article en bas de page

 

Le Sacré-Coeur et aujourd'hui les « fous volants » dans le Forez de la belle époque, comment choisissez-vous vos sujets ?

- J
'ai à  chaque fois un déclic, un coup de coeur. Pour la Sacré-Coeur, le déclic a été l'inscription à  l'entrée de la chapelle commémorant le voeu de 1870. Le coup de coeur au départ de Saint-Etienne sous la IIIème République fut surtout le tram à  vapeur ; dans l'autre volet consacré au IInd Empire, ce fut le casino lyrique de la rue Michel Rondet. Et puis pour les pionniers du ciel forézien, c'est la figure mythique de Roland Garros qui m'a surtout fasciné, mais aussi mon intérêt pour quelques autres aventuriers locaux et originaux, par exemple le sénateur volant Emile Reymond ou le stéphanois Emile Train et son histoire incroyable... 

Parmi les pilotes que vous évoquez, il y a Mlle Marvingt, un sacré personnage

- Oui, vraiment étonnante. Mlle Marvingt était auvergnate mais elle a passé la plus grande partie de sa vie à  Nancy. Elle a tout fait, elle était championne dans de nombreux domaines sportifs, elle pratiquait entre autres l'alpinisme, l'escrime, le tir, la natation, le water-polo. Elle pilotait un avion, sa fameuse Antoinette avec lequel elle s'est écrasée à  Saint-Etienne en 1910. Pour l'époque c'est presque incroyable. C'est elle aussi qui a inventé l'avion-ambulance...

Le livre s
'achève avec la mort du sénateur Reymond pendant la grande guerre et l'inauguration de son monument à  Montbrison. On aurait aimé savoir ce que sont devenus par la suite tous ces pionniers locaux : Train, Mazoyer, Vincent...

- A dire vrai j
'en sais peu de choses, je n'ai pas poursuivi mes recherches au delà  de 1914. La tragédie dont Train a été le héros involontaire l'a abattu sur le plan psychologique. Il s'est reconverti dans la construction de motos. Il meurt à  Mourmelon en 1939. Mazoyer, le constructeur avait un magasin vers Centre II mais je n'en sais guère plus. C'était quelqu'un de très entreprenant, passionné de techniques mais je ne sais pas trop ce qu'est devenue son entreprise. En tout cas, il a inoculé sa passion à  ses fils qui sont tous pilotes amateurs ou professionnels, d'ailleurs un d'entre eux est mort tragiquement en 1968, si j'ai bonne mémoire. Il était pilote d'essai, il a dû s'éjecter mais son parachute troué n'a pas ralenti sa chute. Un autre de ses fils, Paul Mazoyer, m'a communiqué des documents. Quant à  Joannès Vincent, j'ai perdu sa trace après le désastreux meeting de Villars en 1909, quand aucun avion n'a réussi à  décoller. 

Une question qui se pose est de savoir s
'il reste des « reliques » de ces premiers appareils : l' Antoinette de Mlle Marvingt, l' éolette de Bénel, Beysson et Poitignat par exemple ?

- Il y a une « Antoinette » au musée du Bourget mais ce n
'est pas forcément l'appareil de Marie Marvingt. Je ne crois pas qu'il y ait d'avions de Train, en tout cas je n'en ai pas vu, je ne suis même pas sûr que Train soit mentionné d'ailleurs. Il y a aussi une hélice qui reste en possession d'un descendant du constructeur Perrin, à  moins que ce ne soit de Béthenod peut-être, enfin donc l'hélice est à  l'Etrat, en bon état pour l'instant.

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Et ce fameux terrain d'aviation de Champirol qui vit s'envoler Roland Garros et tous les autres, où était-il situé exactement ?

- Sur l
'actuel emplacement de l'hôpital nord. C'était un simple pré, droit et plat.

Parmi tous les faits, les lieux ou les visages que vous avez évoqués dans vos livres , quel est celui qui vous a le plus intéressé, qui vous a le plus surpris ou ému ?

