Où est la femme ?
En février 1911, Le Stéphanois rapportait une dépêche de Paris destinée à rassurer les Français quant à l'authenticité de La Joconde. L'original du tableau de Leonard de Vinci est bien au Louvre. Même que c'est le directeur des musées prussiens qui l'affirme. Six mois plus tard, Mona se fait la belle !
Page publiée en 2011, perdue et retrouvée
Sa disparition est constatée le 22 août. Le quotidien du soir annonce la nouvelle deux jours plus tard dans un article daté de la veille. Il reviendra sur le vol du siècle de nombreuses fois, évoquant tantôt la piste belge, l'hypothèse d'un passage en Suisse, un vol commandité par des collectionneurs américains,... Mais la Florentine reste introuvable. On imagine le sourire crispé du préfet de police de Paris, Louis Lépine. Louis-Joseph Gras se fait aussi l'écho d'une rumeur qui courut à l'époque - elles furent nombreuses, Apollinaire et Picasso furent même suspectés. L'historien écrit qu' "un journal parisien prétendit que le tableau volé n'était qu'une copie restaurée par un ancien antiquaire stéphanois". Gras n'en dit pas plus. On trouverait peut-être des renseignements complémentaires dans le Mémorial de la Loire, célèbre journal ligérien dont les Années foréziennes de Gras compilaient chaque année les articles.
Le vol de La Joconde - d'après nos informations elle fut retrouvée en décembre 1913 en Italie - incita la municipalité à renforcer la sécurité de ses collections. Voici l'article du Stéphanois dans son édition du 10 décembre: " Après la fermeture des musées, à cinq heures du soir, le service de la Bibliothèque amène au Palais des Arts un nombreux public et ce service ne prend fin qu'à dix heures du soir. Pendant ce temps, des gens mal intentionnés, sous prétexte de venir étudier à la Bibliothèque, pourraient se dissimuler dans les couloirs et escaliers du Musée pour commettre des méfaits pendant la nuit. A la suite d'une visite sur place, la commission soumet un projet de clôture des galeries artistiques par une grille devant le grand escalier intérieur du Musée et aussi devant les escaliers de service, aile droite et aile gauche du Palais des Arts. Ainsi, le public ne pourrait pas emprunter d'autre voie que celle qui conduit à la Bibliothèque et, conséquemment, la Ville aurait fait tout son possible pour parer à tous risques de vols à l'intérieur, ceux de l'extérieur étant garantis par les mesures de sécurité déjà prises. La dépense en résultant s'élève, suivant le devis dressé par le service de l'architecture, à la somme de 2.842 fr. 04. Si on a volé la Joconde au Louvre, on ne pourra donc pas enlever l'Apprenti (une sculpture, ndFI) que le Musée abrite depuis quelques jours."
Un abus d'hyperbole
L'expression est employée dans un numéro des Annales Foréziennes, journal artistique et littéraire, d'avril 1911 à propos de cet évènement qualifié de "catastrophe" et qui fit seulement deux morts et quelques blessés. C'est vrai, c'est finalement peu de chose en comparaison des 200 et quelques morts causées par l'explosion du cuirassé Liberté en rade de Toulon, cette même année. Si elle ne semble pas avoir fait de victimes stéphanoises (sauf erreur et contrairement à celle du Iéna quatre ans plus tôt), la catastrophe du Liberté, ou plutôt le "scandale des poudres" qui s'ensuivit n'était pas fait pour rassurer les fabrications de l'Etat. Ce qui dans la région stéphanoise a son importance. Mais on s'éloigne. Revenons donc à notre "catastrophe", dans la rue populeuse de Polignais où quatre maisons s'effondrent (n°20, 22, 24 et 26) le 1er mars 1911, vers 15h. Le bilan aurait pu être bien plus dramatique.
