Le Fouet était un journal hebdomadaire se présentant comme un « organe indépendant, illustré, satirique et humoristique de Firminy et sa région ».
Coûtant 5 sous le numéro, il se voulait « la tribune libre de tous les hommes libres » mais aussi « gazette internationale » avec de petites brèves publiées dans ses pages en langue italienne, polonaise, espagnole... Il avait son siège à Firminy et un bureau à Saint-Etienne.
Son propriétaire était un certain Jean Darcet et son directeur A. de Compigny. Celui-ci, dans une lettre de démission adressée à Jean Darcet, publiée en une d'un numéro de mars 1929, écrivait avoir pris la direction du journal en mars 1928. Ce A. de Compigny annonce qu'il démissionne car il a été sollicité par « un journal en création, plus régional que Le Fouet ». S'agit-il de La Région Illustrée, organe régionaliste, littéraire et artistique des années 1930 dans lequel on lit plusieurs fois la signature « A. de Compigny des Bordes »?
Jean Darcet lui répondit dans une lettre de remerciement publiée également en une. « Le Fouet, écrit-il notamment, a vécu du 3 mars 1928 au 17 mars 1929 sans avoir recours à des subventions plus ou moins occultes. » Suite à la démission de son directeur, Le Fouet cessa ses activités. Le dernier numéro - la collection est consultable aux Archives départementales - est daté du 31 mars 1929. Le journal invitait alors ses lecteurs à consulter un autre hebdomadaire : Le Progrès Social.
L'existence du journal fut brève, donc, mais mouvementée, marquée notamment par la carence sans préavis d'un imprimeur stéphanois l'obligeant à rechercher d'autres presses, l'agression de son directeur... Dans sa lettre de démission, A. de Compigny, par ailleurs membre de la Fédération républicaine des maires et conseillers municipaux de France, écrivait aussi : « (…) chaque semaine, Le Fouet, faisant sienne la devise du Figaro, put rire des sots et braver les méchants. Nous eûmes de belles campagnes soutenues par le public. » Et plus loin (nous sommes à deux mois des élections municipales): « Tous les partis se valent à peu près. Je ne me sens pas le courage de dire à des lecteurs amusés que les radicaux sont des bandits, les socialistes d'autres bandits et les communistes des bandits plus notoires. Que les électeurs se débrouillent ! » A noter qu'un numéro du journal de janvier 1929 arborait en une la mention « ni communisme ni fascisme ».
Parmi ces « campagnes », il y eut en particulier celle visant les aciéries Verdié, qualifiées de « bagne » et de « lèpre » et ses ouvriers de « forçats » ou d' « esclaves ». Dans un article de juillet 1928 titré « Sous le signe de la bête » , on lit : « (…) chez Verdié, c'est Satan qui mène le bal. Rien chez Verdié n'a l'esprit de l'Evangile. Aucun soucis de la personnalité humaine. Aucun amour du prochain. La dure loi imposée à tous, c'est la dure loi de l'esclavage romain. L'on comprend les menaces communistes qui visent ce bagne où le bétail humain doit suer sans répit pour les actionnaires...». Dans un autre article, Le Fouet écrit que lorsque les ouvriers aperçoivent M. Saint-Clivier, le directeur (?) issu de Polytechnique, « froid et dédaigneux », eh bien, les ouvriers crachent. « C'est un geste qui symbolise toute la lutte des classes ». Cette même année, une catastrophe minière faisait 48 morts au puits Combes à Roche-la-Molière, dont une dizaine d' Appelous. Le jour des funérailles, d'après l'hebdomadaire, la direction des usines Verdié refusa de chômer une demi-journée... L'agence Havas, ancêtre de l'AFP, fut attaquée aussi par le journal qui lui reprochait d'être « une pieuvre tentaculaire » et « partiale » ayant partie liée avec le Gouvernement...
A l'origine du reportage sur la prostitution à Firminy, il semble y avoir eu la tribune d'un certain Docteur Lefranc, publiée le 4 mars 1928. L'auteur y dénonce une prostitution qui s'afficherait en toute liberté, sans réglementation. Dans ce discours mâtiné d'hygiénisme et de racisme, il évoque Justin Godart et le pasteur Pourésy. Le premier, député de Lyon puis sénateur du Rhône, un temps ministre du Travail et de l'Hygiène et ministre de la Santé fonda l’Office national d’hygiène sociale et déposa en 1928 une proposition de loi interdisant notamment les maisons closes et instituant des mesures de prophylaxie des maladies vénériennes. Le second fut le disciple de Louis Comte (bien connu à Saint-Etienne, décédé deux ans auparavant) auquel il a succédé à la Ligue pour le relèvement de la moralité publique.