- Le casino lyrique, rue Rondet dont le squelette abrite aujourd'hui la librairie forum, un lieu magique dont l'histoire m'envoûtait. C'était le tourbillon du Second Empire qui y vibrait. C'était un peu le palais des mille et une nuits stéphanoises. Brasserie, café, salle de music-hall�?� tout à  la fois, ce devait être fantastique.

Pour vos plongées dans le passé, quels sont les journaux d'époque qui vous sont les plus utiles ?

- En ce qui concerne l'histoire religieuse, c'est le Mémorial de la Loire, longtemps nommé Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire. Il a « sauté » en 1944 car il s'était compromis dans la Collaboration. Deux autres journaux ont d'ailleurs subi le même sort : la Loire Républicaine et la Tribune Républicaine. Pour ce qui est des faits-divers, c'est la Loire Républicaine qui l'emporte. Elle passait tous les meurtres au crible.

A propos, il y avait quand même de sacrés sauvages dans la région. Quand on lit vos livres, on découvre des histoires hallucinantes, comme celle de ces bandes de plusieurs centaines de gamins qui s
'affrontaient ou les gars qui faisaient un carton sur les dirigeables !

- (Rires) Oui c
'est vrai, il y avait des spécimens un peu frustres, un peu mal dégrossis. Concernant les bandes d'antan, la colline Sainte Barbe était un vrai bastion, en hauteur, dominant toute la ville. La plaine Achille également où ça tapait dur et ferme, à  la fronde aussi. En 1870 qu'est-ce qu'il se sont mis ! les bandes du Soleil, du Marais.. de véritables armées en mouvement !

Au passage, on a dit longtemps que le Forézien était un peu... arriéré. On peut peut-être l
'expliquer sur le plan géographique : une province à  l'écart des grandes voies de communication. Surtout à  Saint-Etienne, bon euh... ils ont construit des fortifications quand la guerre de Cent ans était finie, c'était plus vraiment la peine ; ils ont fait une église romano-gothique quand le roman était fini depuis longtemps déjà  et que le gothique touchait à  son terme. Un peu décalé malgré quelques grands noms montbrisonnais comme Honoré d'Urfé, Loys Papon, les Robertet... mais le XIXe siècle et le développement industriel du bassin stéphanois a changé un peu la donne, surtout dans le domaine des techniques. Mais bon, avant ça...

Un coup des Lyonnais vous pensez ?

- Peut-être bien (rires). 

Comment voyez-vous Saint-Etienne, aujourd
'hui en 2005 ?

- Il y a besoin d
'un second souffle ! J'espère que le maire va réussir son pari. Beaucoup de magasins ont disparu, beaucoup de restaurants... Il me semble aussi que la ville a perdu de sa chaleur.

Une image du Sainté d
'antan qui vous reviendrait maintenant...

L
' épicerie-buvette, en particulier celle de la rue de l'Eternité. La magie de la petite boutique de proximité, les nombreux cafés et leurs billards... Aujourd'hui tout est beaucoup plus aseptisé. Je regrette parfois de ne pas avoir vécu avant la guerre de 14, le boulevard Victor Hugo devait être un petit Boulevard Saint Michel, avec beaucoup de brasseries, des saltimbanques... 

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Un lieu qui vous plait particulièrement ?

- J
'aime bien Badouillère. La place proprement dite, avec beaucoup d'imagination, évoque pour moi la place des Vosges, par son côté ancien et puis deux personnages importants y ont vécu : Etienne Mimard et Antoine Durafour. C'est un lieu de la fin du XIXème si je peux dire, j'aime bien le monument aux morts de 70, rare en France et assez majestueux. Le cours Victor Hugo et ses halles sur le modèle parisien, ce côté un peu parisien en miniature, ses façades.Tout le périmètre entre les Ursules, de préférence sans le parking, jusqu'à  Badouillère... 

