
Les guerres de la France, durant le XXe siècle, ont toujours été difficilement abordées par le cinéma hexagonal. Et c'est d'autant plus vrai lorsqu'il s'agit de traiter de sujets sensibles, capables (coupables en un sens) de bousculer l'histoire officielle. Par exemple, l'histoire dramatique des « fusillés pour l'exemple » de la guerre de 14 - 18 est restée longtemps un tabou. Une production étrangère, Les sentiers de la gloire de Kubrick, en France fut frappé d'ostracisme à sa sortie. Depuis les propos de Jospin qui bousculèrent les consciences et entamèrent la polémique, le débat semble s'être assagi et le souvenir des martyrs de Vingré a depuis été montré au cinéma (Un long dimanche de fiançailles ) ou à la télé (Le pantalon rouge). Concernant la seconde guerre mondiale et plus particulièrement la Résistance, il est des films, parce que trop en avance sur leur temps qui ont été muselés. C'est le cas du Franc-Tireur, avec P. Léotard. Tourné en 1972, il n'est sorti qu'en 2002 ! Existe-t-il d'ailleurs en vhs ? D'autres ont fait grincé bien des dents: Un héros très discret ou Lucien Malle. Concernant les guerres coloniales, celle d'Indochine par exemple n'a jamais vraiment inspiré les réalisateurs sauf Pierre Schoendoerffer.
Quant au conflit qui nous intéresse ici, la guerre d'Algérie, sale guerre et « drôle » de guerre, les films qui lui ont été consacrés sont aussi peu nombreux* : Le petit soldat de Godard, Les Centurions produit par Hollywood, L'honneur d'un capitaine de Schoendoerffer. C'est donc déjà en soi un évènement cinématographique que sorte actuellement sur les écrans La Trahison, un film de Philippe Faucon. La médiatisation du film tient aussi à l'actualité politique, marquée par le débat agité autour de la loi du 23 février 2005. C'est enfin le premier film français tourné en Algérie depuis une vingtaine d'années.
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Ne tombant ni dans le sentimentalisme, ni dans les longues palabres documentaires, La Trahison, au contraire, par ses silences, ses regards et sa mise en scène un peu sèche apparaît plutôt comme une sorte de dossier d'archive à verser au rayon de la justesse. Un petit bémol cependant : si le jeu des amateurs algériens nous a semblé remarquable, celui du capitaine des paras en particulier nous a semblé un peu trop forcé. Quand on lance un flambeau dans une maison de paille pour la faire brûler, ce n'est pas la peine de déguerpir comme si on avait balancé un bâton de dynamite ! D'ailleurs, il semblerait que la prod n'ait recruté que des videurs de boîte de nuit, patauds à souhait pour interpréter les paras.
Le film est adapté du livre de Claude Sales, co-scénariste, présent ce soir à Saint-Etienne, et l'histoire du lieutenant Roque est la sienne. L'action se déroule dans la wilaya de Sétif où le lieutenant Roque commande un détachement de jeunes appelés et parmi eux quatre soldats nord-africains. Le jeune officier, tant bien que mal, essaye de faire son devoir avec dignité et de maintenir le moral. Mais la section Roque cohabite avec les paras aux méthodes musclées, la population ambiguë - amie ou ennemie ?- et la menace « fell » est omniprésente. Son quotidien est fait de ratissages, en appui des « paras-lézards » mais aussi d'aides à la population. Nous observons durant tout le film le cheminement du doute dans l'esprit des quatre soldats autochtones - qui ne sont pas des Harkis mais des appelés, comme leurs compatriotes d'outre-mer - et dans celui de Roque et des métropolitains. Peut-on avoir confiance ?
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Ce sont « les quatre » qui s'interrogent les premiers. Il est vrai que leur situation est intenable. Ils sont Français - De Gaulle l'a proclamé : "Il n'y a que des Français en Algérie" -, mais aussi algériens et musulmans. La population qui subit les exactions des paras, par désir de vengeance ou/et parce qu'elle est pro FLN, les considère comme des traîtres. Eux-mêmes s'interrogent sur la réalité de leur nationalité française dans les faits, souffrant de discriminations, de regards méfiants, d'insultes. Nous sommes en 1960, à deux ans des accords d'Evian et les quatre ont peur, porter l'uniforme français peut leur coûter cher : peuvent-ils faire confiance à la France ? Ils disent leurs doutes à leur lieutenant qui ne sait pas les rassurer avec certitude. Comment le pourrait-il ? « Vous êtes Français ! »; il n'empêche, le sergent Lahcen, ancien d'Indochine, trois fois blessé au service de la France, n'a pourtant pas hésité à déserter parce que « La France est ingrate ». D'ailleurs, il trahira aussi le FLN mais peu importe, ils doutent de l'officier. Logique implacable, les métropolitains, pour certains, éprouvent les mêmes doutes à leur égard. Les quatre parlent l' arabe, communiquent avec la population. Celle-ci, ce n'est pas un secret, subit aussi une intense pression de la part des fellaghas qui ne tergiversent pas : avec eux ou contre eux, il n'y a pas d'alternative. Le lieutenant, pourtant, malgré leurs interrogations trop franches, a confiance dans ses quatre gars avec lesquels il vit, presque coupé du monde depuis 14 mois. Jusqu'au jour où son officier supérieur lui annonce qu'ils sont suspectés de manigancer l' égorgement collectif de toute la section. Le doute grandit, se change en certitude, une certitude de précaution. Les quatre Franco-Algériens, par un subterfuge, sont finalement hissés dans un camion et emmenés vers un destin incertain. Taieb lance une dernière fois à Roque qui le salue d'un geste : "Vive l'indépendance, mon lieutenant, vive l'Algérie ! "
Plus de 40 ans plus tard, au Méliès, Claude Sales répond aux questions, posément et sa guerre d'Algérie, racontée dans son livre fidèlement adapté à l'écran, avec ses illustrations vécues et localisées, prend les airs d'une vérité générale, en tout cas d'une honnêteté certaine. Il aura attendu 1999 pour raconter cette histoire : "Quand vous reveniez d'Algérie, en France, personne ne vous posait de questions. Et d'ailleurs je n'avais pas envie d'en parler. C'est pendant la guerre civile algérienne, entre 1990 et 2000 que j'ai revu à la télé les mêmes regards absents, tristes et vengeurs des femmes que j'avais vu en 1960 et qui m'ont poussé à écrire mon histoire."