Cette dernière, écrit Jean-Yves Le Naour (« Un mouvement antipornographique : la Ligue pour le relèvement de la moralité publique », Histoire, économie et société, 2003), fut créée en 1883, « à l'initiative de militants protestants engagés dans le combat contre la réglementation de la prostitution, sur le modèle des sociétés abolitionnistes britanniques ou helvétiques ». Luttant contre l'arbitraire de la police des mœurs et le proxénétisme de l'Etat, elle disparut en 1946, l'année de la loi Marthe Richard mettant fin au régime de la prostitution réglementée et fermant les maisons closes – « plus qu'un crime, un pléonasme », a dit l'excellente Arletty.
A le lire, on rangera plutôt le Docteur Lefranc du côté de la Société de protestation contre la licence des rues, créée en 1894 et pour laquelle (Jean-Yves Le Naour) « la prostitution contrôlée policièrement et médicalement ne constitue pas plus une atteinte à la morale qu'aux libertés, au contraire elle est considérée comme un moindre mal, une canalisation du vice (…) ». Ceci étant justifié « par le souci de circonscrire le péril vénérien, qu'on imagine presque uniquement diffusé par les prostituées, ainsi que par l'objectif d'assainir la rue. Si la maison de tolérance n'existait pas, poursuit la Société de protestation, la démoralisation serait plus grande encore du fait de la séduction et de l'entraînement au vice des jeunes filles de bonnes familles et de la dissémination des maladies vénériennes. »
La prostitution est polymorphe. Il faut distinguer les filles « soumises » des « insoumises ». Des premières, des professionnelles, on parlera aussi de « filles en carte » car détentrices d'un document attestant de leur inscription sur les registres de la police et les obligeant à se soumettre régulièrement à des contrôles sanitaires (visites médicales). Une fille publique « en carte » peut travailler (voire loger) avec d'autres dans une maison de tolérance ou, isolée, loger chez elle. Les secondes, prostituées clandestines plus ou moins occasionnelles, ne se soumettent pas à ce régime de contrôle administratif. Nous verrons plus loin avec Madeleine Lescure que les clandestines de Firminy appartiennent à des milieux divers.
Voici le texte du Doc Lefranc :
« Firminy, on le sait partout, est (…, illisible, ndFI). Comme le veut le doux utopiste qu'est le pasteur Pourésy, la prostitution n'y est nullement réglementée. Un troupeau de femmes célibataires ou mariées, promenant partout leurs maladies vénériennes, y font chaque jour de nombreux clients aux morticoles. C'est la manie la plus fâcheuse du citoyen Brioude, maire socialiste unifié de notre ville, de croire que Vénus a remplacé, dans le ciel, la douce et pure Sainte Marie. A grands pas, nous retournons au paganisme et à ses honteuses misères. La pudeur s'abolit. L'instinct sexuel n'a plus de frein. Des fillettes de quatorze ans, témoins de toutes les vilenies de la rue, vont au « rencart » et possèdent un vocabulaire à faire rougir un singe...
On lit le Frou-Frou comme on lisait autrefois les contes de Perrault. Dans tout cela, il y a quelque chose de désaxé. Cherchons chez nous les responsables. L'après-guerre a amené ici un tas de métèques. Les Marocains ont ouvert des cafés. On y respecte les mœurs arabes. Tout le monde, évidemment, ne connaît pas les mœurs arabes. Il fallait pour ces étrangers, dangereusement mêlés à notre vie, les filles perdues des maisons closes. M. Brioude n'a pas voulu à Firminy – ville de 24 000 habitants – de filles constamment enfermées. Cela part d'un excellent naturel. Ce n'est pas suffisant pour être hygiénique.
Aussi ces filles ayant la liberté – elles se disent que c'est un peu elles que nos ancêtres ont pris la Bastille – se promènent à travers toute la ville, dans tous les camps, sur tous les trottoirs, dans tous les prés, y compris celui de l'Ecole Pratique. Les pharmaciens y gagnent de nombreuses ordonnances mercurielles !
M. Brioude, du reste, dans son amour de l'amour libre, est en bonne compagnie. M. Justin Godart l'accompagne sur les jardins fleuris de l'illusion. M. Justin Godart, dans toute la France, veut supprimer les geôles vénusiennes. Quel ministre admirable ! Aucun tribunal administratif désormais n'exigera la moindre visite médicale des vendeuses d'amour. Plus de filles de joie, en simple police, le dernier jeudi de chaque mois, pour s'entendre condamner à l'amende et à la prison ! Chacun aimera à ses risques et périls.