Avez-vous un avis à  propos de la manière dont l
'Histoire de France est enseignée aujourd'hui dans les écoles ?

- Oh que oui j
'ai un avis ! Il y a une chose qui a été abandonnée c'est l'enseignement de l'Histoire en primaire. Mais il y a des gens qui ont décidé, on ne sait pas trop pourquoi, que l'apprentissage de l'Histoire ne devait débuter qu' en 6ème. L' Histoire en primaire permettait d'avoir des notions, des bases, des repères. Exit les tableaux imagés qui évoquaient l'Histoire de France par des dessins à  la portée des enfants, qui leur permettaient d'avoir en tête des points d'ancrage élémentaires. Tout ceci, les notions et les références, tout a fondu à  une vitesse incroyable. Et après il faut construire sur du vide. Sinon, l'enseignement tel qu'il est pratiqué dans le secondaire à  mon sens est bon et formateur, avec des documents (textes, photos) visant à  développer l'esprit critique mais encore faut-il avoir en face des élèves qui jouent le jeu et savoir-faire accepter le jeu. Mais la stupidité a voulu qu'on évacue les fondations. Du coup on se retrouve avec pas mal d'ignares dans le domaine de l'Histoire, qui arrivent sans repères. Il faudrait renouer les deux : chronologie pure et dure en primaire et construire ensuite l'esprit critique en secondaire. Mais sur du vide ? Le vide n'est comblé peu ou prou que par ceux qui éprouvent un intérêt pour l'Histoire, les autres restent ignares.

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Quelques ouvrages de Serge Granjon

Une dernière question : sans votre retraite, arriveriez-vous à  vivre de votre plume ?

- Non, je touche un pourcentage sur les ventes mais de là  en a vivre, non. Un auteur local peut avoir des retombées financières mais à  moins d
'écrire Harry Potter il me semble difficile d'en vivre. Et ceux qui y parviennent vivent, euh, petitement je dirais. Il faut une activité à  côté. En général, les auteurs locaux dans le domaine de la Mémoire régionale appartiennent souvent au milieu journalistique. Il y a aussi des profs qui touchent en général un public plutôt universitaire, spécialisé.

Et votre prochain livre ? A quoi allez-vous vous frotter ?


- Peut-être à  la Commune de Paris, on verra...


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PS

Si depuis la mise en ligne de cet entretien, Serge Granjon ne s'était pas frotter à  la Commune (livre paru récemment) il a abordé,
dans Coquineries gagasses, la question des anciennes maisons closes de Saint-Etienne. Il a aussi écrit Le Retour du grognard. Le premier ouvrage avait fait l'objet d'un article dans nos pages. Le voici:

« Fermer les maisons closes, mais c'est plus qu'un crime, c'est un pléonasme ! »
Arletty

Après la conquète de l'azur forézien à  bord de coucous casse-cous, Serge Granjon nous revient avec un nouvel ouvrage, Coquineries gagasses, certes moins volatile mais bien plus volage. En compagnie de Mikaël Petit, il nous invite cette fois à  pénétrer dans l
'intimité des brasseries à  femmes et des maisons de tolérance stéphanoises.

Un rapport du maire Jules Ledin au Préfet en 1902 estime à  140 le nombre de filles réparties dans douze maisons closes et à  500 le nombre de débits de boissons où se dissimule la prostitution. En effet, dans ce XIXe siècle cher à  l
'auteur, la prostitution stéphanoise s'est manifestée essentiellement de deux manières. D'une part les maisons spécialisées, c'est à  dire les maisons de tolérance traditionnelles, de luxe parfois, et d'autre part les brasseries diverses où des filles travaillaient à  mi-temps. Il y avait des « brasseries à  femmes », par exemple au pied du Crêt de Roc, place de l'attache-aux boeufs, et la rue Gérentet avait son « Café oriental ». Mais c'est surtout le cours Victor Hugo entre 1850 et 1914 qui fut un des haut-lieux de la prostitution à  Saint-Etienne. Sur ce petit boulevard Saint Michel, à  l'ombre de la brasserie Magand, fleurissaient les lieux où les étudiants, les petits bourgeois et les artistes pouvaient venir s'encanailler. Un patron de brasserie y avait même aménagé un dortoir pour les filles. L'ancienne rue Froide (la mal-nommée), la rue de la Ville, la rue Saint Jean étaient connues quant à  elles pour leurs maison closes traditionnelles.