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Claude Sales, la Loco, Saint-Etienne, 26 janvier 2006
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Le film, tourné en Algérie, à Bousaada, a bénéficié d'un très bon accueil en Algérie. Visé par le gouvernement algérien, le scénario n'a souffert aucune censure. 500 personnes ont assisté à la première. L'auteur nous dit en outre que la FNACA (Fédération Nationale des Anciens Combattants d'Algérie) l'a trouvé « juste ». Une seule difficulté, durant le tournage, a concerné le rôle des Harkis. Répétons-le, il ne s'agit pas des quatre appelés du contingent, mais des Harkis, soldats engagés et liés par contrat. Finalement, ce sont deux instituteurs qui jouèrent le rôle. Ce n'est pas le moindre mérite du film que de rappeler que de nombreux jeunes « Algériens » ont servi sous les drapeaux, comme n'importe quels Français.
Suivent bien d'autres questions, en premier lieu celle de savoir ce que sont devenus les quatre jeunes hommes et puis cette trahison sur laquelle plane encore le doute à la fin du film : "Je les ai vus pour la dernière fois dans le camion. Je ne les ai jamais revus, ni chercher à savoir ce qu'ils étaient devenus. J'ai été muté juste après ces évènements. J'aurai pu contacter mes supérieurs à ce sujet, consulter les archives militaires, je ne l'ai pas fait. La trahison ? Autant je pensais qu'ils pouvaient déserter avec armes et bagages une nuit mais m'égorger ! ? Taieb ? Avec qui j'avais vécu pendant si longtemps, ça jamais. Oui, il est probable qu'ils avaient vraiment prévu de nous égorger. Des anciens d'Algérie m'ont dit à ce sujet : ne te fais pas d'illusions, ils l'auraient fait. Parce qu'on ne leur avait pas donné le choix ! On, je veux dire nous les Français, on les a mis dans une situation qui n'avait pas d'issue pour eux ! "
A un auditeur qui lui demande pourquoi il n'a pas désobéi, ou ne les a pas aider à s'évader : "J'étais officier de l'armée française mais les faire partir pour aller où ? Le FLN leur aurait réglé leur compte, ayant porté l'uniforme français et n'ayant rien fait contre nous."
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Et l'auteur d'évoquer toute la complexité de ce conflit : "La guerre d'Algérie a été une guerre schizophrène. La trahison a été partout : l'armée française a trahi les Harkis, les politiques ont trahi l'armée, une partie de l'armée a trahi l'autre, etc. Une guerre schizophrène et absurde. Il n'y a pas eu de déclaration de guerre, l'indépendance a été accordée par un référendum ; quelle guerre s'est jamais terminée par un référendum ? Cette guerre n'a jamais officiellement commencé ni ne s'est terminée. D'ailleurs, le mot « guerre » a été employé bien plus tard. On parlait de « maintien de l'ordre ». Les Algériens ont été amenés à choisir leur camp. Il n'y avait pas de neutralité possible. Le FLN et l'armée française, par une surenchère dans la terreur, ne leur ont pas donné le choix. "
Il peut cependant ressortir du film, comme l'indique un spectateur, l'impression qu'il n'y a finalement ni « gentils », ni « méchants » dans cette triste histoire et que cette idée, au final, peut dédouaner la colonisation et l'occupation. Claude Sales indique son point de vue : "Je condamne la colonisation mais comprenez-moi bien, je n'ai jamais ressenti, durant mes trois années en Algérie, d'hostilité systématique de la part des Algériens envers la France. Dans les villages, tout le monde se connaissait. Un jour vous tailliez une bavette avec quelqu'un, un autre, vous faites emmener la femme qui va accoucher. Et puis le lendemain, celui avec qui vous aviez discuté la veille vous tourne le dos. Et vous savez alors que l'armée est passée, a peut-être emmené quelqu'un de la famille, fait subir des tortures. Ou alors c'est le FLN, venu donner un avertissement."
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* Oups ! "Même s'il faut tordre le cou à l'éternelle rengaine d'un cinéma français qui ne saurait pas filmer les conflits de son histoire : près d'une cinquantaine de films existent depuis 1960, qui ont fait de la guerre d'Algérie leur sujet, notant ses traumatismes sur la jeunesse française (d'Adieu Philippine à Muriel, du Petit Soldat aux Parapluies de Cherbourg, du Combat dans l'île à l'Insoumis) ou, plus rarement certes, en suivant ses errements caméra au poing"
Avoir 20 ans dans les Aurès, RAS, Cher frangin, ces films du bled, article de Libération
Aaaaaah ! "Contrairement à Hollywood, le cinéma français a toujours privilégié la pudeur ' sans doute peut-on même parler de couardise ' face à son histoire récente. Mis à part RAS, d'Yves Boisset, ou Avoir 20 ans dans les Aurès, de René Vautier, rares sont les films sur l'Algérie réalisés par des Français".
Télérama