Les « égratignés de Vénus » seront un peu plus nombreux. L'Etat les soignera « à l'oeil », c'est à dire aux frais des contribuables. Le docteur Emeric songe-t-il à installer, avec une infirmière supplémentaire, ce service à Firminy ? »
Le Fouet a publié le 17 juin des courriers de lecteurs faisant d’état de relations sexuelles tarifées pratiquées en pleine rue.
« Un scandale
On nous écrit :
La place du Breuil va-t-elle devenir le lieu de rendez-vous des hétaïres ? Le 5 juin, à 9 heures du soir, au vu et su de toutes les personnes qui prenaient le frais, une moukère marchandait à haute voix avec des « bicots ». Des enfants entendaient ce palabre. Brioude va-t-il faire cesser ce scandale ?
C…
Belle de nuit
On nous écrit :
La fille L… tient ses assises place du Marché. Dès la tombée de la nuit, le trottoir qui va de la rue de la Paix à la rue de l’Hôpital lui est entièrement dévolu pour pratiquer la première partie de son programme. Pour la seconde, celle qui comporte les exercices de souplesse dorsale, la gente équilibriste emploie les lieux moins fréquentés mais tout proches : la venelle qui relie la place du Marché à la rue Traversière, et celle reliant la rue de l’Hôpital à la rue Laprat. Les habitants du quartier se demandent ce que fait Dame Police ? Verront-ils, comme l’an passé, le honteux marchandage qui se tenait en haut de la rue Martin-Bernard ? Verront-ils, jusqu’à des heures indues, ces messieurs à rouflaquettes devisant près des vespasiennes adossées à la Bourse du Travail, pendant que leurs dames faisaient de la culture physique ?…
- J »
Voici maintenant la petite enquête de Madeleine Lescure, datée du 10 octobre.
Caricature publiée en illustration dans Le Fouet légendée ainsi: - Dis donc, maman, si le vieux arrive, cogne au plafond, que Gégène aie le temps de se barrer.
« En quittant Paris, l’autre semaine, un journaliste m’avait dit :
- Vous allez voir à Firminy ce qu’est une ville où la prostitution n’est pas réglementée. Gomorrhe était chaste à côté de la cité des Appelous. Le maire ne veut pas de maison close. Résultat : il y a plus de prostituées à Firminy que dans n’importe quelle ville de France.
Je veux dire, tout de suite, que mon informateur, parlant par ouï-dire, commettait la plus profonde des erreurs. Je suis venue à Firminy faire une enquête que j’ai menée avec impartialité. Il en résulte que le dévergondage n’existe pas plus, sur les bords de l’Ondaine, qu’à Thiers, autre ville ouvrière ; Montbrison, ville agricole et judiciaire ; Annonay, cité proche où une bande de fils à papa commettent des excès qu’il serait bon de signaler. Nous voyons à Firminy ce qui se passe partout en ce temps de retour au paganisme.
Des femmes mariées, désireuses d’avoir quelque argent et de goûter de la vie licencieuse, se donnent pour des sommes relativement minimes. On m’en a cité une, de la meilleure bourgeoisie, qui accepte de passer une nuit à l’hôtel, à Saint-Etienne, moyennant un billet de cent francs. Il est vrai que préalablement, pour l’émoustiller, il lui faut un dîner aux crevettes, beaucoup de champagne, des liqueurs fortes, des cigarettes et une heure ou deux d’un dancing fréquenté par des grues et des invertis. Après quoi, vers les deux heures du matin, elle est aussi hétaïre qu’on peut l’être…
Si nous descendons d’un ou deux étages, nous trouvons d’autres femmes mariées qui spéculent de leurs charmes, au su, généralement, du mari. Le tarif de ces dames varie de cinq francs à vingt francs.
Firminy attire une foule de jeunes filles de la campagne. La plupart débutent comme bonnes de café. Il arrive qu’elles sont sans place et qu’elles ne veulent ni retourner aux champs ni turbiner à l’usine. Ce sont très vite des recrues pour la prostitution. Elles ont sous les yeux le spectacle de la rue. Ce spectacle, je le répète, est moins nocif que celui de Deauville ou Vichy mais aussi dangereux que celui de Béziers ou de Châlons. C’est une résultante de l’amoralité de notre temps.