Les documents photographiques concernant les maisons de tolérance stéphanoises sont rares. Pour illustrer l'ouvrage, l'auteur a fait appel à  Mikael Petit, un artiste bourguignon qui, en s'inspirant de l'esthétique de Lautrec et de Degas, a reproduit l'esprit rétro des affiches de cabarets de l'époque. Mais en utilisant des techniques et des matériaux qui donnent en même temps à  ses dessins une touche personnelle et moderne. Avec l'humour distingué (et habituel) de la plume de Granjon, ils participent à  faire de cet ouvrage un petit peu plus qu'un livre. Dommage cependant que la couleur ici présente ne soit pas au rendez-vous des pages..

Serge Granjon : " Les brasseries à  femmes se sont développés à  partir des années 1860, à  Paris d
'abord puis en Province. A Paris, on parlait de cafés à  serveuses « montantes ». La ville de Saint-Etienne, en pleine expansion, avec ses nombreuses brasseries où l'on consommait de la bière mais aussi où elle était fabriquée (au Rond-point par exemple) était toute désignée pour accueillir ce type de population. Les filles, à  la fois serveuses et prostitués, attiraient la clientèle et monnayaient leurs faveurs, dans les arrières-boutiques, chez le client ou chez elles. Ces filles, souvent originaires de la région, parfois d'ailleurs, du Lyonnais ou de Velay, étaient libres dans le sens où elles n'étaient pas liées à  un seul établissement, comme les « filles à  la carte » des bordels. Elles échappaient aux contrôles sanitaires et aux flics et c'est pourquoi il est difficile de chiffrer leur nombre avec précision. Sans compter qu'il variait bien entendu avec les aléas de la vie économique. Les grandes crises de la fin du XIXe à  Saint-Etienne ont favorisé la prostitution. Des lettres écrites par certaines d'entre elles pour défendre leur gagne-pain évoquent les raisons de leur prostitution : enfants à  nourrir, vieille mère à  charge, pas de compétences professionnelles�?�"



Cours Victor Hugo

Des arguments qui n'émouvaient certes pas les garçons de Café qui voyaient d'abord dans ces "insoumises" des concurrentes déloyales. Aussi, ils n'ont eu de cesse de partir en croisade pour les faire interdire. Et les Coquineries gagasses de relater en détail, textes des pétitions à  l'appui, la complainte savoureuse des Garçons de Café de Saint-Etienne. Des morceaux de bravoure parmi d'autres en 1898 et 1901: "Eu égard à  leurs autres « occupations », elles sont rétribuées par les patrons d'une manière dérisoire et privent d'emploi autant de garçons qui seraient rétribués à  leur juste valeur. Il y a le rebus de Lyon et d'ailleurs. Combien de jeunes gens de bonne famille de Saint-Etienne voient leur avenir brisé et leur santé compromise en fréquentant ces établissements louches où la femme reçoit tous ceux qui se présentent avec de l'argent sans subir aucune visite sanitaire ?"

Plus que leurs récriminations faussement moralistes, c
'est surtout la boucherie de 14-18 qui devait mettre fin à  la belle époque des brasseries à  femmes. La prostitution resta ensuite l'apanage des maisons closes jusqu'à  la loi Marthe Richard en 1946 qui vit en France la fermeture de 1400 établissements.

Aux Editions Osmose