Cette brave dame, par exemple, elle l'a échappé belle. C'est Le Stéphanois, encore, qui raconte cet" épisode touchant et qui confirme tout ce qui a été déjà dit sur la fidélité et l'intelligence du chien"; celle de cette locataire tirée de son sommeil par les aboiements de mauvais augure de son fidèle compagnon. " Précipitamment, elle se vêtit et s'enfuit. La maison s'écroulait comme elle arrivait dans la rue, suivie de son chien qui lui faisait fête et se livrait près d'elle à toutes les bruyantes manifestations de la joie la plus complète. "
Les pompiers, sous le commandement du capitaine Bedoin, des soldats, des gendarmes, des civils venus prêter main forte, fouillèrent longuement les décombres. Le second cadavre ne fut retrouvé qu'à 22h. Plus de 150 personnes durent être relogées, les sinistrés et les habitants d'immeubles voisins invités par précaution à aller dormir ailleurs. Les hôtels du quartier, du Lion d'Or, Matricon,... recueillirent les malheureux, munis des bons de réquisition. Quelques jours plus tard, ils se réunissaient en vue d'un action commune " pour obtenir que la lamentable situation dans laquelle ils se trouvent, ait une fin". Des troncs furent disposés en ville pour recueillir l'obole de ceux qui voudront bien s'intéresser au sort des malheureux. " Nous avons la certitude, écrivait le comité d'organisation dans un appel aux travailleurs, que pour cette fois encore, comme dans beaucoup d'autres circonstances malheureuses, l'appel d'une population ouvrière et laborieuse sera entendu de tous ceux qui veulent soulager la misère imméritée qui est survenue à un certain nombre de travailleurs malheureux de notre cité stéphanoise".
200 francs et 20 centimes furent récoltés. Lors du conseil municipal qui suivit, le Maire, Jean Neyret, proposa de voter un crédit de 2000 francs pour les sinistrés. On trouve encore mention, à la date du 14 mars 1911, d'une aide de 1000 francs supplémentaires pour les victimes, accordée par le président du Conseil général. Et pour le 22 mars une soirée de gala de solidarité à l'Alhambra-Pathé Frères (futur cinéma Gaumont, Alhambra, Megarama, ndFI 2022).
Sur les causes de l'accident, le journal écrit: " Comme il fallait s'y attendre, la catastrophe d'hier est attribuée aux causes les plus invraisemblables. Dans la foule des badauds qui stationne autour des taudis eu ruines les versions les plus fantaisistes circulent déjà. Les uns, avec un air entendu, vont jusqu'à dire qu'à certains jours on perçoit des caves des immeubles de la rue Polignais les coups de pics des mineurs. Ce qui tendrait à laisser croire que la Compagnie de la Loire exploite à une très faible profondeur. Or, il y a beau temps qu'on n'exploite plus sous ce quartier de notre ville. Les autres attribuent l'écroulement d'hier aux exploitations clandestines de charbon auxquelles nombre de mineurs se livraient dans les caves de leurs habitations. D'autres, plus sérieux, incriminent la Compagnie de la Loire, articulant tout haut que, quand elle a arrêté son exploitation sous ce quartier, elle n'a pas remblayé suffisamment ou même pas remblayé du tout les galeries écrasées. Sans préjuger des résultats de l'enquête qui se poursuit, il semble bien que ce soit la vraie raison du si néfaste affaissement et pour étayer cette opinion, il suffit de constater que depuis hier une dizaine d'habitants du quartier sont venus avertir le commissariat de la rue Beaubrun que des fissures se sont produites dans les murs de leurs immeubles ; ce qui prouve que l'affaissement du sol a porté sur un plus grand espace que celui où se dressait l'îlot d'immeubles effondrés."
Des experts furent commis par le Parquet pour en déterminer les causes. L'enquête dura longtemps, longtemps. Article du 15 octobre: " L'enquête ordonnée à la suite des écroulements de Polignais se poursuit avec une sage lenteur. Les experts, dans un but d'investigations, firent creuser de très profondes galeries souterraines qu'utilisaient pour de clandestines extractions de charbon, quelques mineurs peu scrupuleux. Ce qui devait arriver inévitablement se produisait ces jours derniers. Le sol, miné par ces travaux, exécutés sans la moindre prudence, s'affaissait et les galeries creusées, sur l'ordre des experts, se comblèrent en partie..."
Le puits des Flaches
On passe sur le mildiou et la cochylis, les bombes dans les usines, les sabotages et les émeutes, la broutille habituelle, les incendies de forêt, nombreux cette année, pour nous attarder sur la catastrophe du puits des Flaches. La voilà enfin notre catastrophe, une vraie de vraie celle-là ! Un pur coup de Trafalgar à la stéphanoise: 27 victimes, pour la plupart asphyxiées. Le bassin stéphanois n'avait pas connu ça depuis longtemps ! Depuis la catastrophe du puits de la Manufacture (une soixantaine de morts) semble-t-il, c'est à dire en 1891 - parce qu'il y eut tellement de catastrophes minières que tenir une comptabilité précise n'est pas toujours aisé. Le Stéphanois au soir du 18 octobre n'évoquait qu'un feu dans un chantier du puits " ainsi qu'il s'en déclare très souvent dans nos exploitations minières".