Presque toutes les ouvrières, jeunes et jolies, font, avant de rentrer chez elles, le soir, une promenade assez prolongée sur le trottoir. Leurs conversations sont d’un réalisme à faire rougir Restif de la Bretonne.
Des rodomonts parlent de scènes orgiaques, place du Marché. Il faut croire qu’un soir d’esbaudissement, ils y ont rencontré Messaline ! Quand on a soixante-dix ans, la bouche édentée et le chef branlant, rencontrer dans des rues sombres une unique raccrocheuse, c’est évidemment la corruption incarnée !
Non ! A Firminy, la rue des flirts, la rue des jeux de l’amour et du hasard, c’est la rue Nationale. J’y suis passée vingt fois, ces jours, entre sept et dix heures du soir, pour y assister aux minauderies des petites ouvrières délivrées du labeur. Ordinairement, elles y ont « rencart » - lisez, rendez-vous. C’est rue Nationale que, chaque soir, l’homme trouve sa proie.
Tous les hôtels, tous les cafés, cependant, ont la consigne sévère de refuser les couples suspects. Ils s’y astreignent bien que le commissaire de police ne dispose que d’une police municipale embryonnaire, composée de quatre ou cinq agents. Mais près de l’Ecole pratique, il y a des terrains vagues, des chemins obscurs, des parcelles de prairie. C’est le rendez-vous, les nuits sans lune, des filles qu’on attend à la maison ; des jeunes gens qui content fleurette, puis veulent cueillir la rose, et des respectables personnages de la ville. Eugène, collaborateur amusant de ce journal, vous dira, un de ces jours, ce qu’il a vu et entendu, vers onze heures de la vesprée, dans un tout petit pré transformé en claque-dent… Ainsi, à Firminy, comme à Roanne ou à Givors, il y a des ouvrières, de nombreuses ouvrières, généralement jeunes et assez jolies, qui, pour se payer, soit le cinéma, soit le dancing, des fanfreluches ou des friandises, effritent petit à petit, chaque soir, le capital que la nature leur donna.
Au dessous, les professionnelles. Elles sont en carte mais se fichent autant des visites sanitaires intimes que le roi Dagobert de son premier pantalon. Quand le juge Bessy les condamne à la prison – toutes sont en récidive – elles vont, résignées, à Bellevue (prison de Bellevue à Saint-Etienne, ndFI). Une amende de deux francs égale cent francs de débours. Mais en vingt-quatre heures, à Firminy, une fille soumise gagne largement cent francs. Ce ne sont ni les Albanais, ni les Polonais, mais les « sidis » qui sont leurs meilleurs clients. La basse prostitution locale vit beaucoup des Marocains (…).
Mais pour me résumer, je ne vois quant à moi, aucune différence dans la moralité d’une ville ayant des lupanars d’une ville n’en ayant pas. Rien n’empêchera la prostitution clandestine. Elle découle, obligatoirement, des salaires trop bas payés aux ouvrières et des tendances de l’époque, jouisseuse avec frénésie, sans éducation sexuelle, sans frein dans le domaine moral. »
Légende: L'excuse -Que voulez-vous... Un homme comme mon mari qui gagne à peine à peine 10000 francs par an ne pourrait prétendre à avoir une femme à lui tout seul.
Texte signé par Madeleine Lescure accompagnant ce dessin:
« Notre dessin montre une des faces de la prostitution à Firminy aujourd'hui. Car s'il est bien entendu que la maison close n'existe pas chez nous, la prostitution clandestine s'affirme de plus en plus. A une époque où c'est l'argent qui permet de tout se procurer, on comprend qu'un certain nombre de jeunes filles et de femmes - certaines plus très jeunes - appartenant à des milieux sociaux divers, cherchent dans une prostitution d'un genre plus relevé que celle de la malheureuse qui attend, au coin de la rue, un client problématique, de quoi subvenir à un luxe que leurs parents ou leur mari ne peuvent leur fournir. Il faut toutefois se garder des exagérations. Il n'est pas rare à ce sujet d'entendre dire que Firminy est un vaste lupanar. Ce n'est pas vrai en ce sens qu'il y a à Firminy comme ailleurs des femmes honnêtes, des épouses modèles, des mères irréprochables. Elles appartiennent aussi bien au monde ouvrier qu'au monde bourgeois. Mais dans tout blé, il y a de l'ivraie. Et l'argent corrupteur est la cause de tout le mal: l'argent nécessaire à la satisfaction de tant de besoins inutiles créés par une civilisation corrompue.»