S'il parle de 150 mineurs remontés en urgence, il ne mentionne aucune victime. Le retour de flamme aura lieu le lendemain. C'est par le puits du Bardot que les ingénieurs et ouvriers descendirent pour lutter contre l'incendie. " On ne peut encore rien dire sur l'étendue du sinistre. Les ingénieurs ne sont remontés au jour que fort tard dans l'après-midi. Quoiqu'il en soit, l'équipe de nuit ne reprendra pas son travail ce soir, et si nous sommes bien informés, on croit à un chômage de deux ou quatre jours pour les mineurs qui travaillent au puits des Flaches."
Dans l'édition du lendemain, un bref encart pour faire état d'une explosion de grisou. " (...) une vingtaine d'ouvriers étaient au fond. On s'est porté immédiatement à leur secours. A 4 heures 1/4, un seul était remonté. Son état était des plus alarmants."
Dans ses colonnes du 20 octobre, un ingénieur expliquait les causes du drame survenu la veille alors que les mineurs tentaient de faire barrage au feu : " Vers une heure et demie, sans doute, une violente chasse de fumée et de flammes se produisit brûlant et asphyxiant les ouvriers. Ce renversement du courant d'air dut avoir vraisemblablement pour origine des éboulements survenus dans le chantier où était le feu. Les gaz, sous l'action de cette poussée, ont remonté le courant d'air accomplissant leur oeuvre dévastatrice."
Mais à cette date, le journal hésitait encore entre grisou et retour de flamme. " Pas de grisou" mais un embrasement d'air et de poussière, tranchera un peu plus tard le directeur des Houillères.
Les corps furent transportés à l'hôpital du Soleil. Un reporter du Stéphanois - on ne sait qui car les articles ne sont jamais signés - un reporter donc se rend sur place: " Les corps sont méconnaissables : le grisou en a fait des masses informes, noirâtres, calcinées. Cheveux et barbes sont grillés ; çà et là, quelques épanchements sanguins. Du reste, pas de contractions visibles dans les membres. Bras et jambes ont en général une position naturelle et reposée ; les visages eux-mêmes ne paraissent pas défigurés..."
La plus jeune victime avait 20 ans. Le plus âgé des mineurs 53 ans. En majorité des pères de famille. L'un d'eux avait 6 enfants. Un autre 4 enfants.
Les obsèques furent célébrées en présence de Victor Augagneur, ministre des Travaux publics. Voici un extrait de son allocution, prononcée sur la place Garibaldi où les cercueils avaient été alignés: " (...) Messieurs, depuis quelques semaines la France passe par de pénibles épreuves. Après l'explosion du Gloire, celle du Liberté, celle du puits des Flaches. Toute la vie, toute grandeur de l'humanité ont été faites de ses luttes et de ses triomphes contre tes forces naturelles hostiles, chaque jour l'homme par son travail patient, par l'expérience accumulée des générations, parait dominer plus complètement la nature. Et tout à coup, comme si les éléments domptés tentaient une dernière révolte contre qui les enchaînés, la nature brutale prend sur son maître une cruelle revanche..."
Dans son discours, M. Petit, directeur de la Compagnie des houillères de Saint-Etienne, rendit un hommage appuyé à l'ingénieur Albert Baup, victime de son dévouement. Il repose au cimetière du Crêt de Roc où une mention sur sa tombe signale la catastrophe.
Ni le ministre, ni le préfet, ni les personnalités officielles, n'écoutèrent l'allocution du délégué de la fédération des mineurs de la Loire que le journal, qui n'en livre pas la teneur, qualifie "de violentes imprécations révolutionnaire qui sont — et c'est le moins qu'on en puisse dire — une inconvenance en une pareille circonstance. "
Le gouverneur Rebaud fut décoré pour sa conduite. L.-J. Gras précise qu'un "délégué mineur, prophète après coup, fut, après enquête, suspendu de ses fonctions par le préfet, et donna ensuite sa démission."